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ESPECES D’ESPACES LE LIT / LA PAGE

 

Un lit dans la chambre
Une page qui se tourne
Des draps froissés
Ils ont dormi à deux dans la fabrique à rêves
Une feuille volante s’est envolée
Une boule de papier calligraphiée à la plume d’un cygne signé a été violemment froissée
Un homme seul gisait
Le gisant inconscient, mais vivant, semblait-il était probablement endormi sur les couvertures de soie
La tête au ciel du lit, un vague sourire sur ses lèvres pâles comme une page blanche.
Il n’avait pas de papier mais il serrait dans sa main un vélin chiffonné et quadrillé sur lequel étaient tracés des idéogrammes qui furent déchiffrés par la suite, il s’agissait d’une épigramme de Proust :
‘’Longtemps je me suis couché par écrit’’

 

Maïté

LOGORALLYE (octobre 2014)

Son absence me pèse même si quelque fois je souhaitais son départ.
Surtout la nuit quand j’attendais son retour.
Lorsqu’il était là sa présence m’inquiétait toujours, elle signifiait qu’il allait partir
et à nouveau disparaître.
Je ne savais jamais si un accident ou une chimère le ramènerait dans la nuit.
Aujourd’hui, même si je sais que son départ est définitif, l’oubli n’efface pas l’attente.
L’arrivée du matin gomme parfois le ressentiment, la nostalgie de son absence.

 

MaÏté.

l’île déserte

Catastrophe aérienne

 

Bombardée de l’engin en métal, à demi anesthésiée mais en vie !

Dans l’abîme violent de cette chute en mer, mon corps meurtri s’était enroulé, sans donner prise à la moindre cavité, obstruant tout orifice, je m’étais fait rond et la marée s’en était emparée.

Je me récupère en boule parfaite entre sable et eau.

Eperdue et présente, dans le hasard qui m’a laissée là, avec un sac encore collé dans mon dos.

Je ne suis pas nue et j’ai un sac. Dans une fouille fébrile, je tire habits, billets, carnet, crayon, brosse à dent, et voilà tout.

Pas d’état d’âme, survivre, un point c’est tout. Si ce n’est pas une injonction !

 

Dans un premier réflexe, je cherche à m’abriter, de quoi ? je ne sais pas. Mon cerveau est vide, je me protège comme l’animal menacé. Je m’empare du galet le plus acéré, découpe le pantacourt, la chemise, le polo pour en étendre la surface, je me sers des emmanchures afin d’étirer au maximum la toile avec des gourdins pelés par les courants.

Je creuse avec frénésie le sable sous cette enveloppe de fortune, me jette dans ce trou, tapie, aux aguets, presque lovée dans ses rebords secourables.

Mais à perte de vue seulement la mer, le sable et la forêt.

Ces infinis posent mon regard, me comblent tout à coup dans une respiration harmonieuse, cette amplitude me chavire, je suis au ras du sommeil. Dormir, dormir avec l’espoir que le roulis des vagues couvrira tout autre bruit insolite propice aux pires déferlements.

Je crains le froid de la nuit, dans un sursaut, j’enfile le polaire doublé de fourrure ; dans cette peau, l’énergie de la survie peut bouillonner. L’imaginaire travaille, construit la survivance. Demain je marcherai, je déchiquetterai la serviette en bandelettes pour maintenir deux grandes écorces, semelles de mes pieds et je m’aventurerai dans les lianes, dans les plantes luxuriantes, dans les enchevêtrements pour y découvrir ce qui bouge, y décrocher tout ce que je pourrai mordre de plus juteux, de plus nourrissant.

Si la forêt est trop hostile, la mer se prêtera peut-être à mon exil et à ma faim, quelques coquilles, quelques poissons furtifs, des suschis pour Robinsons.

J’ai toujours rêvé d’être bordée par la mer, ses mouvements m’animent, sa peau ondulée m’appelle, à souhait, d’instinct, je roule, je m’étire, me glisse dans ses remous, appuyée contre sa force et devenue transparente à force de m’y confier.

C’est ainsi que l’abrupt du sommeil me prend !

Au réveil de ma première nuit, le décor s’impose à moi, il est toujours aussi serein et peut-être pour toujours à moi. Une soif impérieuse m’oblige à l’entamer. L’immense masse verte de la forêt me happe, l’odeur de terre humide me saisit, la moiteur me rassure, je marche sur mes écorces en prenant soin de poser chaque pied comme le funambule car seule la ligne droite peut assurer mon retour.

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une île déserte …

compil atelier jeudi

LA SURVIE
Andrée

Prologue
Je gisais sur du sable, j’avais très mal à la tête et ne me souvenais de rien. « Je suis abrutie, on m’a tordu le cou, où suis-je, que s’est-il passé. « telles, je crois furent mes premières pensées. »
Je ne me souvenais de rien, mais j’avais envie de vomir.
« On dirait que je pense, mais qu’est ce que je fais ici ? « Une image me revient. Un enfant tombé du haut d’un escalier et que je n’osais toucher, mettait dix minutes pour se mouvoir lentement et enfin s’agenouillait avant de se relever. Ça, je l’avais vécu, et je fis de même : je bougeais les doigts, les orteils et ainsi de suite jusqu’à la tête qui pouvait se soulever un peu, ma flexion du cou semblait bonne, et ma douleur au crâne se localisait au front. Je vomis, et rampais pour me déplacer. Enfin, je m’assis et voyant l’océan tout près, j’eus froid et tout d’un coup, tout me revint.
Le choc, le tohu-bohu, la panique, chacun cherchant son sac et ses papiers, la mise à l’eau des chaloupes et la dérive mortelle, l’angoisse et le désarroi complet. » Qui suis-je ? Je m’appelle Armelle et je m’en vais aux Canaries toute seule, pour oublier mon histoire, la désertion du foyer de mes parents de « maman », le suicide de mon père. «
Je sanglote et me couche sur le sable qui est chaud, je frissonne à nouveau et me rend compte que je suis trempée dans mon jean et mon débardeur rayé. J’enlève mes vêtements et les fais sécher à côté de moi.
Tout à coup le sens de la réalité me vient et apeurée, je regarde où en est la marée. Apparemment elle est descendante, l’eau se retire.
Voilà ce dont je me souviens des premières heures de mon arrivée sur cette plage d’un îlot au large d’une grande île des Canaries, du moins le croyais-je parce que c’était ma destination initiale.
Premier chapitre
Plus tard, assise contre un rocher, je tentais d’évaluer ma condition et mon espérance de survie. Je scrutais le large, en espérant voir venir des secours, et j’attendais aussi que mes vêtements, que j’avais essorés, sèchent. Il faisait chaud et je déplorais d’être obligée de mettre mes mains sur ma tête pour éviter le coup de soleil.
Je pensais que c’était une fin de vie déplorable mais qui montrait bien la vanité de tout ce que j’avais vécu antérieurement. Je ne savais même pas évaluer l’heure.
Quelle date étions-nous ? J’étais partie le 13 juillet, nous avions navigué deux jours complets, admirant les côtes que nous longions et l’accident s’était donc produit dans la journée du 16. Mais combien de temps étions-nous restés dans cette maudite chaloupe jusqu’à ce qu’elle chavire et se fracasse contre les rochers, là-bas ? mystère. Mais comment se fait-il que je sois seule, ici ? Je me souvenais m’être accrochée fermement à une planche cassée de la coque, car je ne suis pas une grande nageuse, et surtout nous étions en pleine mer, à la nuit tombante et je ne savais combien de temps j’avais pu errer au grès des mouvements de la mer avant de m’échouer, ici, comme un poisson blessé.

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autour des mots …

atelier jeudi Bellegarde, compil.

LA BOUTIQUE des Mots
Andrée

Le sac des Mots perdus
Mesdames et Messieurs, jeunes et moins jeunes,
Aujourd’hui est un jour exceptionnel car nous avons accroché à chaque rayonnage de notre Boutique des Mots, un SAC des MOTS PERDUS.
Il vous faudra tenter de les classer sur l’étagère qui leur convient, à votre sentiment.
Aussi, si vous rencontrez une duègne ou un barbon chenu et fané, les trouvez-vous décrépits, vétustes, séniles ou caducs ?
Leur parfum suranné, leur santé valétudinaire et leur âge vous semblent-t-il antédiluvien ?
Etes-vous donc venu tout nu, repu, ou guidé par Vénus ? Tandis que la cruelle maquerelle écoeurée, contemplait ses scrofules et écrouelles.
Mais qu’allons-nous faire de tous ces cryptogames vasculaires et des phanérogames ? Saurons-nous y distinguer les clématites des Ptérides et classer le psilote et l’osmonde ?
Venons-en à la divette, se contente-t-elle de roulades ou est-elle aussi une virtuose du plain-chant ? Peut-elle faire entendre son timbre comme un coryphée ou préfère-t-elle la douceur d’un lied, voire de la sérénade ?
Mais peut-être êtes-vous handicapé par une tare tel un cheval avant la course du destrier de tournoi ou du jockey du concours hippique ?
Alors, Messieurs les amateurs de mots, amoureux du gai-savoir, allez-vous vous contenter de prose ou vous lancer dans le pamphlet, la critique, la Polémique. Serez-vous grammairien ou poète ? et pourquoi pas choisir la Philologie ou l’Erudition ; ou alors comme Arthur, Denis ou Søren, serez-vous tenté par l’art de la sagesse ?
Ecoutez le rimailleur, ce poète médiocre : « Elle lisait le libellé telle une libellule volubile et versatile qui volète avec les ailes du désir vers la volupté. »
Et à présent nous allons monter :
Monter ? sur ses ergots. Monter ? comme une soupe au lait Monter ? sur ses grands chevaux. Lorsque ce jeu vous aura mis hors de vous, qu’il vous aura poussé à bout, bien échauffé la bile, qu’il vous aura indigné et pourquoi pas scandalisé, que vous serez exaspéré, déchainé et ulcéré, alors vous pourrez descendre de la montagne de notre vocabulaire, tel Moïse tenant les tables de la Loi.

VENTE DE MOTS
Thérèse

Il veut vendre son attirail, il pense que les mots peuvent être entendus comme une marchandise.
C’est un vendeur habile qui sait que pour consommer il faut être surpris.
Il a installé un haut parleur au dessus de sa porte, il le fait tour à tour hurler et sussurer : « ici vente de mots sans maux ».
Interloqués, les passants entrent, mais de quels mots s’agit-il ?
En fait, le vendeur contrarie les mots ;
Dans un grand bac, à l’entrée, il y a des boîtes toutes étiquetées de maux : migraine, tremblement, asthme, stress.
Si on ouvre la boîte après l’avoir achetée, on trouve le remède, dans un mot contraire ;
La condition est de le répéter plusieurs fois par jour : plénitude, immobilité, respiration, calme.
Le marchand est de connivence avec les patrons du quartier, l’ouvrier sans maux, crache mieux son potentiel.
Passé le coin pour se plaindre, il y a une étagère à la portée du curieux remplie « des mots qui rassurent » : tu es fort, demain sera un autre jour, tu es vif et intelligent !
Les plus petits n’ont qu’à baisser les yeux, en effet à l’étagère inférieure, la réassurance bascule dans « les mots qui ne veulent rien dire » : simola, morali, insignifiant, blanc ;
Serait-ce la bascule dans « les mots de la liberté » : terre vierge, jachère, premières pousses ? N’est pas petit qui veut pour avoir un tel accès !
Et comme il en veut encore, du mot et de son contraire, il va monter sur l’escabeau et sous la lucarne du toit, se frotter « aux mots qui font se retourner » ;
Chaque poutre a des graffitis : nostalgie, enfance, hier.
Il pourrait rester suspendu à rêver, à regretter mais on ne peut pas vivre
Perché.
Le rez de chaussée l’aspire en douceur, il redescend dans « les mots du présent », ils n’ont pas d’étagères, ils diffusent, fusent, profusent, transfusent ;
Pas besoin d’un mot parleur, ils sont là : aujourd’hui, à la minute, pleinement.
Avant de sortir, le passant suggère au vendeur la création « des mots mouillés » : rosée, glouglou, ruisselle ; les mots qui font pousser la plante, qui maintiennent l’humidité et la permanence.
Mêmes les mots contraires s’y complaisent !

LE MOT
Marceau

LA BOUTIQUE DES MOTS :
La ville médiévale gravite autour du piton rocheux qui surplombe en
majesté la mer bleue infinie. Les constructions de vieilles pierres s’appuient
les unes sur les autres en un maillage serré et dense, qui dessine des
méandres complexes aux perspectives bien vite interrompues. Tout n’est
que venelles tortueuses privées de soleil, escaliers abrupts aux marches
usées par le temps, passages voûtés aux porches mystérieux. On devine les
toits de tuiles rouge et ocre, si hauts, occultés aux simples mortels se
traînant au rez.
Je me suis laissé dire qu’au milieu des échoppes centenaires gisaient
encore les restes d’une boutique magique, étrange, fréquentée jadis par des
bourgeois indigents en mal de lettres. Je serpente dans la désolation des
ruines encombrées de gravois et d’herbes folles, à la recherche du temps
passé. Au sol, un cartouche en bois délavé résiste aux injures des
intempéries séculaires. Je m’efforce à déchiffrer les traces ténues qui
subsistent encore. Je crois pouvoir décoder quelques bribes d’inscription
qui se dessinent :  »écrivain public » !
Je n’ai guère confiance en mes capacités de déduction, mais mon
imagination fait fi de tous scrupules et prend vite le pas sur mon
cartésianisme. Je devine à l’entrée les rideaux rouges et or qui calfeutraient
le réduit, sans doute un vestibule. Je constate une succession d’alvéoles
chichement éclairées, aux murs recouverts de tiroirs, chacune meublées
d’une table bancale et de deux chaises vermoulues. J’imagine l’encrier de
porcelaine, la plume effilochée dormant sur une liasse de papier jauni.
L’énigme du lieu devrait m’interpeller mais ma rêverie s’emballe.
Je vois, sous mes yeux, le maître de céans accompagner son hôte, un
messire en panne de belle composition propre à séduire, manquant de bons
mots pour capter ses courtisans, privé d’invectives cruelles et sèches à
l’encontre de ses créanciers, avare de subtilités maniérées pour convaincre…
Il lui présente la destination de chacune des loges. La première, la
plus fournie, a pour nom : Incertitudes ! dédiée aux amoureux éconduits.
Elle contient le fatras le plus invraisemblable de mots venimeux, de type
bestial, comme : vipère lubrique, dragon, mégère, harpie…, et autres
termes de plus élégants en la matière. Aussi les expressions compassées au
naturel embarrassé, les formules contrites aux mille regrets, les métaphores
larmoyantes ou attendrissantes, les euphémismes nostalgiques avec leurs
remords éplorés.
Notre quidam a de quoi fournir une armée de grincheux vengeurs et
de maris trompés. C’est la principale activité de son officine pleine d’avenir,
faisant de lui un homme respecté pour ses gains, mais aussi pour les secrets
à jamais enfermés dans sa mémoire, à défaut d’être enfouis, six pieds sous
terre, dans le cimetière des illusions perdues.
Mais comme pour effacer la mauvaise impression de tant de
polémiques en latence, il s’empresse de lui ouvrir le chemin vers l’Azur.
C’est le tout dernier cabinet, niché au fond du corridor, la chambre des
béatitudes, de la séduisance et de la poésie.
Une gratitude à faire savoir, et voici le tiroir de fiches jaunes emplies
de bénédicités et d’oraisons adéquates ; une damoiselle à émoustiller, et
s’épand sur le pupitre une foison de termes dignes des paladins énamourés.
Les mots suaves les plus ensoleillés papillonnent en tout sens. Les plus
douces des mignardises cucupralinées fondent auprès de leurs semblables.
Il y en a pour tous les goûts : amour tendre ou amour vache, passionnel ou
platonique, désintéressé ou raisonnable.
Mais bien sûr, la poésie n’est pas oubliée. En ce monde complaisant
aux pires abominations, elle fournit un refuge intemporel, une échappatoire
intime et émouvante. Les casses débordent de lettres composant l’hymne
aux déesses de la beauté, de la nature, de la vie et du mouvement.
Terpsichore trone en bonne place, complice d’Erato et de Polymnie. Clio et
Calliope forment un duo d’exception. A elles deux, c’est tout
l’enchantement chaleureux du répertoire lyrique et de la verve courtoise.
Dans leur boudoir intime, en chuchotant, l’un expose ses desiderata,
l’autre de lui susurrer le sens, la précision, la perception d’un mot. Il ouvre
les tiroirs pour en extraire quelques fiches, et un autre qu’il renverse tout de
go sur la table. Interrogation silencieuse, sourire à la justesse d’une
trouvaille.
La plume se trempe d’encre violette et la feuille devient épître,
missive ou billet.
REZ : contraction de  »rez de chaussée ». Niveau du sol pour un promeneur.
SEDUISANCE : séduction sans action, charme platonique ou discret, qui s’exerce naturellement.
CUCUPRALINÉES : De  »cul-cul la praline ». Quitte le personnage pour se consacrer aux choses : mots,
expressions, objets naïfs.

UN CARNET
Marceau

L’INVENTAIRE
Qui se souvient de son premier carnet ?
Je me souviens de celui où j’écrivis maladroitement les mots à ne pas
prononcer comme ‘caca-fouilla’ ou ‘boudin-boudé’, les gros mots les plus
abjects comme ‘punaise des bois’ ou ‘zut’, les mots qui m’interpellaient
comme ‘mécréant’ ou ‘aphte’, que je croyais être une maladie honteuse.
Un jour, pour le protéger, et accessoirement pour m’éviter une fessée,
j’ai dû s’escamoter et s’enterrer dans une cachette secrète, à l’abri de toute
indiscrétion. Si discrète que je l’ai vite oubliée. Encore aujourd’hui ma
mémoire le protège au plus profond de mon inconscient.
Et celui des chansons d’éclaireurs, d’une écriture déjà mieux
maîtrisée à la plume « sergent major », mais, question imagination …ce
n’étaient que recopiages. Bien que, en y repensant, je les agrémentais de
gribouillis bien naïfs, coloriés aux crayons souvent épointés, que je prenais
pour des dessins. Mais bon, j’en était fier. Lui aussi, perdu corps et âme. Si
encore il avait pu faire un heureux.
Et celui-ci, pas encore entamé, que deviendra t’il ? De quel exploit
va-t-il se rendre complice ? Survivra-t-il à mon grand âge, prétendre à mes
dernières volontés ?
IDENTITE
Je suis un carnet, certes de belle facture, bien cartonné, relié d’un
beau ressort aux mille vrillettes argentées, mais un carnet tout simplement.
Mon histoire est celle d’une page blanche, une feuille pour ceux qui
ne savent pas lire, bien heureux gens en ce bas monde.
Mon rêve, un jour, serait de m’attacher à une pensée, de me tacher
d’une encre bleue bourrée de grands principes, de souvenirs heureux,
émouvants ou dérisoires.
Je plains ceux qui savent lire, qui en attendent, sans y prendre garde,
les derniers potins, la nouvelle légende urbaine ou la brève de comptoir
bien salée et bien grasse.
Ils ne voient pas dans ma blancheur immaculée toute la poésie qu’elle
contient, ils ne sentent pas le frisson d’un vélin, la délicatesse d’une pelure,
l’avidité d’un buvard assoiffé.
Moi, dans ma candeur virginale, je n’intéresse personne.
Je vis ma vie en transgressant toutes les convenances qui font que
lire vaut pensée, alors qu’avec mes copines, bien vautrées les unes contre
les autres, je rêve de poésie, de mémoires et de souvenirs que nul, jamais,
ne saura transcrire.
POUVOIR MAGIQUE
Je t’observe depuis bien longtemps, depuis que tu me trimbales dans
ton sac comme le vulgaire subjectile de ta plume. Tu me considères sans
état d’âme, dépourvu d’empathie ou d’un quelconque attachement.
Détrompes-toi : Je suis ta chose, maintenant !
De grâce, ne m’exhibes plus devant ta cour pour faire rire de mon
indigence, d’autant que tu m’as affublé d’une caricature indigne et perverse
qui travesti ma volonté de bien faire. Mais passons.
Ce qui me rend perplexe, c’est ta grande naïveté, ton amnésie sans
cesse reconduite. Quand j’y pense … Tout à l’heure encore, tu as oublié ce
que tu avais annoté sur mes pages blanches.
Heureusement pour toi, tu pourrais t’en offusquer, à relire, écrit de tes
propres mains, un tel fatras d’incongruités. Si ton entourage avait vent des
énormités que tu oses coucher sans complexe, des pensées inavouables qui
entachent mon précieux vélin, de ces certitudes définitives que tes
élucubrations imbéciles produisent sans vacance, ton aura en prendrait un
sacré coup. Pauvre de toi !
Par bonheur pour ta renommée, entre nous est née, comment dire,
une complicité, ou mieux, une certaine affection. Alors, je veille. La nuit
venue, seul au delà du temps, je m’applique à effacer tous ces écrits que tu
commets sans vergogne, en croyant te renouveler en toute suffisance,
encore et encore.
Mon pouvoir s’arrête là.
Alors, par pitié, conserves moi ainsi, pages blanches immaculées,
indemnes de subtilités sans nom ou de graffitis sans expression. Peut-être,
un jour, la sagesse venant, j’accepterai de bon gré de recueillir tes
dernières volontés et, béatement, devenir ton codicille pour l’éternité.

TAILLE CRAYON écriture et réécriture.
Marceau et Thérèse.

J’habitais un aiguise crayon, qui avait de multiples faces.
Le toit était fendu pour y coucher l’âme.
En son cœur s’élevait une cheminée cruciforme qui façonnait le fumée.
Le mur principal en béton arme acceptait la béance du trou,
Cercle parfait, il conduisait le jour et laissait passer les verts.
Il s’essayait aux parallélépipèdes, parois de soutien
Qui enserraient en étaux protecteurs le vivant du dedans.
Des barrettes verticales occupaient le centre,
Les stries se prêtaient aux jeux de l’escalade.
Elles se bordaient de plats argents et brillants,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
La base de l’objet portait le paranclé ciel et terre et
Sur le bord le plus tenu, le rectangle avait des largeurs minuscules
Juste ajouré d’un escalier à paliers.
J’habitais un aiguise crayon, bastide aux multiples façades.
Le toit de zinc gris, fendu d’une verrière, invitait au repos de l’âme.
Perchée en son cœur trônait une cheminée cruciforme qui animait la fumée.
Le pignon principal, en béton armé, s’éclairait d’une baie translucide,
Cercle parfait, elle conduisait le jour et occultait les vents.
Contre-vent, refends et parois de soutient s’essayaient aux parallélépipèdes,
Anamorphose de remparts, protecteurs du vivant d’en dedans.
Des clins verticaux striaient le trumeau central,
Ils se prêtaient à merveille aux jeux de l’escalade.
Ils s’ornaient, de part et d’autre, d’aplats argentés et lumineux,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
Le soubassement de l’édifice et l’acrotère, aux lignes minuscules,
Liaient ciel et terre dans un écran irréel,
Juste hachuré par les marches d’un escalier à paliers.

textes du jeudi (vrac)

SOCIÉTÉ ANONYME.
Danielle

A la société anonyme, l’affaire démarra sur un malentendu : comme personne ne savait qui faisait quoi, quelles étaient les tâches qui incombaient à chaque représentant, un« embroglio » fantastique commença à se profiler, dans les bureaux du 3ème étage.
Cela prit une telle proportion, que, très vite, tout le bâtiment, du plombier au PDG, tous les étagesfurent envahis par cette odeur nauséabonde : l’odeur du fric obtenu malhonnêtement, bien qu’à la source, les origines fussent étroitement cachées.
L’histoire, donc, fut racontée.
Mais, de bouche à oreille, de l’un à l’autre, les déformations allèrent en s’amplifiant.
D’abord, il était grandement question de transformer les statuts pour que la société améliore sa rentabilité. Puis, comme il ne fallait pas faire d’excédents trop visibles, on eut recours à un expert comptable dont la mission était de faire apparaître à l’ AG, dans le rapport financier, que les comptes étaient honnêtes et équilibrés.
Enfin, cela ne suffisait apparemment pas!
Alors, on prit un avocat en remplacement de notre comptable. Et ce fut à ce jeune orateur de donner les bons arguments et les preuves irréfutables.
Il s’agissait de « bien tirer les ficelles », pour montrer que les recettes et les dépenses étaient « équilibrées ». Dans ce jeu d’écriture, en faisant parler les chiffres et les pourcentages, on
n’y verrait que du bleu.
Mais, si l’avocat a l’art de la rhétorique et excelle au barreau, par contre il sait peu aligner les chiffres et se perd dans les calculs, tant et si bien qu’il finit par prouver le contraire de ce qu’il avait annoncé au début.
Ce dernier, tout expert qu’il était, ne sut rien argumenter.
Sa plédoirie se termina «en eau de boudin! Donc, on le congédia.
Il partit, honteux, la tête basse, en portant la lourde charge du malentendu non résolu!
(Affaire non résolue, non classée =>affaire à suivre)

CAMILLE CLAUDEL AU SUPERMARCHE.
Mélanie

Elle était là, la statue de Camille Claudel, au milieu d’un rayon, rongée comme la peste. Cette belle du seigneur Rodin ne semblait plaire à personne. Pourtant si l’on prêtait un peu attention, on pouvait s’apercevoir que son parfum aurait pu transpercer une nuit
Mozambique, qu’elle était en réalité achalandée comme une plaisanterie de mauvais gout, aussi gauche qu’un rhinocéros dans un magasin de porcelaine ! Elle aurait provoqué une crise d’asthme à ce scélérat de François Villon lui-même ! Après 100 ans de solitude passée au milieu des autres statues muettes du musée d’Orsay, la voilà propulsée entre les boites de céréales et les cornichons. Les mains libres, énigmatique comme une légende martienne, mais hélas ridicule comme un champion du monde de ski qui retournerait en classe de neige. Camille Claudel, perchée en haut d’une dune de navets. Voilà une publicité parfaite pour le supermarché.

L’EXILÉE
Thérèse.

Il aura duré un temps son essai d’adaptation dans ce pays de la raison où chaque être se fuit craignant pour son avoir.
Elle pensait s’intégrer sur cette chaîne de haute couture, pour s’aider, elle portait sur elle, trois objets fétiches.
Le dès à coudre de sa grand-mère, plus très utile dans ce contexte mais il la protégeait des remarques acérées du contre maître.
Elle avait, autour du poignet, la montre de son beau-père, toujours précise et sûre, elle signifiait la gravité du personnage, ancien anarchiste aussi exilé, il n’exécutait un travail que proposé avec courtoisie.
Sa bague en perles délavées soutenait les beiges, ceux des grains de sable de la crique de là bas.
Elle notait avec soin, sur des morceaux de papier, les étapes de son labeur :
Déplier amplement le tissu, le positionner sur le revers, le laisser filer le long du pied de biche et maintenir une légère pression.
Chaque soir, elle aiguisait la mine de son crayon à papier HB aux rayures rouges et noires.
Elle surlignait les moments les plus critiques : le surfil des trous ovales du boutonnage, la piqûre ajustant l’aisselle à la pointe du sein.
Trop de minutie pour les tissus ! Combien de fois elle a cherché ses lunettes dans un étui vide !
Elle les portait déjà, elles sont insuffisantes pour cibler la ligne du faufil !
Longtemps assise, courbée et étourdie par le cliquetis des machines, elle se concentre mais son esprit se prend à flotter de ci, de là.
L’automatisme des gestes est inscrit dans son corps, jusqu’où va -t- elle s’arcbouter, tendue dans cette résistance pour empiler les tissus toujours plus haut ?
Ce soir, le travail est plié, conforme, impeccable.
Aussitôt relâchée, la nuit est là, l’air enfin, les odeurs, la rue…..
Ses mains restent crispées au fond des poches, elles enserrent les boules de papier « pense-bête »,
Ils sont prêts pour la première bouche d’égout.
Plus au fond, quatre sous seulement ! L’ouvrière ne court pas après ses revenus !
Dans le mouvement de ses pas, elle colore ses lèvres d’un geste familier, elle écrase le rouge vermillon, elle alourdit la touche.
Elle défait ses cheveux, les reprend par touffes dans son peigne aux dents cassées.
Elle mouille son cou en secouant un échantillon d’ambre et se campe au regard de tout.
Libre, audacieuse, grinçante, elle est identifiée à elle-même. Sa carte est plastifiée, pas encore déformée par les contrôles routiniers.
Plus tard, de plus en plus tard, revenue à elle seule, elle griffonne le désordre de ses observations dans son carnet à ressort.
Réunie enfin, en ce moment précis, imitera-t-elle le carnet de bal d’une courtisane ?
Elle sait que le noir n’est pas une couleur dans le prisme de la vie, il ne vibre en lumières qu’aux côtés du rouge.
Le long du crayon rayé, elle promène son pouce.

HISTOIRE COMMUNE
LES MUTANTS
Marceau

Tout là-bas, tout au fond de la mer, au pied du glacier de l’Escondido,
dans le silence feutré de l’élément liquide, un événement majeur se prépare.
Un bouleversement sans précédent arrive à son terme : les anémones ont
vaincus leur peur ancestrale du milieu aérien, pour enfin profiter
pleinement de leur condition animale plutôt que d’en rester à leur état
végétatif. Depuis des temps immémoriaux, cachées de tous, surtout de la
curiosité des hommes, elles se conditionnent, dans le plus grand secret, à
leur métamorphose.
Nul sur Terre n’a jamais vécu un tel changement en si peu de temps.
Des millions, des milliards se lancent à l’assaut d’une nouvelle vie, à la
poursuite d’une autre destinée. Peu à peu, avec les gestes à peine ébauchés,
leurs tentacules frémissantes, tel un immense tapis vert, elles se lancent à
l’assaut du rivage. Elles progressent lentement dans l’escalade des fonds
marins.
Elles découvrent maintenant l’eau douce. C’est un sensation nouvelle
pour elles. Elles apprécient leur propre ressenti, qui semble les stimuler, les
encourager. Elles remontent la rivière glacée mais vivifiante. Les choses se
précisent.
Déjà, certaines sont à l’air libre. Toujours plus haut, encore et encore.
Le glacier de l’Escondido n’est plus cette masse blanche immaculée,
intemporelle. Il verdit à vue d’oeil. Les fleurs animales l’ont vaincu. Elles
prennent possession de son domaine, inviolé à ce jour, depuis la nuit des
temps. Elles le recouvrent jusque dans les moindres recoins, investissant le
sérac, comblant les crevasses, elles le prive d’air, elles le réchauffent.
Emmitouflée d’un beau manteau vert tendre, la neige à disparu, elle a
laissé le sol à nu, qui se fond dans la végétation environnante. Les arbres,
les herbes, les anémones ne font plus qu’un. Une nouvelle vie débute. Le
glacier de l’Escondido a totalement disparu.
Avec un tel nom, pouvait-il s’attendre à une autre fin ?

UN BESTIAIRE POUR MAIKO
Marceau

Il y avait si longtemps que j’en rêvais : offrir un autre cadre de vie à ma ‘pôvre
petite Maïko’, ma petite chatte bleue, câline et conviviale, aux yeux pers et brillants,
vivante et curieuse. Elle est cantonnée dans ce qu’elle appellerait ‘une niche sordide’.
Pas un arbre à sa portée pour grimper à grands coups de griffes acérées, pour
surveiller attentivement le moindre mouvement suspect, et bien sûr pour y somnoler,
d‘un oeil, au soleil du matin. Ici, elle n’a à sa disposition qu’un pot rachitique où
pousse une herbe malingre, qu’elle grignote parfois, plutôt pour nous encourager à
penser à elle, et peut-être aussi pour nous faire plaisir. Ici, pas un oiseau aux plumes
chatoyantes qui, derrière la vitre, excite si violemment son appétit.
Où passent donc ces merveilleux et mignons petits chats que tu contemples
des heures durant, assise bien sagement devant le poste de télé, ta fenêtre magique.
As-tu conscience que ceux que tu prends pour de gentils frères de race, nous les
nommons lions, léopards, diables de Tasmanie ? Et que dire des frères de ton
amoureux Virus, le vieux et nonchalant Labrador qui vient parfois te rendre visite :
sais-tu qu’ils ne sont que loups, renards ou hyènes ? Dans leur monde sans pitié, ils ne
feraient de toi qu’une bouchée.
Quel est donc ce monde étrange, sans odeur, si fade, qui te fait tant rêver ?
Voici la triste vie de Maïko, dans cet appartement étroit, son domaine, écrasé entre
deux immeubles vieillots le long d’une rue nauséabonde et bruyante, bordée de
constructions aussi laides que modernes.
Un jour, la chance nous a souri : nous héritons, à la campagne, d’un immense
parc arboré et bien exposé. A cette annonce, elle s’est roulé sur le tapis, les pattes en
l’air, s’étirant sous les caresses, me gratifiant de son ronron discret et chaleureux.
Aurais-tu compris ?
Petite Maïko, oui, tu ne seras plus obligée de t’interroger et de rêver, seule devant
cette boite, à une nature luxuriante, colorée, mouvante, habitée. Tu verras en vrai le
soleil se lever sur les montagnes, tu sentiras à pleins poumons les herbes aux mille
senteurs vivaces, tu escaladeras à ta guise les arbres innombrables qui protègent de
leur ombre apaisante les habitants du lieu. Car, au centre de ce parc, je construirai une
vaste maison lumineuse, encastrée dans les bois, où de nombreux passages privés
seront à ton entière disposition. Ces chatières offrirons à chacune de tes allées et
venues une porte vers de nouvelles aventures, d‘où tu sortiras à ta convenance, même
la nuit, à l‘heure de tes chasses oniriques.
Tu ne rêveras plus la nature, tu la vivras.
Tu exprimeras sans réserve tes dons innés de traqueuse, pour te régaler de quelques
taupes fouisseuses ou de mulots imprudents ; tu te confronteras à tous ces animalcules
grouillants et succulents qui attisent si bien ta curiosité gourmande ; tu plumeras à ta
guise tous les volatiles en transit sur ton territoire, surtout ces pigeons qui, en ville, te
narguent au passage devant la fenêtre, certains qu’ils sont de leur impunité.
Je ferai venir, de tous les coins des mondes reculés, les fauves les plus grands,
les plus sauvages et féroces qu’on a peine à imaginer. Tu observeras leur rapide et
terrible course au gibier, puis leur partage avide et hargneux. Tu les verras aussi
rassasiés et tranquilles, grommelant de plaisir, auprès de leurs petits jouant aux
apprentis prédateurs.
Je suppose que la réalité qu’un tel spectacle aura de quoi te choquer. Saches alors que
tu m’offre le même, à l’échelle réduite, soit, mais aussi cruel que nécessaire.
Quoiqu’il en soit, tu n’auras pas à t’inquiéter de leurs regards envieux sur ton pelage
soyeux, qu’ils prendraient volontiers en entrée dans un festin de roi : je veillerai sur
toi.
Je te protégerai de ton ignorance innocente :
Les fauves seront en cage, mais toi, tu seras libre !

je me souviens (compil)

JE ME SOUVIENS
Andrée

Je me souviens lorsque l’eau courante a été installée dans notre cuisine, au mois d’octobre 1948.Auparavant, chaque jour l’une d’entre nous, les plus grandes des filles, devait à tour de rôle descendre les deux étages et aller dans la cour extérieure tirer sur la pompe pour remplir d’eau les deux brocs. Ensuite, il fallait remonter, péniblement sans renverser ; et cette opération se déroulait plusieurs fois par jour. Pendant que les aînées ou l’un des parents faisait cette corvée, une autre devait vider les pots de chambre dans les grands seaux hygiéniques et devait descendre dans la cour et aller vider dans le cabinet public qui était un w.-c. à la turque et nettoyer évidemment les pourtours en prenant l’eau à la pompe qui était proche de l’endroit. Ceci en été comme en hiver, matin et soir. Il fallait aussi rincer les récipients et remonter l’ensemble tout le long des deux étages.
Jusque là, nos parents se lavaient dans une cuvette en faïence sur la tablette de marbre, morceau par morceau, dans leur chambre où régnait toujours une bonne odeur de savonnette. Les grandes soeurs avaient des cuvettes émaillées dans les deux chambres des filles comme notre grand-mère lorsqu’elle est venue vivre chez nous, après la mort de Grand-père, en 1947.
Nous les petites, notre frère étant encore un bébé, on nous lavait à l’évier.
A partir de novembre 48, nous avons pris des bains dans le Tub, grande et large cuvette en ferraille émaillée. Maman faisait chauffer de l’eau dans la lessiveuse ou le chaudron et avec une louche, elle versait suffisamment d’eau pour que nous puissions nous asseoir dans le récipient et tremper aussi nos pieds. Quel bonheur ! Mais il faisait froid ailleurs, car le chauffage n’était fourni que par la cuisinière et l’hiver par un poêle à bois, nous voyions les flammes à travers une fenêtre de mica. Lorsqu’il fallait laver nos cheveux que nous portions toutes très longs, c’était un énorme travail et heureusement nous n’avions pas à nous bousculer, chacune y passait à son tour. C’est en janvier 1951, je crois qu’l y a ru un chauffe-eau qui a permis que nous ayons de l’eau chaude au robinet ce qui a simplifié la vie familiale. Cela correspond dans mon souvenir à l’achat de la machine à laver le linge et de l’essoreuse.
Mais dans cette maison, nous n’avons jamais eu de water-closet ou cabinets à l’intérieur.
Il a fallu déménager pour trouver dans notre nouvelle maison en 1954, des toilettes intérieures, le début du tout à l’égout, mais il n’y avait pas encore de chauffage central. Mon
père a pu le faire installer qu’en octobre 1958 après que nous ayons vécu le terrible hiver que la France a connu. Enfin, il a fait installer douches et baignoires en 1973.

SOUVENIR D’ENFANCE
Claude D.

J’ai six ans et je viens de passer une longue journée à l’école. J’ai mangé à la cantine et je suis restée à l’étude. Je suis fatiguée et il me tarde de retrouver ma chambre et ma tranquillité. Sur le chemin du retour ma grand mère m’explique les travaux qui sont faits dans notre appartement : l’installation d’une salle de bain. Il a fallu casser le mur du cagibi et faire une porte. L’eau a été coupée toute la journée afin de réaliser les différents branchements pour toutes les installations.
– Mais j’ai toujours ma chambre ?
– Bien sûr que oui, me rassure ma grand-mère, une salle de bain c’est fait pour se laver c’est tout.
– On ne se lavera plus à la cuisine ?
– Non, on se lavera dans la baignoire, soit en la remplissant, soit en se servant de la douche et pour le bout du nez, les dents et les petites mains dans le lavabo.
– C’est quoi une douche ?
– Tu verras tout cela jeudi soir, tout sera installé.
Effectivement, pendant trois jours, une partie de l’appartement fut cachée par de grands morceaux de plastique opaques, impénétrables.
Le jeudi soir, en rentrant des activités de plein air, tout était rentrée dans l’ordre en dehors d’une porte de plus dans le couloir : la porte de la salle de bain.
Je pénétrai enfin dans cette pièce inconnue. Tout était blanc, avec du carrelage sur les murs, comme à la piscine. Parallèlement, sur chaque mur, il y avait une grande bassine sur pieds, la baignoire, avec un grand rideau à fleurs qui pendait du plafond, c’est pour ne pas mettre de l’eau partout me dit ma grand-mère. En face, il y avait un petit évier tout brillant, le lavabo ; au fond de la pièce, dans l’angle, une autre petite bassine à pieds, le bidet.
– Dis Mamie, il faut tout ça maintenant pour se laver ?
Eclats de rire.
Quelques minutes après, pas du tout rassurée, accrochée à ma grand-mère, je rentrais dans la baignoire et prenais ma première douche : moment magique, chaud, doux, facile. Je m’habituais très vite à ces séances quotidiennes et appréciais, pour la première fois, le confort et la modernité.

instructions pour (compil)

INSTRUCTIONS POUR SE GRATTER
Andrée.

Mesdames, Messieurs, Imaginons tout d’abord plusieurs types de situations.
En famille, chacun se gratte, voire demande à son parent ou frère et soeur de l’aider et tout le monde s’en trouve bien.
Mais il est impossible socialement de se gratter devant certains autres. Par exemple, il est interdit de se gratter devant le Pape, devant le Président de le République et autres chefs d’Etat, Rois et Reines de notre univers ; ainsi que de toutes sortes de gens de cette importance, Patron, Directeur et autres représentants de la Force ou de la Loi. Dans ces occasions, il faut inhiber absolument cette envie en pensant à autre chose, une catastrophe naturelle ou un bonheur subit.
Maintenant étudions les endroits où on peut se gratter.
Il nous faut considérer les endroits du corps où il est mal vu de se gratter : certains orifices pulsionnels tels les trous naturels situés en dessous de la ceinture, les organes sexuels et les
endroits du corps difficiles à atteindre à travers les vêtements, entre les omoplates, l’emplacement du coccyx etc.
Envisageons maintenant les situations faciles à gérer :
Facile, d’un ongle de l’index distrait de fourrager dans le sourcil, la moustache ou la barbe, et le cuir chevelu. Facile d’utiliser l’ongle de l’auriculaire pour apaiser l’orifice de l’audition, régenter le duvet autour des lèvres, voire calmer la démangeaison des narines.
Lorsque dans une soirée mondaine, vous voulez vous gratter le dos, il vous faut repérer l’angle du mur ou l’ouverture d’une porte ou du pilier cubique de la grande salle et subrepticement vous approcher à pas nonchalants de votre grattoir, vous aider d’une jambe relevée contre l’appui et en chaloupant au rythme de la musique d’ascenseur qui est censée réchauffer l’ambiance, vous frotter de haut en bas ou latéralement en visant au mieux. Evidemment si vous êtes femme, il convient d’éviter de dégrafer le soutien-gorge. Si vous êtes homme donc avec un large dos, il serait dommage que la peinture du pilier vienne enjoliver votre costume qui vous a coûté un bras, d’ailleurs vous n’irez plus chez ce tailleur qui a volé, c’est sûr.
Je recommande à ceux qui ont une démangeaison sous la plante des pieds de gagner illico les toilettes pour, tout à son aise, se déchausser et enlever collants ou chaussettes avant d’assouvir ce besoin.
Dans une prochaine conférence, nous étudierons des cas spéciaux dont vous voudrez bien me faire-part au cours de la discussion que je vous invite à entamer.

INSTRUCTIONS POUR NE PAS MARCHER SUR SON OMBRE
Marceau

Mes amis, nous voici réunis ce soir, comme tous les premiers jeudis du mois, pour assister à notre leçon de rhétorique transcendantale et surréaliste. Il nous faudra avec tout le sérieux qui nous anime, et avec toute la science dont on est naturellement, en toute humilité, les dépositaires, examiner le problème que pose à la société, à tous les hommes épris de sagesse, les désagréments que subit, jours après jours une ombre. Notre ombre, a être sans cesse piétinée, pourchassée, effacée dans les recoins, annihilée au moindre caprice d’un nuage misérable, réinventée au gré d’un soleil récalcitrant.
Un peu d’empathie que diantre !
Que peut ressentir cette pauvre entité si fragile, cette silhouette si fidèle, pleine de vie, d’une telle existence ?
Nous conviendrons, en préambule, qu’elle nous appartient. Qu’elle est notre moi immédiat, notre mouvement, l’émanation de notre corps sublime et talentueux. Alors, messieurs, respect !
Pour commencer, ne pas confondre l’ombre portée avec celle dont il est question ce soir. Nous ne parlons pas de l’ombre portée des nains au coucher du soleil, qui fait d’eux des géants. Bien leur profite, mais ceci n’est pas notre propos.
Allons au plus simple : comment nait-elle ? De jour, bien entendu, de préférence au soleil. Ce point est capital dans notre démarche, car notre attention, délicate et affectueuse, cesse à la tombée du soir ; pas d’heures sup dans notre action, et c’est bien ainsi, tant de précautions sont prenantes, obsédantes, même. Alors, quand le repos de l’ombre sonne, il sonne aussi pour nous.
Bref, vous avez remarqué que pour marcher sur son ombre, il nous faut tourner le dos au soleil. Première incongruité. En effet, nous qui rêvons d’aventures, de conquêtes, de
prouesses, ne pouvons marcher que vers la lumière, vers la gloire. Tel est notre destin. C’est ainsi que, naturellement ou peu s’en faut, nos accomplissons une partie de la mission. En marchant en avant vers le soleil, nous tournons le dos à notre ombre. Et voici que les rôles sont inversés : à elle maintenant de courir après nous, de s’essouffler, de s’époumoner à nous rattraper. On ne sait jamais, tout espoir lui est permis. Mais au moins, nous voici sorti de l’abime :
Elle ne pourra plus jamais nous piéter.

INSTRUCTIONS POUR AVOIR PEUR.
Malvina

Surtout ne pas se décourager, la PEUR prend son temps, elle monte lentement, insidieusement, elle s’apprivoise, elle se niche…
Concentrer ses idées, maître mot : vouloir !
Avoir les sens en éveil, pour ne pas dire aux aguets.
Si, naturellement, on est de caractère plutôt hardi ou pire, héroïque, alors il faut soigner l’ambiance..
Comment y parvenir ?
S’imaginer être seul au monde, dans une maison de préférence isolée.
Allumer les chaînes d’infos continues, écouter les faits divers, mémoriser les statistiques sur la violence urbaine.
Boire le matraquage médiatique sur la hausse des agressions, en hausse vous dit-on, en hausse !!.
Devenir croyant puisque la méthode Coué fonctionne si bien.
A partir de cette phase, vous commencez à être mûrs,
Vs pouvez maintenant éteindre la télé, vous êtes imprégné d’angoisses, tout va bien !
Persuadé que le monde est hostile, vous avez la chair de poule, vous frôlez la paranoïa.
S’il vs reste, malgré contre toute attente, encore un brin d’audace ou un résidu résistant de bravoure intrépide voire de hardiesse mal contrôlée…
Alors là ! employer les grands moyens !.
Choisir plutôt une nuit de forte tempête, obligatoirement les arbres doivent gémir autour de la maison. C’est bien mieux !
Se jeter à cerveau perdu, dans un DVD d’horreur ou une série de sérial killer, selon votre choix, mais, il est cependant vivement conseillé, de rester dans ces films de genre..
Au chaud, à l’intérieur, allumer des bougies pour les ombres portées, effet garanti..
Se recroqueviller dans un coin de canapé, dans la position la plus foetale possible, (selon votre souplesse). Raccourcir votre souffle, respirer à l’économie.
Si vs pouvez haleter, c’est mieux !.
Ouvrir grand vos oreilles aux dialogues du film, composés de cris soutenus par une musique apocalyptique, qui sortent de l’écran, sans oublier d’écouter tous les bruits au-delà de la pièce. Important !
Se Concentrer en même temps sur les battements de son coeur, positif s’ils accélèrent !! Vous êtes sur la bonne voie !
Repérer le bourdonnement dans l’oreille, le pilon qui frappe vos tempes, votre sang qui pulse..
Croire entendre le téléphone sonner. Vs l’entendez ? très bien !
Aller décrocher en vs déplaçant le plus silencieusement possible… chut !
Vs percevez, dans l’épouvante, une sorte de souffle humain et grave qui ne prononce aucune parole ?
Ne dîtes pas un mot, ce n’est plus la peine, raccrochez doucement. Très bien !
Avant, vérifier tout de même, que l’appel ne vient pas du poste de l’étage supérieur ?!
Laisser monter la confusion dans votre cerveau et entretenez le doute !
Regagnez votre place et reprenez votre position genoux sous le menton.
Faîtes-vous tout petit ! Nooon, encore plus petit ! il faut maintenant sentir la moiteur de vos mains, la sueur froide ruisseler le long du dos entre les omoplates, se laisser envahir par un début de tremblement de vos lèvres et de vos genoux !
vs avez l’estomac noué, des spasmes de paupières, la peur au ventre, vs tremblez comme une feuille ?!
Voilà ! Vous êtes un très bon sujet ! C’est parfait !
Vous avez suivi à la lettre le mode d’emploi !
Vous avez construit, élaboré l’atmosphère pétrifiante idéale !
Vous avez réussi !
Vous connaissez maintenant pleinement la PEUR, simple, brutale, totale, envahissante, paralysante !
Dernière instruction, pour parfaire l’expérience : déverrouiller votre porte et sortez seul ds la nuit noire sans lune.
Si, vs vs entendez hurler à la moindre caresse du vent, l’objectif est atteint !!
Vous êtes mort de trouille !!
Vs pouvez répéter l’opération à l’envie, dans une vieille voiture rouillée, dans un manoir hanté ou chez votre dentiste !!

logorallyes compil

BELLE LIBRE.
Marceau

Je ne voyais pas le temps passer.
Toutes ces heures d’ennui à se morfondre au fond de ma cellule sombre et sinistre, seul et
accablé. Mais voici, enfin, le jour est arrivé. Le grand jour. Celui de ma belle. Si elle réussit, à
moi la liberté.
Après tant d’années de solitude, à sentir les parfums, que dis-je, supporter les miasmes
putrides d’urine et de mort émanant des geôles contigües, à encaisser des voisins leur
grasses plaisanteries d’un gout douteux, à entendre bien malgré moi, le récit des rêves
inassouvis d’étrangers, ou celui de leurs ‘légendes martiennes’, imaginées à haute voix, sans
vergogne.
Bientôt, j’arpenterai dans la nuit Mozambique les dunes infinies de mon inconscience, léger
et serein, en paix, les mains libres de toute entrave, de ces chaines façonnées pour meurtrir.
L’heure de ma résolution approche, et, soulagé, je m’offre le luxe de rêver. De rêver au
temps où mes enfants riaient de leur bonheur en classe de neige, insouciants, sautant
comme de cabris, chantant à l’unisson leurs prénoms d’amour à la ronde.
Demain, je serai sur la route d’Ithaque, non pas sur le retour, mais pour un voyage infini. Je
serai loin de cette forteresse aux murailles oppressantes, hérissonnées d’échauguettes
menaçantes.
Bientôt, je serai libre. Mon journal touche à sa fin. Journal de manoeuvres, de
dissimulations, interrompu sans cesse de qui-vive et d’alertes toujours renouvelées. Mon
cauchemar.
J’espère que mes enfants le recevront un jour. J’ai soudoyé le geôlier corrompu pour qu’il le
fasse sortir de ce trou, et le leur expédie sans délai. Je l’entends ; le voilà trainant ses
godillots sur les dalles humides, dans la démarche de conspirateur. Il faut dire que, lui aussi
risque gros, et je lui laisserai volontiers ma place en remerciement, mais avant, de grâce,
qu’il accomplisse sa forfaiture.
Fébrile, j’écris ces derniers mots : demain, je serai libre.

L’OISEAU

L’oiseau regardait avec attention autour de lui : il était en mauvaise
posture d’où il devait s’extraire en urgence. Sa survie dépendait d’un vol
d’évitement, efficace et rapide. Il cherchait une voie de sortie, pour piloter
sans coup férir vers un havre salvateur et leurrer le terrible épervier qui
guettait, fébrile et alléché, le passage du volatile. Notre kamikaze se sentait
plein de courage et se tenait prêt à la riposte.
Le prédateur s’impatientait de l’inaction de son festin pressenti et se
prépara à l’attaque. Celui-ci (le festin), prit conscience que ses chances
allaient en diminuant rapidement. Encaisser le choc de l’assaut lui serait
fatal. Il fallait bouger au plus vite. Avant que la messe ne soit dite et que la
musique n’entame un requiem morbide.
Il se lança alors, comme une flèche, dans une fuite éperdue, en un vol
frénétique de vie ou de mort. Le rapace le vit passer en trombe sous ses
yeux éberlués. Sa proie, tant espérée, n’était plus pour lui que souvenir.
Notre ami, échappé de justesse aux griffes acérées du croquemitaine
(bien réel à en juger les battements de son coeur), se posa au loin, sur une
branche hors de danger. Soulagé, fier de lui, il se loua pour son courage et
sa bravoure. Il s’imagina lieutenant dans la série « les têtes brûlées », ou
mieux, héros de cinéma dans le rôle principal du scénario dans « le plus
haut chapiteau du monde ».
Oublieux du terrible péril maintenant évanoui, il estima, volage, qu’
une récompense lui était due. Une gâterie fraîche et tentante, comme la
nature en prodigue tant, était amplement méritée. Il avisa, non loin, une
fraise bien rouge, bien dodue, appétissante à souhait. Il sautilla, guilleret et
léger en direction de la haie verdoyante, où l’attendait le fruit convoité.
Mais voici. Tapit sous les feuillages, les vibrisses frémissantes, prêt à
bondir, Matou aussi avait faim.

RENDEZ-VOUS
Mélanie

J’ai rendez-vous avec cet instant demain matin. Il me semblait si clair qu’il rappelait cette terrible saveur, probablement oubliée, enfouie, qui remonterait des surfaces sombres, telle une poupée aux yeux hagards, qui scrute le plafond, qui connait la langue mais ne dit mot.
Renaître un peu chaque jour, savoir et voir, s’engloutir dans des couvertures trop chaudes mais si petites, y respirer l’air que toujours l’on clone, gouter aux volutes de l’âme sans jamais être étourdie, aimer sans tergiverser.
S’autoriser les parenthèses où chacun parlerait des idiomes inconnus ; traverser les tempêtes en souriant ; toujours la lanterne au fond de l’oeil. Cet oeil fou qui transpercera le choix. Une bouteille perpétuellement lancée à la mer de soif. Reviendra-t-elle un soir ? Se blottir aux creux des reins ? Au creux des ombres formées par la bougie ? Enfin, seulement, elle pourra naître à cet instant.

Andrée.

Lorsque j’ouvre la fenêtre, c’est la verdure qui emplit mes yeux et cette quiétude paisible me met en position de supporter ce fait nouveau : je suis seule.
Oui, toute seule pour ces quatre jours à venir. Que vais-je faire ?
Je referme la fenêtre et en chantonnant je vais faire ma toilette. Encore ce sentiment de bien-être. Le bain, le shampoing, la buée sur les miroirs me font ressentir le duveteux, comme si les nuages étaient là, m’enveloppant de leur tiédeur mouillée.
Puis, à la cuisine, j’attrape la corbeille des confitures où le miel concurrence l’abricot, l’orange, la fraise.
J’installe une nature morte, tableau du petit-déjeuner : théière, tasse soucoupes et mes pains divers que je vais choisir…Tiens, la cloche de la chapelle voisine sonne huit heures. J’ai bien fait de me lever tôt. La journée, le week-end sont devant moi, sans bruit ni querelle.

LA FEUILLE
Thérèse.

La feuille s’était détachée, elle tourbillonnait suivant une verticale impeccable.
En montant, elle continuait à bavarder le long du tronc de l’arbre.
Pas besoin d’échasses, dans une confiance totale, elle atteignait les cimes.
Tourbillonner était son mot d’origine, insaisissable, sans support.
Elle n’avait aucune envie quand elle regardait, émerveillée,
ce funambule évoluer au dessus de la foule.
Ses souliers étaient cirés de noir, ils contribuaient par leur signe insistant
à tenir en haleine ces voyeurs enchantés.
Auraient-ils des yeux aussi brillants, des crampes de chaleur
en contemplant les risques naturels de sa condition végétale ?

LE MARCHE.
Claude D.

Au marché, je choisis quelques tomates cerises, ces mini-légumes ne pèsent pas lourd dans la balance mais coutent chers. Julien s’impatiente dans sa poussette et agite son hochet dans tous les sens. Il est pâle et nerveux. Ca y est il hurle. Il n’aime pas quand il y a du monde et du bruit. Comment réagir ? Laisser faire et il finira par se taire ou le prendre dans les bras. Je l’ai pris et cela fonctionne bien. Plus aucun son désagréable, ne sort de sa petite bouche. Il est tout content de dominer les étals. Les pommes rouges ont sa préférence et il essaie de les attraper. Non Non Julien c’est moi qui fais le marché, pas toi.

les petits métiers

accompagnateurs-d'absents

compilation de textes écrits à l’atelier du jeudi au centre culturel Bellegarde. sur le thème des métiers imaginaires …

Le remonteur de bretelles
Thérèse

Je suis l’artisan d’aujourd’hui
Remonté contre le temps
La colère est mon carburant.
Tel une mer démontée, je répare ce qui cède dans le camp de réfugiés.
Je suture la courroie qui hisse le seau du puits.
Je jette des pelletées de gravier sur les voies de raccordement
Je tisse des liens élastiques dans les bandes d’étoffes des femmes
Le poids de leur enfant déchire leur échine courbée.

Je suis l’artisan d’aujourd’hui
Remonté contre le temps
La colère est mon carburant.
Maintes fois je compresse des bandages sur les plaies.
Je raffermis le moral
Je réconforte
Et tends à nouveau le ressort de l’élan – tel l’horloger sur ses montres.
Il m’arrive d’offrir à ces femmes des porte-jarretelles scintillants
Venant d’autres femmes
Des essayages pour les Peaux d’Ânes des tentes de fortune

Et, tout près de chez moi
Je vois les ouvrières, étirées sur le tapis roulant bondé d’articles à étiqueter
Leurs épaules sont endolories
Leurs gestes sont prêts à ralentir, mais
Les sangles liées aux poignets tirent leurs mains en arrière
Protection et cadence obligent !
Où sont les rubans de soie
Les ceintures de cuir souple
Les porte-chaussettes confortables
Et les guirlandes lumineuses ?
Chez moi, sans doute !
Alors ?
Demain sera-t-il un autre jour ?

« Le porteur du poids du monde»
Abdelhakim

 

Je suis porteur du poids du monde sur mes épaules.
Tous les jours je me lève avant le levé du jour et je pars chercher mon chargement.
Chaque chargement est une surprise.
Chaque jour est une épreuve.
Je suis ATLAS, Hercule…

Je suis un porteur du poids du monde sur mes épaules.
C’est un travail méthodique et très enrichissant pour mais très fatiguant !
Chaque jour est une vie.
Chaque chargement est une épreuve.

Il y a des jours où je me sens heureux de faire ce travail. Je sens une sorte d’autosatisfaction qui me propulse dans un monde merveilleux. Et d’autres où je regrette de m’être levé…

Des jours où je me sens écraser par le poids de mon chargement, mes épaules ne sont pas assez large. Le chargement est tellement lourd et hétérogène que je sens mon corps crisper, lourd, mes jambes ne tiennent plus, j’en pleure, mes poumons sont oppressées, ma tête est comme dans un étau…

Un chargement est une multitude d’objets divers et variés.
Des objets que je dois trier, classer par catégories et par ordre d’arrivé.
Chaque chargement est une affaire de hasard et de surprise, une affaire de timing et de logistiques.

Je ne sais jamais de quoi il saura fait mon prochain chargement.

J’ai décidé de faire ce métier car j’aime l’échange avec les gens, j’aime la nature, la terre, les planètes, j’aime me nourrir des secrets des autres, de leurs tabou et leurs confidences, de leurs façon de voir la vie, de leurs croyances, de leurs contradictions…

Je suis un peu comme un prêtre dans un confessionnal.
Je récolte les informations et les objets de toute sorte sans aucune présélection.
Je prends tout ce que je trouve.

Je suis le « Malik Jalouk : un conteur ambulant qui ramasse tout ce qu’il trouve par terre, il arpente les rues avec un tas objets et qui raconte des histoires sans se soucier d’être écouter ou pas. C’est un personnage mythique à Marrakech » de l’univers.

J’arpente les rues tous les jours.
Il n’y a aune limite de poids.

Des jours je peux finir la journée avec seulement quelques kilos et d’autres avec plusieurs tonnes. Le poids n’est pas une condition, ce qui conditionne mon travail est la capacité de mes épaules à supporter les composants de mon chargement.

Il y a des objets qui piquent, d’autres qui coupent. Je rentre le soir avec une multitude de bleus et coupures divers et variées. Des blessures plus au moins graves. Le soir je me couche en espérant que le lendemain j’aurai la chance de mon chargement.

Je me sens fier d’un chargement beau à voir et à toucher. Je marche dans la rue la tête haute et peu import le poids que je porte.

J’en suis fier et c’est ma récompense. Un chargement beau est un chargement composé d’une multitude d’objets, d’idées, de bonnes nouvelles, d’autosatisfaction, d’une bienveillance de la part de mes clients.

Ah oui. Mes clients sont aussi multiples que les composants de mon chargement.

Je suis Atlas, Hercule, le Malik Jalouk du monde
Et c’est métier merveilleux
Il suffit d’avoir les épaules pour !

Le briseur de glace
Dominique

Je suis un briseur de glace. Je me rends chez mes clients avec un matériel très complet : des ciseaux, des marteaux de toute taille, des burins, des pics à glace, des cutters etc…

Quand j’arrive chez les gens et que je déballe tout çà, certains ont l’air effrayés mais je les rassure, j’ai l’art de briser la glace…

Dans ma boite à outils on trouve tout ce qu’il faut pour casser, écraser fendre, rayer, fissurer, couper, percer.

Je suis devenu briseur de glace à 16 ans, quand j’ai quitté l’école, on m’a renvoyé car j’étais un peu violent, pas avec mes camarades mais avec le matériel, on m’avait déjà surnommé « le casseur ».Faut dire que ma mère y est pour quelque chose aussi. Elle me répétait sans cesse : »tu es un brise-fer, tu casses tout ce que tu touches mon pauvre garçon »Elle n’était pas méchante ma   mère et je l’aimais beaucoup, alors je l’ai crue et j’ai décidé de continuer à casser.

J’ai commencé à m’entrainer avec le frigo familial .Quand il fallait le dégivrer, c’était toujours moi qui m’y collait. J’enfonçais avec une jouissance extrême la pointe d’un couteau dans le casier du congélateur et je récoltais dans une bassine les blocs de glace que j’allais ensuite ébouillanter sous le jet d’eau de l’évier.

L’hiver, je grattais les pare-brises des voitures recouverts de glace et je dessinais sur les vitres des figures de toutes sortes à l’aide de raclettes. J’y mettais tout mon cœur. La glace se collait et durcissait sur mes doigts de laine qui se raidissaient et que j’avais l’impression de casser pour les faire bouger.

L’été, c’était d’autres plaisirs.je guettais les mangeurs de glace, se promenant nonchalamment dans les rues.

Je m’arrangeais pour les bousculer, la glace tombait par terre en prenant des formes bizarres. Le cornet se brisait et si tout se passait bien je pouvais espérer piétiner l’ensemble et l’écraser un peu plus….la glace était brisée et souvent les petits enfants pleuraient.

A la morte- saison, je m’occupais des miroirs j’en avais   toute une collection .Avec mon marteau et mon burin je les brisais avec délice .çà craquait sous mes pieds, au début je percevais mon visage découpé, j’avais l’impression de me détruire moi-même, drôle d’idée, non ?

Le vendeur de mèche.
Andrée

Mes parents m’ont raconté que, déjà à ma naissance, je tirais mes cheveux, les enroulais sur mon index et suçotais mon doigt ainsi habillé. Toute jeune, j’étais adepte de la tricotillomanie ;

Cela me fait bien rire, car c’est comme si je savais déjà que j’en ferais mon commerce.

Oui, je vends la mèche !

A l’école, en primaire, j’échangeais une mèche de beaux cheveux longs contre une addition, puis une division à deux chiffres. Certains voulaient la mèche brute, pour d’autres je faisais un toupet attaché avec un brin de laine, ou un bout de raphia ; pour d’autres encore, je tressais élégamment mes quatre poils et une fois fini, j’avais à cœur de faire boucler la pointe avec délices.

Vers douze ans, m’est venu par la voie des hormones, du désir ou de la convoitise de monnayer mes mèches contre une séance de cinéma ou des bisous dans le cou. Ma meilleure amie, m’a soufflé en secret qu’il parait que certaines dames faisaient payer ainsi le plaisir que pouvait donner leur corps à d’autres êtres humains. Je n’ai pas voulu la croire car je ne voyais pas bien de quel plaisir elle parlait. Trois ans plus tard, elle-même avait mis en pratique ce savoir nouveau ; mais je ne l’ai jamais trahie !

Quant à moi, j’avais créé un petit éventaire que je portais autour du cou où j’exposais les modèles de mes créations. J’adorais faire l’article, vanter la qualité et la couleur de mes cheveux auburn. Il m’arrivait pour satisfaire la demande de les teindre et j’obtenais ainsi, des poils de carotte, des blonds nuancés, des blanc de neige ; je les frisais au bigoudi, je les poudrais, en faisait des faux chignons (quand ma mère les coupait) les entourait de filets à l’espagnole. J’ai eu beaucoup de succès.

Au fil du temps, j’avais enrichi mon petit commerce et j’étais capable de vendre des mèches agrémentées de perles que j’avais enfilées comme font les indiens, de plumes et laines et coton, soie et velours avec leur myriade de couleurs qui rendaient très bien. Mon commerce était établi. On m’appelait «  La Squaw ».

Le lécheur de vitrine.
Maïté

C’est après de nombreuses années d’errance que je suis devenue lécheuse de vitrines.

Les circonstances jouant contre mon destin ; j’avais successivement exercé le doux métier d’éclaireuse de diamants, d’étaleuse de savoirs de coupeuse de cheveux en quatre, j’avais même tenté la profession d’essuyeuse d’averses qui on s’en doute n’était pas sans répit.

Mais depuis ma plus tendre enfance je rêvais d’exercer le subtil métier de lécheuse de vitres

Cette vocation fut très précoce déjà toute petite je m’exerçais dans le léchage des assiettes à café qu’utilisaient les adultes pour poser leur tasse, il y avait toujours une goutte de café délicieusement sucré qui s’étalait sur la soucoupe et que léchait d’un vif coup de langue dès que l’adulte déposait son objet sur la table.

Je m’entraînais à la rapidité du geste, il s’agissait de lécher la soucoupe et de ne pas être vu car j’avais à mes débuts essuyé une vive réprimande de ma grand-mère qui m’avait expliquée que n’ayant rien d’un chat ou d’un chien, je devais toute affaire cessante arrêter ce comportement inconvenant pour une petite fille.

A l’âge de 8 ans j’étais de venue experte en léchage d’assiettes de tout format et quel que soit les résidus d’aliments contenus dans celle-ci. Je me délectais à lécher des fins de soupe un peu collantes, du jus d’une tranche de veau, de miettes de parmesan râpé, de la crème d’un camembert avancé mais par-dessus tout, je n’aurai pas échangé ma place pour faire disparaître avec ma petite langue agile les traces d’une crème anglaise au chocolat.

Aussi lorsque j’appris que le maire recrutait un lécheur de vitrine je proposais aussitôt ma candidature.

Le profil de poste était précis en creux, en fait, il décrivait précisément ce que l’on n’attendait pas du lécheur de vitre. Une méthode certes saugrenue mais qui limitait ainsi le champ des possibles l’annonce était libellée ainsi :

La ville de Tou-Rouge recherche son (ou sa) lécheur (se) de vitrines

Le (ou la) lécheur (se) de vitrines ne devra pas avoir une langue de pute, ni une langue de vipère, ni avoir la langue dans sa poche, ni bien pendue, ni pendante bien entendu.

Il conviendra d’éviter également les langues mortes trop statiques, les langues chargées lourdes et salissantes, de bois trop rigides, de bœuf trop personnalisées, au chat peu fiables s’il en est.

Rémunération en fonction du degré de motivation linguistique.

Toute personne qui souhaite mettre sa langue à disposition de vitrines de notre bonne ville est priée de communiquer son CV au bureau du Maire.

L’entretien dura quelques secondes, en un clin d’œil en fait un coup de langue, j’ai nettoyé tous les miroirs de l’antichambre, les lunettes du maire et de ses conseillers. Je montrai par les faits la différence entre une lèche cul et un lécheur de vitrines et très vite le poste que je convoitai me fut confié.

Cela fait maintenant 40 ans que je suis lécheuse de vitrines dans notre ville je suis devenue titulaire de mon poste, j’ai été nommée lécheuse de vitrines chef lorsqu’il s’est avéré utile d’embaucher, j’ai constitué des équipes qui sillonnent la ville par 2 ou 3.les commerçants apprécient les escadrons de lécheurs qui œuvrent tous les jours sur leur vitres et vitrines, et moi petite lécheuse d’assiette je suis bien fière d’avoir contribué à initier cette activité si utile.

J’organisais ensuite mon travail avec méthode. J’alternais les vitrines impaires et les vitrines paires en fonction de la météo et des conditions climatiques. En effet, les jours de pluie je laissais le temps faire son ouvrage et je me consacrais plus précisément aux surfaces vitrées intérieures. Mon activité n’avait pas de cesse. J’étais souvent appelée le dimanche pour nettoyer des vitrines qui avaient subi les outrages de groupes d’étudiants ou de fêtards pendant la nuit du samedi. Je devais alors lécher des fonds de bière, de whisky, de café, de chocolat, j’ai même été amenée à lécher de la chantilly de jeune mariée qui dans l’émotion de la cérémonie de mariage avait échoué sur la vitrine d’un magasin de pompes funèbres.

Je suis très vite devenue titulaire de mon poste car j’ai toujours fais mon travail avec beaucoup d’application et d’enthousiasme à tel point que le Maire a décidé de suivre en direct mon activité.

Il m’accompagne parfois dans ma tournée et en profite pour se flatter du bon résultat de la mission qu’il m’a confiée et je crois que sa réélection systématique depuis 40 ans est en quelque sorte la conséquence directe de la qualité de mon travail. Je suis très appréciée de nos concitoyens qui sont fiers de voir leur ville si brillante et si étincelante grâce à ma à l’agilité de ma petite langue.

J’ai d’ailleurs été nommée lécheuse de vitrines chef lorsqu’il s’est avéré utile d’embaucher car l’excellence de mon travail a créé des besoins.

J’ai donc constitué des équipes qui sillonnent la ville par 2 ou 3. Les commerçants et les habitants apprécient les escadrons de lécheurs qui œuvrent tous les jours à rendre resplendissantes leurs vitres et vitrines.

Ce service très vite devenu indispensable, a fait des émules, plusieurs villes ont créé des postes de lécheurs de vitrines, et on évoque parfois la création d’un Secrétariat d’Etat…..

Et moi, ancienne petite lécheuse d’assiettes je suis bien fière d’avoir contribué à initier cette activité si utile dans notre pays.

L’acrobate du brouillard
Thérèse.

 Il était accro, il s’échappait par tous les temps et sautait sur son trapèze. Les risques qu’il prenait, faisaient jaser tout le village.
Il était tout petit encore, mais résolu !
Résolu à rester en mouvement.
Le brouillard lui allait bien, cet obscur de blanc le mouillait, et, lui, l’acrobate perçait tous les mystères, les étirements de son corps allaient chercher les réponses dans toutes les directions.
Il se passait de parole, de peur qu’on ne lui parle !
Les attaques pénétrantes de l’humidité étaient chassées par la douce sueur de ses pores.
Aveugle, aveuglé, il taillait avec le corps dans cette masse souple, alliée de ses fugues, de son caché ;
On peut naître acrobate, c’est un prolongement naturel !
Il va rester dans l’ombre du brouillard, dans ses replis ; mais il n’est pas le maître du monde et ne peut capturer sans fin cette ouate.
Quand le soleil le dévoile, il affronte tous les yeux, l’acrobate, ainsi façonné, il peut dire et parler tout en se mouvant.

 

LE FONDEUR DE PIERRE
Marceau

En ce temps là, la Terre était plate.
Mais plate comme un billard. Pas le moindre relief aussi loin que
portait le regard. Enfin, vous comprenez: l’ennui régnait en maître. Les
pauvres hommes, affligés, n’y pouvait mais.
Hors, un jour de disgrâce comme il en pleuvait souvent, je fus
convoqué par le Grand Conseil.
Étonnement. Inquiétude. Tremblements.
Pourtant, j’avais la conscience en paix. Nul action délictueuse dont je
pourrait rougir, nulle compromission sacrilège au cours de ma longue
carrière. Enfin, le moment de l’entretien redouté arriva, et avec lui, ma
délivrance: On n’en voulait pas à ma personne. Soulagement! On voulait
ma personne. En chair et os, en pensée et action.
Pourquoi? en raison de mon métier: je suis le fondeur de pierre.
Pour qui? pour l’humanité toute entière, rien de moins.
Ils m’expliquèrent la tristesse de ce monde uniforme à l’origine de
l’ennui chronique de notre espèce. Ils gémirent sur l’immobilité du regard
dans les champs infinis, où les sillons faisaient le tour de la Terre sans
détour ni obstacle. Ils se lamentèrent sur l’indigence de nos concitoyens à
explorer des lieux lointains, à découvrir des sites remarquables. Et pour
cause, le lointain était à portée et la différence n’existait pas.
«Mets-toi à la tâche! me dirent-ils, et tu seras à l’abri du besoin, toi et
ta famille, jusqu’à la treizième génération. Façonne les pierres à ta guise,
crée une perspective, quelques sinuosités, une bosse quelque part en un lieu
secret que nous n’aurons de cesse a découvrir. Va et agit.»
Cogitation. Migraine. Insomnie.
La stupéfaction fit rapidement place à l’accablement. Je ne savais par
où commencer, ni quoi faire. La tâche était immense, incommensurable.
Que pouvait mon modeste génie face à une oeuvre d’une telle envergure? Il
me faudrait du courage, de l’opiniâtreté, de l’autorité. Rien ne manquait,
mais encore. Quant à l’imagination …
Habituellement, mon action restait circonscrite à quelques lieux
éparses, pour des particuliers excentriques à l’ego ébréché, en mal de
notoriété. Alors, mon talent faisait merveille, comblait toutes les attentes et
ma réussite me rendait assez fier de mon travail. Mais là, savait
l’impression d’être face à un gouffre, d’être comme une nourrice sans lait,
je séchait.
Soudain, la pensée du gouffre vertigineux qui s’ouvrait devant moi
emplit mon angoisse avec insistance. La prégnance de cette idée me
perturbait, mais à bout de rien, je finit par m’y intéresser. La moindre
parcelle d’intuition suggérait l’espoir d’une échappée libératoire bien venue,
devenait pour moi une lueur naissante de solution viable, les prémices d’un
aboutissement.
Elle devint concept.
Oui, je tenait enfin mon sujet. Pour cela, il fallait mettre tout le
monde à contribution. Je ne doutait pas un instant qu’un tel projet
fascinerait le pire objecteur officiel, activerait les oisifs les plus ancrés dans
leur routine, toucherait les plus insensibles à leurs prochains. Tout un
chacun sera de la partie, l’humanité entière contribuera à son propre Grandoeuvre.
L’enthousiasme fut au rendez-vous.
Le Grand Conseil fut comblé. « Tant d’activité sur toute la surface de
la planète nous émerveille. Fini la contestation des anars, fini le farniente
aux siestes trompeuses d’ennui, fini l’indifférence égoïste au rire
méprisant. » Tant il est vrai que le peuple humain avait épousé sans
hésitation une nouvelle vision du monde, imaginant monts et vallées,
abîmes et plateaux vallonnés, fleuves et torrents. Pour la plus grande gloire
de la diversité, de l’esthétisme, de la curiosité sans cesse renouvelée.
Tous se pressaient, dans tous les sens, de haut en bas. Des enfants
trimbalant leur petit saut de sable, ou fourrant dans leur poche quelques
poignées de terre noire pour le déposer au sommet de la colline qui
s’élevait lentement, mais sûrement. Qui une cruche remplie d’eau fraîche
pour alimenter la première ébauche d’un ruisseau dégoulinant au creux d’un
talweg. Qui une charretée chargée de roches énormes au destin bouleversé
un bref instant.
Qu’il était bon d’entendre l’excitation des meneurs dirigeant la
manœuvre des hommes, attelés aux lourds traîneaux de matériaux, de
sentir la sueur des milliers de terrassiers creusant le lit d’une rivière, ou les
maîtres d’œuvre imaginant un escalier inédit. Et le soir, exténués, reclus
d’une fatigue extatique et bienheureuse, contempler le travail accomplit,
vautrés au pied d’une ébauche d’une colline nouvelle, déguster le temps qui
s’écoule.
Quant à moi, je m’affairai jour et nuit à l’accomplissement de ma
mission : souder le roc à la base des futures montagnes, aménager des
grottes qui deviendront plus tard des abris salvateurs, consolider des
cheminées de fées et des falaises tombantes, sculpter des arches
flamboyantes et des canyons sinueux.
Pour l’heure, je paraisse sous les frondaisons, écoutant avec délice la
rivière qui murmure en sourdine, savoir qu’au loin la neige blanchit les
cimes, peut-être pour l’éternité, qui sait ?