une île déserte …

compil atelier jeudi

LA SURVIE
Andrée

Prologue
Je gisais sur du sable, j’avais très mal à la tête et ne me souvenais de rien. « Je suis abrutie, on m’a tordu le cou, où suis-je, que s’est-il passé. « telles, je crois furent mes premières pensées. »
Je ne me souvenais de rien, mais j’avais envie de vomir.
« On dirait que je pense, mais qu’est ce que je fais ici ? « Une image me revient. Un enfant tombé du haut d’un escalier et que je n’osais toucher, mettait dix minutes pour se mouvoir lentement et enfin s’agenouillait avant de se relever. Ça, je l’avais vécu, et je fis de même : je bougeais les doigts, les orteils et ainsi de suite jusqu’à la tête qui pouvait se soulever un peu, ma flexion du cou semblait bonne, et ma douleur au crâne se localisait au front. Je vomis, et rampais pour me déplacer. Enfin, je m’assis et voyant l’océan tout près, j’eus froid et tout d’un coup, tout me revint.
Le choc, le tohu-bohu, la panique, chacun cherchant son sac et ses papiers, la mise à l’eau des chaloupes et la dérive mortelle, l’angoisse et le désarroi complet. » Qui suis-je ? Je m’appelle Armelle et je m’en vais aux Canaries toute seule, pour oublier mon histoire, la désertion du foyer de mes parents de « maman », le suicide de mon père. «
Je sanglote et me couche sur le sable qui est chaud, je frissonne à nouveau et me rend compte que je suis trempée dans mon jean et mon débardeur rayé. J’enlève mes vêtements et les fais sécher à côté de moi.
Tout à coup le sens de la réalité me vient et apeurée, je regarde où en est la marée. Apparemment elle est descendante, l’eau se retire.
Voilà ce dont je me souviens des premières heures de mon arrivée sur cette plage d’un îlot au large d’une grande île des Canaries, du moins le croyais-je parce que c’était ma destination initiale.
Premier chapitre
Plus tard, assise contre un rocher, je tentais d’évaluer ma condition et mon espérance de survie. Je scrutais le large, en espérant voir venir des secours, et j’attendais aussi que mes vêtements, que j’avais essorés, sèchent. Il faisait chaud et je déplorais d’être obligée de mettre mes mains sur ma tête pour éviter le coup de soleil.
Je pensais que c’était une fin de vie déplorable mais qui montrait bien la vanité de tout ce que j’avais vécu antérieurement. Je ne savais même pas évaluer l’heure.
Quelle date étions-nous ? J’étais partie le 13 juillet, nous avions navigué deux jours complets, admirant les côtes que nous longions et l’accident s’était donc produit dans la journée du 16. Mais combien de temps étions-nous restés dans cette maudite chaloupe jusqu’à ce qu’elle chavire et se fracasse contre les rochers, là-bas ? mystère. Mais comment se fait-il que je sois seule, ici ? Je me souvenais m’être accrochée fermement à une planche cassée de la coque, car je ne suis pas une grande nageuse, et surtout nous étions en pleine mer, à la nuit tombante et je ne savais combien de temps j’avais pu errer au grès des mouvements de la mer avant de m’échouer, ici, comme un poisson blessé.


Je me remis à pleurer, d’ailleurs cela me faisait du bien, j’étais bien moins congestionnée qu’à mon réveil et mon esprit pratique reprenait le dessus. Je m’aperçus que j’avais faim. Je me rhabillais prestement et décidai de réfléchir à ma situation nouvelle. « Je suis vivante, quelqu’un a dû s’apercevoir que le bateau de croisière a percuté un rocher ou du moins a eu une avarie et les secours vont arriver. J’ai juste à m’adapter à cette situation » et après tout, j’étais assez jeune pour que mes lectures d’adolescente puissent me donner des idées sur l’intérêt de vivre une telle expérience.
Deuxième chapitre

Je fais un plan.
Il fallait que je pense à ma survie : manger, dormir, boire de l’eau, montrer mon existence, estimer l’emplacement de l’endroit où je me trouvais, examiner la végétation, le terrain, chercher une excavation ou un arbre pour ma protection, voir s’il n’y avait pas d’animaux dangereux…
De peur, je regardais autour de moi, comme si une armée de scorpions allait soudain me sauter dessus. J’avais perdu un de mes nu-pieds et me trouvais bien démunie.
Où trouver le courage de me bagarrer avec les éléments, alors que la nuit allait arriver, que je n’avais rien… Je décidai de planter un bâton à l’endroit où je me trouvais pour avoir au moins un point zéro à partir duquel cette aventure pouvait se dérouler, si elle le devait. Je cherchais ledit bâton et m’éloignant un peu de mon point d’impact ma vision s’agrandit et je vis que c’était soit un îlot, soit une pointe de terre d’une grande île, voire d’un pays ou même d’un continent. Etais-je comme je le croyais plutôt sur les Canaries, ou bien étais-je jetée sur une terre africaine ?
Je m’avançais dans un sous-bois, et trouvai très vite un bâton assez long que j’enfonçais le plus possible dans le sable là où l’empreinte encore humide portait la trace de
ma présence. Comme je n’avais rien pour l’enfoncer de force, j’y installais autour des coquillages, nombreux dans ce bout de terre de façon que l’on remarquât présence humaine et non hasard de la nature. Je priais le ciel que la marée ne vienne l’emporter avant que je trouve une autre solution de marquer ma présence. J’y accrochais des algues que je nouais autour du pieu ; j’eus même la coquetterie d’y graver mes initiales avec un coquillage que je gardais ensuite dans ma poche car il coupait bien.
Je m’éloignais derechef, car je voulais trouver un creux d’arbre où m’abriter pour la nuit. Je ne voulais ni me faire attaquer, ni me faire dévorer par un animal que j’imaginais aussi affamé que moi.
En m’enfonçant sous la frondaison, je me sentis mieux, car la chaleur était plus tempérée, et cela me mis dans l’espoir de trouver un arbre adéquat à mon besoin. Je le trouvai ! Il était très large, assez bas pour que je puisse y accéder par des branches fortes et suffisamment feuillu pour me camoufler aux yeux de mes ennemis éventuels. J’y montai prestement et pour le retrouver facilement j’y laissai l’autre de mes nu-pieds, car je préférais marcher les pieds nus, sur ce sable doux et blanc, plutôt qu’en sentant la différence de niveau qui m’aurait fait claudiquer.
Tandis que j’étais dans l’arbre, en hauteur donc, je regardais attentivement les alentours car je voulais examiner le terrain pour savoir où trouver à boire et à manger. Mais la végétation était telle, que j’eus plutôt un étourdissement, devant cette forêt verte foncée, j’étais brutalement dans la pénombre et s’il n’y avait eu les piaillements d’oiseaux que je ne voyais pas, je me serais crue dans une autre monde, encore.
Courageusement, je coupais des branches chargées de feuilles pour me faire un lit dans le creux de l’arbre, puis redescendis et alanguie par mon malaise, je m’assis dans l’herbe.
Mes pensées étaient très concrètes, manger, dormir, me laver, et balançaient avec les sentiments que provoquaient ma faiblesse, ma peur, mon infortune.
C’est alors que je sombrais dans une subite déprime car je me rendais compte que j’étais loin de la vivacité de Robinson Crusoé. Pour la bonne raison que je n’avais pas la chance d’avoir mon vaisseau encore abordable, ni la force ni le courage dont il a témoigné pour toutes nos générations : valeur de l’effort et de l’endurance, jusqu’à faire de ce personnage le prototype de la Survie.
Je me laissais aller aux pleurs et aux lamentations, j’étais secouée de sanglots, qui mouillaient derechef mes vêtements à peine tiédis par la chaleur qui régnait encore à cette heure.
Je revis ma vie entière et tous les combats que j’avais dû mener pour persister à vivre et là je vis ma déchéance et ma mort prochaine.
En même temps, l’idée que j’étais sur une île faisait monter des souvenirs, d’abord du film japonais où ces paysans inlassablement venaient chaque jour lutter sur cette montagne
pour gagner un peu de terrain où ils plantaient leur riz, ce qui était pour eux leur seul espoir pour manger. La musique du film, lancinante, occupait mon esprit et la nostalgie de tout ce qui m’avait intéressée et passionnée pendant ma petite existence me procurait une tristesse dans laquelle je pouvais me complaire ; Je m’endormis un peu, puis des cris d’oiseaux favorisèrent mon réveil et je me vis reportant mon index dans ma bouche, je tétais mon doigt, comme lorsque j’avais dix ans.
Plus tard, alors que la faim me tenaillait, je ne sais pourquoi je me revis à huit ans dans le jardin de mes voisins en train de jouer à Diane chasseresse. Je montais sur les arbres et armée de mon arc, je commandais aux animaux sauvages et autres tigres et panthères qui en feulant baissaient l’échine devant moi et m’obéissaient par crainte puis par amour, l’un fondant l’autre dans ma pensée, à cet âge.
Aussi, prise d’une rage de vivre, je me redressai et montant sur l’arbre le plus proche, j’examinai le paysage. Je vis alors un rocher dans lequel semblait se former une échancrure, une excavation. Je me figurai qu’il y aurait là une source et je décidai d’y aller voir maintenant. En effet, le fait d’avoir dormi m’avait fait perdre le sens de l’heure et je voyais juste que le soleil déclinait sur l’horizon à l’opposé de l’océan. Je me dirigeais, en frissonnant, dans la direction où j’avais aperçu le roc et marchais lentement. J’avais pris un bâton, car je ne pouvais m’empêcher de craindre l’attaque, de je ne savais quoi : serpent, mygale, bête féroce, et pourquoi pas un humain, mal intentionné, forcément.
A mon vif étonnement, cette colline abrupte était proche et c’est avec ravissement que je vis que mon intuition était bonne, puisque je vis, en même temps que j’entendis, une source d’eau, je me précipitai avec bonheur pour me désaltérer. Je bus une eau fraîche jusqu’à plus soif, et m’assis dans la terre humide et couverte de mousses et autres verdures. Je me sentais revigorée et mon humeur changea du tout au tout. Je décidai de vivre et de me battre, encore un peu.
Troisième chapitre
Je me félicitai de ma trouvaille et comme cette terre était meuble il y avait tout autour des buissons et des arbustes, remplis de fruits et de fleurs. Tout à ma joie, je mangeai des mûres à foison, me délectant et du sucre, et du parfum. Je cueillais des fleurs et m’en fis une couronne que je posai délicatement sur ma tête. A cette époque là je portais un chignon très serré sur ma nuque. A cause de l’accident et du naufrage, ma coiffure s’était défaite, mais je sentis qu’il restait quelques épingles que je détachais avec précaution. Je me dis très vite que c’était une chance et les gardai dans le creux de ma poche de pantalon.
Je m’imaginais en » Printemps « de Botticelli et cela me fit sourire d’avoir cette vision, à ce moment-là, dans ces conditions si effrayantes. Je savais bien qu’il me faudrait trouver des nourritures plus substantielles mais ces fruits et ces fleurs me faisaient paraître cette aventure, non comme un désastre mais comme peut-être une occasion de vivre
simplement d’une façon « naturelle » -on ne disait pas encore « bio »-comme déjà notre jeunesse avait le désir, loin des modes et des traditions bourgeois de nos pères.
Je crois surtout que le jeûne forcé auquel j’étais soumise avait provoqué une sorte de liesse, euphorie imaginaire, qui me permettait d’oublier pour l’heure, les conditions navrantes dans lesquelles il me fallait assumer mon existence.
Quand je revins vers la plage, à ma grande surprise, je vis que la marée avait ramené un tas de chiffons sur le sable. Je le regardais avec suspicion, me demandant ce qu’il pouvait contenir. En fait, c’était un sac de voyage en plastique, assez hermétique pour que les objets qu’il contenait ne soient pas trempés, mais simplement froids. Mais je fus assez déçue de ce que j’y trouvai : un pull bleu marine, une bouteille d’eau, des lunettes de vision de près, un savon d’Alep, une petite serviette de toilette, celle que l’on donne aux invités pour s’essuyer les mains, de la crème solaire, un short, une robe blanche vague et à bretelles et deux sous-vêtements genre culotte »petit-bateau » ; enfin et quand même il y avait un chapeau, une lampe de poche et ce que j’appréciais le plus sur le moment un carnet vierge avec un crayon intégré.
Alors j’ai écrit sur la première page, mon nom, la date et le jour que je croyais être ceux du naufrage. Je me jurai d’y écrire que des choses essentielles, et numérotais les dix premières pages.
C’est à ce moment là que je repensais à mes compagnons de voyage car j’essayais d’imaginer la dame dont je récupérais le sac, et cela m’attrista, car je ne pouvais pas voir le sac sans me dire qu’elle était peut-être noyée, ou qu’elle était comme moi je l’avais été, accrochée à une planche de la chaloupe, et qu’elle attendait la mort et du secours.
Je m’organisais pour cacher mes trouvailles dans le creux de mon arbre, et je trouvais superbe d’avoir une bouteille où je pourrai chaque jour aller chercher ma ration d’eau à boire à ma source. Je gardai la lampe près de l’endroit que j’avais dévolu pour me nicher, et assise sur la plage, contemplant l’horizon, attendant sans espoir un avion, un voilier, un semblant de secours, je ne pouvais m’empêcher d’admirer la beauté de la nature, bercée par le ressac de l’océan qui continuait son cycle de marées. Je vis la lune très haute et le ciel devint bleu d’outremer. Oui, je suis bien dans l’hémisphère nord, d’après le positionnement de la voûte céleste.
Une heure plus tard, je me retrouvais blottie dans l’arbre que j’avais estimé pouvoir m’abriter et en attendant le sommeil, je repensais à ma famille, mes amis mes compagnons de voyage, et je ne pus m’empêcher de sombrer à nouveau dans un chagrin sans nom. Je savais déjà que Dieu n’existe pas, en tous cas pas celui que les autres prient quand rien ne va plus, mais je me disais que si je ne pouvais compter que sur moi-même, je n’avais pas de très bons avantages. Combien de temps peut-on vivre en mangeant des mûres et des fraises des bois ?
Pourquoi étais-je ainsi, si désemparée, pourquoi m’accrocher, pourquoi vouloir vivre ? Est-ce que le futur a si bonne odeur qu’il nous ferait supporter cette misère ?
Oui, peut-être que quelques êtres humains seraient un peu tristes de me savoir perdue, mais le chagrin passe et même si les gens sont cassés par la perte de certains êtres aimés, je sais qu’on se remet de tout, ou alors on lâche la rampe, et c’est foutu, de toutes façons.
Il y avait longtemps que je savais tout ca, mais alors ? Qu’est ce que tu veux ? me demandai-je, et je ne savais plus. J’allais mourir, enfin, j’allais connaître çà et je ne pourrais pas le raconter, ni le partager. Mais les autres qui sont morts, auprès de moi, qu’ont-ils partagé ? Elle, suicidée, elle, encore, partie dans sa maladie, lui me disant juste : « c’est dur, tu sais » et ce bébé, ce petit non-frère qui ne pouvait ou ne voulait pas vivre et tous ces innocents, mais ne sommes-nous pas tous innocents, venus par hasard, nous repartons par hasard, pris dans le mouvement… Nous attendons tous la mort et du secours.
Je m’endormis enfin.
Quatrième chapitre
Après une nuit reposante, quand même, qui m’avait permis de me remettre d’émotions si rares, je me levai, la faim au ventre et le courage dans tous mes sens.
J’allais vers la source et bus avidement puis me passai de l’eau sur le visage et les mains. Avec courage, je m’enfonçais plus loin parmi les fourrés et les arbres, espérant trouver du pissenlit au moins pour me mettre quelque chose dans la bouche. Oh ! quel bonheur, lorsque mes pas m’ont porté vers une clairière où il y avait comme un verger sauvage, car à mon étonnement un grand palmier offrait ses fruits couleur puce, brillants, qui faisait venir l’eau à la bouche et mes mains prenaient ces fruits l’un après l’autre et j’avais juste le temps de cracher le noyau avant de me précipiter vers un autre. Cela dura juste le temps d’apaiser ma faim, un délicieux moment.
Je fis le tour de ma nouvelle propriété et je reconnus un figuier rempli de bourses violettes et pourpres, ce fut encore une occasion de me délecter, puis des fruits de la passion et de la papaye. Je n’en revenais pas. Cette région était propice aux cultures et je pensais alors que je n’avais pas fini de découvrir les fruits de cette oasis inversée ! Je revins vers mon arbre et sautais de joie d’avoir en partie assouvie ma faim coriace ; je dansais, et chantonnais des airs joyeux. J’arrangeais ma couche, mis le pull sur moi et allai vers la plage, car je voulais savoir si la marée ne m’avait point ramené d’autres surprises dans la nuit.
J’étais prise d’images de paradis, j’allais jusqu’à la rive, et comme la marée s’était retirée très loin de moi, je décidai de fouiller pour chercher des coquillages vivants. Il y avait des trous dans le sable et peut-être y avait il des palourdes, des coques. Je cherchai, fouillai, quitte à me blesser un peu la plante des pieds et tombai sur une colonie de moules. Hélas je n’avais pas le moindre couteau mais je m’acharnais avec mes épingles à cheveux et réussis à en manger quelques unes. C’était plutôt des moules qu’on dit d’Espagne, alors que moi, venant de Bretagne était plutôt habituée aux coquillages de Cancale, mais je n’allais pas faire la fine bouche. J’étais rassurée sur ma nourriture à venir. Plus tard, en effet je pus me
régaler de tous ces fruits de mer, y compris d’huitres et parfois, un tourteau grimpait sur la plage et je lui réservais un sort similaire aux autres produits de la mer, en le faisant cuire, lui à l’étouffée !
A quelques jours de là, en inspectant mon île avec un peu plus d’audace, voire de témérité, je découvris bien d’autres merveilles : en fouillant le sol meuble et sableux, je trouvais des patates douces, et même quelques pommes de terre. Plus loin, je vis des avocats, des pamplemousses, restai dubitative devant des légumes qui me faisait penser à des poireaux sauvages, mais à les goûter, je sentis que c’était apparemment des oignons doux, car ils étaient jeunes. Plus loin, encore, il y avait des tomates. Je remerciais Dame Nature et surtout les oiseaux et le vent qui ont permis un ensemencement aussi éclectique, mais aussi généreux pour une insulaire abandonnée. Maintenant que j’étais assurée de me nourrir, et malgré les difficultés persistantes, telles que le manque d’outils, le manque de récipient pour faire cuire des légumes, je reprenais espoir, et mes journées passaient assez agréablement, je dois le reconnaître.
Aussi, la nuit, je me mis à rêver. Il est vrai que pour m’endormir, à présent je faisais appel à ma mémoire, et pour me garder « vivante » je me racontais des histoires et les premières qui revinrent à mon esprit ce fut les aventures de « Sindbad le marin » lorsque comme moi, il arrive dans un pays de fleurs et de fruits, et je rêvais d’un oiseau qui m’emmènerait très loin pour vivre le reste de ma vie.
J’aimais ma solitude, mais je restais encore souvent sur le rivage, à contempler l’horizon, espérant toujours voir du secours advenir.
Tous les jours se ressemblaient, un peu de toilette, un peu de nourriture, deux heures de prospection, ce qui me permit de mettre à jour une petite bananeraie. Les fruits n’étaient pas encore mûrs, mais cela m’a beaucoup réconfortée, je ne voulais pas mourir d’inanition. Me revenait cette belle phrase de A. Camus tirée de je ne sais plus où, qui dit à peu près : » En l’absence de tout espoir, nous devons néanmoins continuer à lutter pour survivre, et de fait, nous survivons, de justesse. »
Quand j’étais dans cette nostalgie, la musique de » l’île nue « revenait immédiatement et je pouvais chanter, siffler, mon désespoir, cela me calmait comme les pleurs apaisent un chagrin.
Un après-midi, alors que je me promenais, j’espérais encore faire le tour de l’île, je trouvais par terre un bel oiseau, qui ressemblait à une perruche, très colorée et avec une longue queue. Elle était blottie sur le sol et couinait faiblement. Je m’approchais et lui parlais gentiment, comme on fait à côté d’un enfant qui pleure ou qui souffre. Elle me regardait, apeurée, je le sentais à ses tremblements et à ses yeux qui cillaient à toute vitesse. Comme elle était blessée à une patte, je commençais par lui offrir à boire en faisant couler de l’eau sur, puis dans son bec et enfin, je pus la prendre dans mes mains et je la conduisis dans mon abri, où à l’ombre, je lui arrangeais une attelle que j’attachais avec du fil de laine de mon pull que j’avais crocheté avec une épingle à cheveux. Je la laissai couchée et lui donnai à picorer
un grain de raisin (car j’avais trouvé également une belle vigne de raisins de couleur lie de vin, comme il se doit). Elle a beaucoup apprécié et c’est ainsi que j’ai pu apprivoiser un couple de perruches, car sa compagne ou compagnon, qui avait dû la quitter pour lui trouver à manger, l’avait bien sûr repérée chez moi et cela a été une belle conquête commune de nous trois que d’arriver à s’entendre et à devenir amis. J’en reste très fière.
Je faisais mon feu grâce au soleil et la loupe des lunettes que j’avais trouvées dans le sac de ma compagne d’infortune, régulièrement, et sous les pierres, je fouissais mes pommes de terre, ainsi que les patates douces, ce qui permettait de nous délecter, mes copines et moi-même.
C’est ainsi que j’ai vécu cette période-là.
EPILOGUE
J’étais dans la quiétude et le plaisir : comment imaginer qu’un malheur aussi sinistre tel un naufrage puisse engendrer une satisfaction que je ressentais enfin de façon constante.
Le jardin des délices, c’est mon domaine. Quel apaisement, quand je pensais à mon angoisse du début de mon séjour.
Je pouvais croire, que j’avais atteint l’Eden ce lieu d’où l’Homme et la Femme se sont fait exclure à cause du péché.
Or, sur le plan intime, depuis mon arrivée, il y a dix semaines, je ne pouvais que constater que surement j’attendais un bébé.
Comment appellerai-je cet enfant en train de se construire ? Libertad ? Esperanza ?

L’ILE DESERTE
Marceau

PERDU QUELQUE PART :
seul – temps indéterminé – un sac à dos contenant :
chaussures de marche, jean et tee-shirt, kway doublé, slips et chaussettes, appareil photo, cigarette électronique, lampe, couteau, tablette de livres et musique, cahier et stylo.
Pas encore inquiet, je fais le tour de mon nouveau domaine, au
demeurant assez accueillant : une longue plage de sable fin. De loin en loin
des rochers aux formes torturées mouillent leurs pieds dans la mer. A
l’arrière, une forêt dense s’élève en pente douce vers on ne sait quel
sommet.
Pas encore inquiet, mais tout de même… seul, vermoulu, quelques
contusions et rien. Rien dans les poches, pas de papiers, pas de clefs, pas
d’argent, des vêtements déchirés. Au diable l’aventure qui pointe son nez
sans avertir, là où on l’attendait le moins, au plus mauvais moment. J’avais
d’autres projets, moi.
J’arpente depuis un bon moment déjà le rivage blanc et ocre, en
appelant de temps à autre. Mais personne ne répond à mes cris, pas même
l’écho. Je me persuade que les choses vont s’arranger, bientôt, sans parvenir
à me rasséréner vraiment. Un étrange sentiment m’envahit doucement,
comme un questionnement, par touches sournoises, par vaguelettes
affalées. Je me retourne souvent, sans savoir pourquoi, et là, soudain,
surgissant de nul part, flottant sur la mer, une masse sombre.
Je me précipite, heureux de détourner mes idées qui tournent au noir,
sur un événement concret. Je cours sur le sable mouillé pour ne pas
m’enliser à chaque pas dans le sol inconsistant. La jambe me fait mal.
Enfin, pas trop, supportable. Je me prépare à plonger quand l’objet, que je
prends pour un dossier de fauteuil, ballotté par le ressac, atterri à mes pieds.
Surprise ! c’est un sac à dos. Quelle aubaine.
Un vrai sac bourré à craquer. Je m’en empare, et me dirige en
boitillant vers les premiers arbres. Pour me mettre à l’abri avec mon butin
dégoulinant, pour me cacher, en catimini, en voleur honteux de son forfait.
Mais je le sais, intimement, il n’y a pas âme qui vive pour me reprocher, et
je ne fais aucun tort à personne. Je m’assois contre une souche, la
conscience tranquille, à l’abri du soleil et des regards. Quels regards ?
Je reprends mon souffle. Je secoue la toile du sable qui s’agglutine et
s’effrite par plaques, et fait couler l’eau salée qui engorge le sac. Mon coeur
bat plus fort, de curiosité peut-être ? Non, je sens subrepticement que je
tiens là un objet d’importance. Quelque chose me dit … Bah ! On verra
bien.
Comme au super marché, je parts aux emplettes. J’ouvre. A demi
tirée, la glissette laisse apparaître les talons épais et crantés d’une pair de
chaussures de marche. C’est le moment où je m’aperçois que je suis pieds
nus. Mais où sont donc passées mes belles bottines en daim ? Pas le temps
d’y penser. Je les sort, je contemple l’objet de ma dernière acquisition,
presque neuves, au bon état. Je les essaies sans trop y penser et, oh miracle,
elles me vont comme un gant. Je suis fier de mon achat. Je suis comblé.
Cette trouvaille me rend euphorique. (En y repensant, le terme me
paraît quelque peu outré, mais, dans cette situation nouvelle et imprévue,
choqué certainement, ce petit rien prenait une autre dimension). Insouciant,
je m’allonge sur le sol encore chaud de fin de journée, levant au ciel mes
belles bottes toutes neuves. Joyeux, les jambes en l’air, je contemple à
travers elles le coucher de soleil. Je prends le temps d’admirer le spectacle
des traînées nuageuses aux couleurs fortes et changeantes qui animent
l’horizon, de toute beauté. Je m’extasie.
Mais le ciel s’assombrit. Je comprends que l’heure passe et que je
vais bientôt me retrouver dans la nuit. Et soudain, c’est le choc. Qu’est-ceque
je fais là ? Seul, au milieu de nul part, démuni de tout ! Je crois rêver.
Tout d’un coup, la situation m’apparaît dans toute son horreur. Comment
ais-je pu me laisser aller à tant d’inconscience ? Je panique. Je me lève d’un
bond. Je part en courant vers la plage. Je reviens. Je vois le sac pour la
première fois. Je m’agenouille (oui, je m’agenouille) au pied de mon
trophée. Je n’avais rien, et maintenant, je suis riche. Je comprends
l’importance de ce trésor, c’est un don. Quelque part, un parfait inconnu, ou
une parfaite inconnue, a eu ce geste pour moi, pour ma vie. Je ne saurais
jamais l’en remercier.
Le jour décline vite. Je dois me situer en zone proche de l’équateur,
et le crépuscule va me prendre de vitesse. Alors je secoue le sac sur le sol,
sans précaution et tout le contenu se repend sur le sable. Je fouille
fébrilement le bric-à-brac dont je ne perçois pas encore l’utilité. Sauf un
reflet pale dans la pénombre, une lampe à pile. Je suis sauvé. La lumière
me rassure, m’apaise. Enfin, je me souhaite bonne nuit.

2 réflexions sur « une île déserte … »

  1. Andrée Compans

    Marie,

    Je vous remercie d’avoir eu le temps de mettre le texte sur le site. En relisant je m’aperçois que j’ai fait une faute de vocabulaire dans le texte La Survie. Je voulais écrire AVARIE alors que j’ai écrit AVANIE .
    Je le signalerai au groupe. A tout à l’heure. AC

    Répondre

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