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Re mord ?

Ya un truc que j’peux pas digérer !
Dans ton hangar, être obligé de côtoyer, pour l’éternité d’une vie de marionnette, tes créatures décaties ou déformées par la méchanceté, je ne supporte plus. Et ces vieilles dont je me demande comment tu peux les faire parler. Dans la vraie vie, ça fait longtemps qu’on les aurait balancées en enfer.
Et moi, tu m’as vu ? Avec ma tête, côté face, de benêt, de ravi de la crèche, et côté pile, de crâne d’homo erectus, et cyclope par- dessus le marché ! On peut dire que t’as des comptes à régler avec les ministres du culte, parce que les autres, ils valent pas mieux ! Mais eux, c’est plutôt dans le genre suppôts de l’Inquisition.
En fait, je m’aperçois que c’est toi que j’ai du mal à avaler. Toi et tes scénarios à la noix. Dès que tu m’as fait jouer, j’ai eu envie de me cacher. Mais comment échapper aux mains de fer de son créateur ? Et que j’te joue les Tartuffe, et que j’te fasse le Jésuite ! J’ai toujours eu honte. Moi, je rêvais d’être Pierrot. Arlequin à la rigueur. Non, rien à faire. Sans arrêt des textes de plus en plus noirs. L’hypocrite, le type qui fait ses coups en douce.
  Ah zut, ya plus rien dans le frigo !
Et ce soir, ça a été le comble. Tu m’as fait m’acoquiner avec le Grand Confesseur pour abuser de Colombine ! Trop c’est trop ! J’ai craqué. Alors, après la représentation, je suis resté le type qui fait ses coups en douce. Pas si en douce que ça d’ailleurs. Quand tu as pris la bouteille pour le bon coup d’après spectacle, ça n’a pas été le bon coup prévu. Comme d’habitude, tu me tenais encore, « pour me faire partager le plaisir du succès », que t’as dit. Pour m’humilier un peu plus en picolant sous mon nez, parce que moi bien sûr, tintin, je ne suis qu’une marionnette
Bon sang ! T’avais bien laissé l’Hépatoum dans ce fichu frigo !
Et t’as rien compris quand la bouteille t’a atterri sur la tronche. Tu ne la commandais plus. Je t’ l’avais prise des mains et j’ai tapé ,tapé, comme un fou, jusqu’à en avoir fini avec toi et tes fantasmes morbides ! Et puis, en bon Homo érectus, je t’ai bouffé, pour te faire disparaître définitivement !!!
Ya un truc que j’peux pas digérer ! 

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Merci Monsieur Johansson

groundbreakingDepuis trois heures, Ionn ramait sur la prairie qui s’étendait à l’infini. Sous la coque de la barque crissaient les herbes sèches, et avec le soleil qui montait toujours plus brûlant dans un ciel sans nuages, l’effort sur les avirons se faisait de plus en plus éprouvant. Chaque semaine, avec Fleur, ils venaient retrouver l’Ancien pour échanger les maigres provisions qu’ils avaient pu rassembler contre les légendes qu’il leur racontait sans fin. Ces récits des temps où les rivières coulaient encore, quand les villages florissants retentissaient des mille bruits de la vie quotidienne. Avant que la sécheresse transforme peu à peu les champs verdoyants en cette interminable steppe qui jaunissait un peu plus chaque année. Avant que les Maîtres , après avoir détruit les villages, réduisent leurs habitants en esclavage, dans des mégapoles qui concentraient tout ce qui restait de vie. Quelques rebelles, comme l’Ancien, comme eux, s’étaient échappés et survivaient, dissimulés près des rares points d’eau qui disparaissaient au fil du temps.

Quand ils arrivèrent enfin à l’abri fait de branchages et d’herbes tressées, aucun signe de vie ne les accueillit. Descendus de la barque, ils firent le tour de la hutte. Le vieil homme gisait à l’ombre. Un faible souffle soulevait à peine sa poitrine. Ils virent que la source où il s’approvisionnait était tarie, sans doute depuis plusieurs jours. Après que Fleur eût réussi à glisser quelques gouttes de leur réserve entre ses lèvres fendillées, ils entendirent un murmure ténu :  » Emmenez-moi…il est encore temps… Continuer la lecture

à la gare des mots valises

J’arrive essoufflé devant les portes coulissantes, qui sentent bien que je suis pressé et s’empressent de coulisser, leurs dents glacées s’ouvrant en un large sourire vertical. J’entre. Le sourire s’éteint, le mien également, les portes referment leur bouche sans un bruit, et j’ouvre la mienne tout grand et les yeux aussi, sans voix et béat devant la scène irréaliste qui se joue devant moi. Partout des cris de gens qui s’interpellent, au milieu des valises et des enfantômes vivants et mouvants cherchant à s’éclipser et se volatiliser. Les parents s’affolent, et essaient de les retenir, en lorgnant de tous les côtés à la fois pour les empêcher de s’évaporer ou disparaître.

Je pousse ma valise jusque devant le panneau d’affichage des trains-retards et des trains-à-l’heure. Même ceux-là ne seront pas les premiers puisque sur le tableau les annonces de trains-trains avancent et se bousculent, les suivants chassant petit à petit ceux qui sont déjà partis. Continuer la lecture

ESPECES D’ESPACES LE LIT / LA PAGE

 

Un lit dans la chambre
Une page qui se tourne
Des draps froissés
Ils ont dormi à deux dans la fabrique à rêves
Une feuille volante s’est envolée
Une boule de papier calligraphiée à la plume d’un cygne signé a été violemment froissée
Un homme seul gisait
Le gisant inconscient, mais vivant, semblait-il était probablement endormi sur les couvertures de soie
La tête au ciel du lit, un vague sourire sur ses lèvres pâles comme une page blanche.
Il n’avait pas de papier mais il serrait dans sa main un vélin chiffonné et quadrillé sur lequel étaient tracés des idéogrammes qui furent déchiffrés par la suite, il s’agissait d’une épigramme de Proust :
‘’Longtemps je me suis couché par écrit’’

 

Maïté

LOGORALLYE (octobre 2014)

Son absence me pèse même si quelque fois je souhaitais son départ.
Surtout la nuit quand j’attendais son retour.
Lorsqu’il était là sa présence m’inquiétait toujours, elle signifiait qu’il allait partir
et à nouveau disparaître.
Je ne savais jamais si un accident ou une chimère le ramènerait dans la nuit.
Aujourd’hui, même si je sais que son départ est définitif, l’oubli n’efface pas l’attente.
L’arrivée du matin gomme parfois le ressentiment, la nostalgie de son absence.

 

MaÏté.

Suite à l’atelier Bonnefoy du 8 octobre 2014 (Mots-valises)

Ca secouait dur, et la Compagnie avait failli annuler la traversée, mais, rentabilité oblige, nous étions finalement partis. Ce soir-là, il n’y avait que moi accroché au bastingage, sur le pont supérieur, avec un vieux qui avait l’air d’avoir pas mal bourlingué et qui m’avait invité à partager son remède contre le mal de mer. On se soignait depuis une heure environ, quand, soudain, le vieux tendit le bras vers le flanc du navire. Une forme sombre sortait de l’ombre sur la mer, dans le halo de lumière qui émanait du ferry. Peu à peu, je distinguai un trois- mats à l’ancienne, les voiles en lambeaux et , à la barre, LE Long John Silver de mes lectures de gamin. Je crus à une hallucination, mais le vieux se tourna vers moi et, d’une voix plus qu’embrumée, il se mit à raconter, tandis que l’apparition s’effaçait peu à peu. A travers les mots qui tanguaient et roulaient, je démêlai l’essentiel de l’histoire.

Fruit des amours d’une sirène-des-prés qui avait effeuillé la marguerite avec un naufragéniteur échoué sur un récif des mers australes, le type qu’on venait de voir sur ce rafiot, avait grandi au milieu des tempêtes et ne craignait ni les fureurs de la mer, ni celles des hommes. Sur son navirulent, il avait empoisonné les océans, à la tête d’un équipage de corsérial-killers. Ce n’était pas un de ces commandandys et autres commandentelles qui n’étaient à la manœuvre et ne prenaient le vent qu’à la Cour, à Versailles. Lui, c’était le commandenfer qui semait la terreur jusqu’ aux cercles polaires. Après avoir perdu sa jambe lors d’un abordage difficile, il était devenu le forbancal encore plus redouté de tous !
Mais le temps avait passé. Il avait vieilli. Ce qui avait été de l’audace s’était transformé en inconscience, et sa bonne étoile l’avait abandonné. Après avoir vu sombrer deux de ses navires, sa réputation était devenue celle d’un corcercueil.
Le dernier embarquement avait été une catastrophe. Le lieutenant qu’il avait trouvé n’était qu’un segondolier, tout juste bon à naviguer sur les canaux, et l’équipage que celui-ci avait pu recruter n’était qu’un ramassis de piratatinés et de forbambochards. À la première tempétarade inoffensive, sous l’effet de la peur, ils avaient tenté de se mutiner. Il avait très vite ramené le calme en faisant pendre le second au mât d’artimonstre, et jeté à la mer les cinq plus agités, dont un requintuple n’avait fait qu’une bouchée. Dans la nuit qui suivit, fuyant ce vaissauve-qui-peut, le reste de l’équipage embarqua sur les canoctambules qui n’eurent pas le temps de tenir jusqu’au jour, manœuvrés par cette bande de bras cassés. Bientôt il n’en resta plus que quelques planches éparses, dont les rescapés réussirent quand même à faire un radown-jones qui plongea à la première vague un peu forte. Sur les flots finalement apaisés, aux premiers rayons du soleil, il ne resta plus qu’une épavane dansant mollement dans la brise.
Et lui demeura seul, capiténébreux d’un vaisseau devenu fantôme. Il aurait bien voulu pouvoir suivre les indications de sa boussolitude, mais son gouvernailleurs ne lui obéissait plus et le conduisait toujours plus loin.
Depuis, sans fin,il erre, échappant aux typhondrières et aux ouragangrènes, mais sans jamais plus pouvoir toucher terre.

Le vieux arrêta là son récit. On ne voyait plus aucune trace de l’étrange navire et de son capitaine. Alors nous redescendîmes vers la boutique du ferry, à la recherche d’une quatrième bouteille de rhum pour continuer à surmonter le mal de mer. Le lendemain, dans ma chambre d’hôtel, la tête encore un peu lourde, je me demandai ce que nous avions réellement vu. Mais peu importait la réponse. Même si ce n’était qu’un énorme éléphantasme, il valait bien mieux que tous les éléphants roses que nous aurions pu avoir rencontrés cette nuit-là !

Atelier Bonnefoy du 15 octobre 2014

En venant avec sa guitare et son ampli au pied du donjon de ce château qui avait été fort en gueule, et qui n’était plus que fort ruiné, il pensait y être tranquille pour répéter son concert du soir.
Il commença par tomber la veste et dans une oubliette où des générations de promeneurs s’étaient oubliés. Bonjour l’odeur ! Et comme il était plutôt baraqué,il eut un peu plus de mal à en sortir qu’à y entrer. Finalement, il ne s’en tira pas mal. Quelques égratignures, mais son matos n’avait pas souffert. Il s’avança vers ce qui restait de la cour, en cherchant l’endroit où le son serait le meilleur. La première tour lui joua un tour de cochon: des créneaux craignos tomba une pierre qui faillit écrabouiller l’ampli. À la deuxième tour, ce fut moins violent, mais un mâchicoulis de framboise goutta sur sa guitare et il dut la lécher pendant une plombe pour nettoyer les contacts. Jamais deux sans trois. Heureusement, la troisième fut une tour de magie. Dès qu’il s’approcha, elle se redressa sur ses ruines, suivie par les remparts qui, rapidement, reprirent leur aspect d’origine .Quand il s’approcha des murmurailles, il entendit un bruit confus qui s’amplifia peu à peu, au fur et à mesure que des dames richement parées de soies et de brocards apparaissaient dans la cour. Sous leur hennin, elles hennirent d’excitation à la vue de l’étrange balèze troubadour qu’elles trouvèrent bien zaudacieux , avec son instrument bizarre, pour venir s’aventurer zen ces lieux ! L’une d’elles, sans doute la maîtresse de cette demeure, vint vers lui et l’invita, mais il refusa de la suivre dans une échauguette, échaudé par l’expérience des créneaux craignos et des mâchicoulis. Elle réussit à l’entraîner dans l’embrasure d’une fenêtre à moineaux pour écouter le chant des oiseaux. Le dialogue à venir s’annonçait plein de promesses, malheureusement il fut interrompu, avant même d’avoir commencé, par la trompinette du garde-fou qui annonçait le retour du maître des lieux. Le garde-barrière abaissa le pont -levis et le saigneur des lieux brandissant son coutelas d’égorgeur, entra suivi de sa troupe de garde-à-vous. A peine eut-il posé pied à terre, il cria : « J’ai faim ! ». Un garde-manger se précipita. A ce moment, découvrant sa dame en courtoise compagnie, le saigneur, en levant haut sa lame, se rua sur le guitariste qui n’eut que le temps de brancher son ampli. Poussant les décibels et des cris de fou furieux, il réussit à clouer sur place l’époux vindicatif. « Qui es-tu étrange étranger ? – Je suis le soldat inconnu de la Guerre de Cent Ans et je retourne à mon anonymat !!! »
Et il plia vite fait ses gaules, laissant ses hôtes pantois.

l’île déserte

Catastrophe aérienne

 

Bombardée de l’engin en métal, à demi anesthésiée mais en vie !

Dans l’abîme violent de cette chute en mer, mon corps meurtri s’était enroulé, sans donner prise à la moindre cavité, obstruant tout orifice, je m’étais fait rond et la marée s’en était emparée.

Je me récupère en boule parfaite entre sable et eau.

Eperdue et présente, dans le hasard qui m’a laissée là, avec un sac encore collé dans mon dos.

Je ne suis pas nue et j’ai un sac. Dans une fouille fébrile, je tire habits, billets, carnet, crayon, brosse à dent, et voilà tout.

Pas d’état d’âme, survivre, un point c’est tout. Si ce n’est pas une injonction !

 

Dans un premier réflexe, je cherche à m’abriter, de quoi ? je ne sais pas. Mon cerveau est vide, je me protège comme l’animal menacé. Je m’empare du galet le plus acéré, découpe le pantacourt, la chemise, le polo pour en étendre la surface, je me sers des emmanchures afin d’étirer au maximum la toile avec des gourdins pelés par les courants.

Je creuse avec frénésie le sable sous cette enveloppe de fortune, me jette dans ce trou, tapie, aux aguets, presque lovée dans ses rebords secourables.

Mais à perte de vue seulement la mer, le sable et la forêt.

Ces infinis posent mon regard, me comblent tout à coup dans une respiration harmonieuse, cette amplitude me chavire, je suis au ras du sommeil. Dormir, dormir avec l’espoir que le roulis des vagues couvrira tout autre bruit insolite propice aux pires déferlements.

Je crains le froid de la nuit, dans un sursaut, j’enfile le polaire doublé de fourrure ; dans cette peau, l’énergie de la survie peut bouillonner. L’imaginaire travaille, construit la survivance. Demain je marcherai, je déchiquetterai la serviette en bandelettes pour maintenir deux grandes écorces, semelles de mes pieds et je m’aventurerai dans les lianes, dans les plantes luxuriantes, dans les enchevêtrements pour y découvrir ce qui bouge, y décrocher tout ce que je pourrai mordre de plus juteux, de plus nourrissant.

Si la forêt est trop hostile, la mer se prêtera peut-être à mon exil et à ma faim, quelques coquilles, quelques poissons furtifs, des suschis pour Robinsons.

J’ai toujours rêvé d’être bordée par la mer, ses mouvements m’animent, sa peau ondulée m’appelle, à souhait, d’instinct, je roule, je m’étire, me glisse dans ses remous, appuyée contre sa force et devenue transparente à force de m’y confier.

C’est ainsi que l’abrupt du sommeil me prend !

Au réveil de ma première nuit, le décor s’impose à moi, il est toujours aussi serein et peut-être pour toujours à moi. Une soif impérieuse m’oblige à l’entamer. L’immense masse verte de la forêt me happe, l’odeur de terre humide me saisit, la moiteur me rassure, je marche sur mes écorces en prenant soin de poser chaque pied comme le funambule car seule la ligne droite peut assurer mon retour.

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une île déserte …

compil atelier jeudi

LA SURVIE
Andrée

Prologue
Je gisais sur du sable, j’avais très mal à la tête et ne me souvenais de rien. « Je suis abrutie, on m’a tordu le cou, où suis-je, que s’est-il passé. « telles, je crois furent mes premières pensées. »
Je ne me souvenais de rien, mais j’avais envie de vomir.
« On dirait que je pense, mais qu’est ce que je fais ici ? « Une image me revient. Un enfant tombé du haut d’un escalier et que je n’osais toucher, mettait dix minutes pour se mouvoir lentement et enfin s’agenouillait avant de se relever. Ça, je l’avais vécu, et je fis de même : je bougeais les doigts, les orteils et ainsi de suite jusqu’à la tête qui pouvait se soulever un peu, ma flexion du cou semblait bonne, et ma douleur au crâne se localisait au front. Je vomis, et rampais pour me déplacer. Enfin, je m’assis et voyant l’océan tout près, j’eus froid et tout d’un coup, tout me revint.
Le choc, le tohu-bohu, la panique, chacun cherchant son sac et ses papiers, la mise à l’eau des chaloupes et la dérive mortelle, l’angoisse et le désarroi complet. » Qui suis-je ? Je m’appelle Armelle et je m’en vais aux Canaries toute seule, pour oublier mon histoire, la désertion du foyer de mes parents de « maman », le suicide de mon père. «
Je sanglote et me couche sur le sable qui est chaud, je frissonne à nouveau et me rend compte que je suis trempée dans mon jean et mon débardeur rayé. J’enlève mes vêtements et les fais sécher à côté de moi.
Tout à coup le sens de la réalité me vient et apeurée, je regarde où en est la marée. Apparemment elle est descendante, l’eau se retire.
Voilà ce dont je me souviens des premières heures de mon arrivée sur cette plage d’un îlot au large d’une grande île des Canaries, du moins le croyais-je parce que c’était ma destination initiale.
Premier chapitre
Plus tard, assise contre un rocher, je tentais d’évaluer ma condition et mon espérance de survie. Je scrutais le large, en espérant voir venir des secours, et j’attendais aussi que mes vêtements, que j’avais essorés, sèchent. Il faisait chaud et je déplorais d’être obligée de mettre mes mains sur ma tête pour éviter le coup de soleil.
Je pensais que c’était une fin de vie déplorable mais qui montrait bien la vanité de tout ce que j’avais vécu antérieurement. Je ne savais même pas évaluer l’heure.
Quelle date étions-nous ? J’étais partie le 13 juillet, nous avions navigué deux jours complets, admirant les côtes que nous longions et l’accident s’était donc produit dans la journée du 16. Mais combien de temps étions-nous restés dans cette maudite chaloupe jusqu’à ce qu’elle chavire et se fracasse contre les rochers, là-bas ? mystère. Mais comment se fait-il que je sois seule, ici ? Je me souvenais m’être accrochée fermement à une planche cassée de la coque, car je ne suis pas une grande nageuse, et surtout nous étions en pleine mer, à la nuit tombante et je ne savais combien de temps j’avais pu errer au grès des mouvements de la mer avant de m’échouer, ici, comme un poisson blessé.

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autour des mots …

atelier jeudi Bellegarde, compil.

LA BOUTIQUE des Mots
Andrée

Le sac des Mots perdus
Mesdames et Messieurs, jeunes et moins jeunes,
Aujourd’hui est un jour exceptionnel car nous avons accroché à chaque rayonnage de notre Boutique des Mots, un SAC des MOTS PERDUS.
Il vous faudra tenter de les classer sur l’étagère qui leur convient, à votre sentiment.
Aussi, si vous rencontrez une duègne ou un barbon chenu et fané, les trouvez-vous décrépits, vétustes, séniles ou caducs ?
Leur parfum suranné, leur santé valétudinaire et leur âge vous semblent-t-il antédiluvien ?
Etes-vous donc venu tout nu, repu, ou guidé par Vénus ? Tandis que la cruelle maquerelle écoeurée, contemplait ses scrofules et écrouelles.
Mais qu’allons-nous faire de tous ces cryptogames vasculaires et des phanérogames ? Saurons-nous y distinguer les clématites des Ptérides et classer le psilote et l’osmonde ?
Venons-en à la divette, se contente-t-elle de roulades ou est-elle aussi une virtuose du plain-chant ? Peut-elle faire entendre son timbre comme un coryphée ou préfère-t-elle la douceur d’un lied, voire de la sérénade ?
Mais peut-être êtes-vous handicapé par une tare tel un cheval avant la course du destrier de tournoi ou du jockey du concours hippique ?
Alors, Messieurs les amateurs de mots, amoureux du gai-savoir, allez-vous vous contenter de prose ou vous lancer dans le pamphlet, la critique, la Polémique. Serez-vous grammairien ou poète ? et pourquoi pas choisir la Philologie ou l’Erudition ; ou alors comme Arthur, Denis ou Søren, serez-vous tenté par l’art de la sagesse ?
Ecoutez le rimailleur, ce poète médiocre : « Elle lisait le libellé telle une libellule volubile et versatile qui volète avec les ailes du désir vers la volupté. »
Et à présent nous allons monter :
Monter ? sur ses ergots. Monter ? comme une soupe au lait Monter ? sur ses grands chevaux. Lorsque ce jeu vous aura mis hors de vous, qu’il vous aura poussé à bout, bien échauffé la bile, qu’il vous aura indigné et pourquoi pas scandalisé, que vous serez exaspéré, déchainé et ulcéré, alors vous pourrez descendre de la montagne de notre vocabulaire, tel Moïse tenant les tables de la Loi.

VENTE DE MOTS
Thérèse

Il veut vendre son attirail, il pense que les mots peuvent être entendus comme une marchandise.
C’est un vendeur habile qui sait que pour consommer il faut être surpris.
Il a installé un haut parleur au dessus de sa porte, il le fait tour à tour hurler et sussurer : « ici vente de mots sans maux ».
Interloqués, les passants entrent, mais de quels mots s’agit-il ?
En fait, le vendeur contrarie les mots ;
Dans un grand bac, à l’entrée, il y a des boîtes toutes étiquetées de maux : migraine, tremblement, asthme, stress.
Si on ouvre la boîte après l’avoir achetée, on trouve le remède, dans un mot contraire ;
La condition est de le répéter plusieurs fois par jour : plénitude, immobilité, respiration, calme.
Le marchand est de connivence avec les patrons du quartier, l’ouvrier sans maux, crache mieux son potentiel.
Passé le coin pour se plaindre, il y a une étagère à la portée du curieux remplie « des mots qui rassurent » : tu es fort, demain sera un autre jour, tu es vif et intelligent !
Les plus petits n’ont qu’à baisser les yeux, en effet à l’étagère inférieure, la réassurance bascule dans « les mots qui ne veulent rien dire » : simola, morali, insignifiant, blanc ;
Serait-ce la bascule dans « les mots de la liberté » : terre vierge, jachère, premières pousses ? N’est pas petit qui veut pour avoir un tel accès !
Et comme il en veut encore, du mot et de son contraire, il va monter sur l’escabeau et sous la lucarne du toit, se frotter « aux mots qui font se retourner » ;
Chaque poutre a des graffitis : nostalgie, enfance, hier.
Il pourrait rester suspendu à rêver, à regretter mais on ne peut pas vivre
Perché.
Le rez de chaussée l’aspire en douceur, il redescend dans « les mots du présent », ils n’ont pas d’étagères, ils diffusent, fusent, profusent, transfusent ;
Pas besoin d’un mot parleur, ils sont là : aujourd’hui, à la minute, pleinement.
Avant de sortir, le passant suggère au vendeur la création « des mots mouillés » : rosée, glouglou, ruisselle ; les mots qui font pousser la plante, qui maintiennent l’humidité et la permanence.
Mêmes les mots contraires s’y complaisent !

LE MOT
Marceau

LA BOUTIQUE DES MOTS :
La ville médiévale gravite autour du piton rocheux qui surplombe en
majesté la mer bleue infinie. Les constructions de vieilles pierres s’appuient
les unes sur les autres en un maillage serré et dense, qui dessine des
méandres complexes aux perspectives bien vite interrompues. Tout n’est
que venelles tortueuses privées de soleil, escaliers abrupts aux marches
usées par le temps, passages voûtés aux porches mystérieux. On devine les
toits de tuiles rouge et ocre, si hauts, occultés aux simples mortels se
traînant au rez.
Je me suis laissé dire qu’au milieu des échoppes centenaires gisaient
encore les restes d’une boutique magique, étrange, fréquentée jadis par des
bourgeois indigents en mal de lettres. Je serpente dans la désolation des
ruines encombrées de gravois et d’herbes folles, à la recherche du temps
passé. Au sol, un cartouche en bois délavé résiste aux injures des
intempéries séculaires. Je m’efforce à déchiffrer les traces ténues qui
subsistent encore. Je crois pouvoir décoder quelques bribes d’inscription
qui se dessinent :  »écrivain public » !
Je n’ai guère confiance en mes capacités de déduction, mais mon
imagination fait fi de tous scrupules et prend vite le pas sur mon
cartésianisme. Je devine à l’entrée les rideaux rouges et or qui calfeutraient
le réduit, sans doute un vestibule. Je constate une succession d’alvéoles
chichement éclairées, aux murs recouverts de tiroirs, chacune meublées
d’une table bancale et de deux chaises vermoulues. J’imagine l’encrier de
porcelaine, la plume effilochée dormant sur une liasse de papier jauni.
L’énigme du lieu devrait m’interpeller mais ma rêverie s’emballe.
Je vois, sous mes yeux, le maître de céans accompagner son hôte, un
messire en panne de belle composition propre à séduire, manquant de bons
mots pour capter ses courtisans, privé d’invectives cruelles et sèches à
l’encontre de ses créanciers, avare de subtilités maniérées pour convaincre…
Il lui présente la destination de chacune des loges. La première, la
plus fournie, a pour nom : Incertitudes ! dédiée aux amoureux éconduits.
Elle contient le fatras le plus invraisemblable de mots venimeux, de type
bestial, comme : vipère lubrique, dragon, mégère, harpie…, et autres
termes de plus élégants en la matière. Aussi les expressions compassées au
naturel embarrassé, les formules contrites aux mille regrets, les métaphores
larmoyantes ou attendrissantes, les euphémismes nostalgiques avec leurs
remords éplorés.
Notre quidam a de quoi fournir une armée de grincheux vengeurs et
de maris trompés. C’est la principale activité de son officine pleine d’avenir,
faisant de lui un homme respecté pour ses gains, mais aussi pour les secrets
à jamais enfermés dans sa mémoire, à défaut d’être enfouis, six pieds sous
terre, dans le cimetière des illusions perdues.
Mais comme pour effacer la mauvaise impression de tant de
polémiques en latence, il s’empresse de lui ouvrir le chemin vers l’Azur.
C’est le tout dernier cabinet, niché au fond du corridor, la chambre des
béatitudes, de la séduisance et de la poésie.
Une gratitude à faire savoir, et voici le tiroir de fiches jaunes emplies
de bénédicités et d’oraisons adéquates ; une damoiselle à émoustiller, et
s’épand sur le pupitre une foison de termes dignes des paladins énamourés.
Les mots suaves les plus ensoleillés papillonnent en tout sens. Les plus
douces des mignardises cucupralinées fondent auprès de leurs semblables.
Il y en a pour tous les goûts : amour tendre ou amour vache, passionnel ou
platonique, désintéressé ou raisonnable.
Mais bien sûr, la poésie n’est pas oubliée. En ce monde complaisant
aux pires abominations, elle fournit un refuge intemporel, une échappatoire
intime et émouvante. Les casses débordent de lettres composant l’hymne
aux déesses de la beauté, de la nature, de la vie et du mouvement.
Terpsichore trone en bonne place, complice d’Erato et de Polymnie. Clio et
Calliope forment un duo d’exception. A elles deux, c’est tout
l’enchantement chaleureux du répertoire lyrique et de la verve courtoise.
Dans leur boudoir intime, en chuchotant, l’un expose ses desiderata,
l’autre de lui susurrer le sens, la précision, la perception d’un mot. Il ouvre
les tiroirs pour en extraire quelques fiches, et un autre qu’il renverse tout de
go sur la table. Interrogation silencieuse, sourire à la justesse d’une
trouvaille.
La plume se trempe d’encre violette et la feuille devient épître,
missive ou billet.
REZ : contraction de  »rez de chaussée ». Niveau du sol pour un promeneur.
SEDUISANCE : séduction sans action, charme platonique ou discret, qui s’exerce naturellement.
CUCUPRALINÉES : De  »cul-cul la praline ». Quitte le personnage pour se consacrer aux choses : mots,
expressions, objets naïfs.

UN CARNET
Marceau

L’INVENTAIRE
Qui se souvient de son premier carnet ?
Je me souviens de celui où j’écrivis maladroitement les mots à ne pas
prononcer comme ‘caca-fouilla’ ou ‘boudin-boudé’, les gros mots les plus
abjects comme ‘punaise des bois’ ou ‘zut’, les mots qui m’interpellaient
comme ‘mécréant’ ou ‘aphte’, que je croyais être une maladie honteuse.
Un jour, pour le protéger, et accessoirement pour m’éviter une fessée,
j’ai dû s’escamoter et s’enterrer dans une cachette secrète, à l’abri de toute
indiscrétion. Si discrète que je l’ai vite oubliée. Encore aujourd’hui ma
mémoire le protège au plus profond de mon inconscient.
Et celui des chansons d’éclaireurs, d’une écriture déjà mieux
maîtrisée à la plume « sergent major », mais, question imagination …ce
n’étaient que recopiages. Bien que, en y repensant, je les agrémentais de
gribouillis bien naïfs, coloriés aux crayons souvent épointés, que je prenais
pour des dessins. Mais bon, j’en était fier. Lui aussi, perdu corps et âme. Si
encore il avait pu faire un heureux.
Et celui-ci, pas encore entamé, que deviendra t’il ? De quel exploit
va-t-il se rendre complice ? Survivra-t-il à mon grand âge, prétendre à mes
dernières volontés ?
IDENTITE
Je suis un carnet, certes de belle facture, bien cartonné, relié d’un
beau ressort aux mille vrillettes argentées, mais un carnet tout simplement.
Mon histoire est celle d’une page blanche, une feuille pour ceux qui
ne savent pas lire, bien heureux gens en ce bas monde.
Mon rêve, un jour, serait de m’attacher à une pensée, de me tacher
d’une encre bleue bourrée de grands principes, de souvenirs heureux,
émouvants ou dérisoires.
Je plains ceux qui savent lire, qui en attendent, sans y prendre garde,
les derniers potins, la nouvelle légende urbaine ou la brève de comptoir
bien salée et bien grasse.
Ils ne voient pas dans ma blancheur immaculée toute la poésie qu’elle
contient, ils ne sentent pas le frisson d’un vélin, la délicatesse d’une pelure,
l’avidité d’un buvard assoiffé.
Moi, dans ma candeur virginale, je n’intéresse personne.
Je vis ma vie en transgressant toutes les convenances qui font que
lire vaut pensée, alors qu’avec mes copines, bien vautrées les unes contre
les autres, je rêve de poésie, de mémoires et de souvenirs que nul, jamais,
ne saura transcrire.
POUVOIR MAGIQUE
Je t’observe depuis bien longtemps, depuis que tu me trimbales dans
ton sac comme le vulgaire subjectile de ta plume. Tu me considères sans
état d’âme, dépourvu d’empathie ou d’un quelconque attachement.
Détrompes-toi : Je suis ta chose, maintenant !
De grâce, ne m’exhibes plus devant ta cour pour faire rire de mon
indigence, d’autant que tu m’as affublé d’une caricature indigne et perverse
qui travesti ma volonté de bien faire. Mais passons.
Ce qui me rend perplexe, c’est ta grande naïveté, ton amnésie sans
cesse reconduite. Quand j’y pense … Tout à l’heure encore, tu as oublié ce
que tu avais annoté sur mes pages blanches.
Heureusement pour toi, tu pourrais t’en offusquer, à relire, écrit de tes
propres mains, un tel fatras d’incongruités. Si ton entourage avait vent des
énormités que tu oses coucher sans complexe, des pensées inavouables qui
entachent mon précieux vélin, de ces certitudes définitives que tes
élucubrations imbéciles produisent sans vacance, ton aura en prendrait un
sacré coup. Pauvre de toi !
Par bonheur pour ta renommée, entre nous est née, comment dire,
une complicité, ou mieux, une certaine affection. Alors, je veille. La nuit
venue, seul au delà du temps, je m’applique à effacer tous ces écrits que tu
commets sans vergogne, en croyant te renouveler en toute suffisance,
encore et encore.
Mon pouvoir s’arrête là.
Alors, par pitié, conserves moi ainsi, pages blanches immaculées,
indemnes de subtilités sans nom ou de graffitis sans expression. Peut-être,
un jour, la sagesse venant, j’accepterai de bon gré de recueillir tes
dernières volontés et, béatement, devenir ton codicille pour l’éternité.

TAILLE CRAYON écriture et réécriture.
Marceau et Thérèse.

J’habitais un aiguise crayon, qui avait de multiples faces.
Le toit était fendu pour y coucher l’âme.
En son cœur s’élevait une cheminée cruciforme qui façonnait le fumée.
Le mur principal en béton arme acceptait la béance du trou,
Cercle parfait, il conduisait le jour et laissait passer les verts.
Il s’essayait aux parallélépipèdes, parois de soutien
Qui enserraient en étaux protecteurs le vivant du dedans.
Des barrettes verticales occupaient le centre,
Les stries se prêtaient aux jeux de l’escalade.
Elles se bordaient de plats argents et brillants,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
La base de l’objet portait le paranclé ciel et terre et
Sur le bord le plus tenu, le rectangle avait des largeurs minuscules
Juste ajouré d’un escalier à paliers.
J’habitais un aiguise crayon, bastide aux multiples façades.
Le toit de zinc gris, fendu d’une verrière, invitait au repos de l’âme.
Perchée en son cœur trônait une cheminée cruciforme qui animait la fumée.
Le pignon principal, en béton armé, s’éclairait d’une baie translucide,
Cercle parfait, elle conduisait le jour et occultait les vents.
Contre-vent, refends et parois de soutient s’essayaient aux parallélépipèdes,
Anamorphose de remparts, protecteurs du vivant d’en dedans.
Des clins verticaux striaient le trumeau central,
Ils se prêtaient à merveille aux jeux de l’escalade.
Ils s’ornaient, de part et d’autre, d’aplats argentés et lumineux,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
Le soubassement de l’édifice et l’acrotère, aux lignes minuscules,
Liaient ciel et terre dans un écran irréel,
Juste hachuré par les marches d’un escalier à paliers.