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Poème

Poème pour La grande Messe de Collectif Païen, juin 2018, Magasins Généraux Pantin

Il enserre l’espoir entre ses mains jointes. Prier pour gagner. Mains soudées, le vœu ne s’envolera pas. Il faut remporter la victoire, il le faut vraiment. Ce désir blesse ses doigts comme un étau.

Ressorti vivant de l’arène, il lève les yeux au ciel, enveloppe nue de peau qui remercie. Il ressort des ténèbres, traînant des vagues de lumière.

Ravis, les yeux, le sourire

Ondoyante mouvance de ses cheveux quand

De ses bras levés elle acclame le joueur

Une joie noire jaillit de la gueule ouverte en un cri

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D’après l’exposition « Currents Shift », photos de Jessica Wolfelsperger, juin 2019

Texte à contrainte / Endroit

Trop de matérialisme contrarie le créatif. Isolé, l’extraverti devient triste.
Ses pensées accaparées tournoient secrètement.
Étonné, le voici souriant, amusé devant un bourgeon.
Moins narcissique, il cesse alors la compétition, la saturation coriace du selfi.
Réticent au gris, il ne doutera plus du végétal, du blanc, attentif plus que têtu.

        Envers

Un peu de spiritualité compense le manque d’imagination. Entouré, l’introverti
devient gai. Ses sensations réveillées se révèlent généreusement.
Blasé, le voici mécontent, déçu par une flétrissure.
Plus ouvert, il apprend alors le partage de la tendre contemplation d’un paysage.
Appréciant l’orange, il doutera du minéral, du noir, plus souple que velléitaire.

Découpages À partir de No Comment, exposition de Jacques Barbier, avril 2019

Dans le cadre d’une étude sur la mémoire et la photographie, je devais rédiger un petit texte à partir d’un ensemble de photographies au rebut, collectées par Jacques Barbier. Sur chacune d’elles ont pouvait observer qu’un personnage avait été découpé.

Ces photos mutilées étaient aussi pénibles à observer que des images de guerre montrant des corps meurtris. Ici les membres du corps familial, amical ou amoureux avaient été sectionnés soigneusement aux ciseaux.

Ma première remarque concernait le sexe et l’âge des personnes découpées. Il y avait davantage de personnages masculins évincés que de figures féminines. Ne manquaient sur les photos ni bébés, ni enfants ni adolescents. Ceci laissait supposer que le découpage était majoritairement l’œuvre de femmes et non pas d’hommes.

Cette attitude féminine qui consistait à se débarrasser du corps à coups de ciseaux semblait la métaphore d’un assassinat, joué sur un plan symbolique et de façon plus subtile qu’un meurtre réel mais néanmoins violent. Il était impossible de faire disparaître le corps de l’indésirable en entier et restaient des reliquats, preuves que sur cette épaule de femme, une main d’homme s’était appuyée, ailleurs, tel un serpent partageant le corps féminin en deux, un résidu de bras entourait tendrement la taille d’une jeune fille.

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Sur neuf photos de Bernard Plossu, exposition « Al-Marriyya, un désert et la mer »

Perché, enfoui
Perché, un enfant se penche
Enfoui, un vieux mur lézardé
Perché, un homme marche d’un pas lent, vieux funambule aux doigts
Enfouis derrière son dos
Perchée loin en Espagne
Enfouie derrière un moucharabieh
Perché, il n’aime pas les mouches
Enfoui, le vieux mur craquelé, un peu sali
Perché, un homme qui ressemble à Pierrot
Enfoui sous un béret de feutre
Perchée peut-être à Collioure
Enfouie où il fait très chaud

Perchés dans un endroit pas très beau
Enfouis à Sainte Marie de la Mer, peut-être
Perchée, une fillette à grandes créoles et robe flamenca
Enfouies, ses mains, dans la crinière d’un poney de six mois avec de fins sabots blancs
Perché, le linge qui sèche au vent qui le balance
Enfouie la murette sous un tas d’ordures éparpillées
Perchés dans un réseau de fils électriques
Enfouis sous la grande toile d’araignée, des oiseaux
Perché, un balcon avec des géraniums, des pélargoniums plutôt
Enfoui dans un monde flou avec en-dessous, une fillette qui porte une grande bassine noire
Perché, grand, sa jambe levée pour relancer le ballon
Enfouie, cachée derrière un pilier, une petite fille aimerait monter sur un poney et regarde la demoiselle à la robe flamenca, fière sur son poulain aux fins sabots blancs

D’après l’exposition de Malgosia Magry’s, La Ville, Château d’Eau, Toulouse, février 2019

Regarde ma rue, pub, conso, bistro, affiches, promos
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Uniformes, monde-tous égaux
Converses, sacs à dos
Jeans ça fait réglo
Joggings à bandes c’est beau
Oublie les carreaux !
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Princesses ados
Smartphones argentés
Ça fait pas pitié
Bleu fait des envieux
Rose si tu oses
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Voir le monde d’en haut
Capter mieux tes mots
Nos antennes comme des ailes
Pas d’âge pour smiley
Bipper, mailer, cliquer
Pauvre Victor Hugo !
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Un peu de nature dans ton litre d’eau
Un peu de nature on voit ta peau quand tu fais l’oiseau
Un peu de nature dans des bacs c’est pro
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Quand même écolo
Rouler à vélo
Marche à pied
C’est pas rétro
Trop c’est trop 

Espace Saint-Cyprien, Patrice Couget, Terra Ma(d)re, janvier 2019

C’est une œuvre arrondie et creuse, en forme de haricot ou de rein

L’extérieur est craquelé, éclaté par endroits, la terre cuite porte des fissures, sa panse tailladée est granuleuse, de fines déchirures tournicotent et déforment la surface. Grise, marron, orangée par endroits, elle peut prendre selon l’éclairage des teintes bleutées.

À sa surface se dresse une branchette à plusieurs rameaux où un homoncule s’emmêle à une brindille tordue. Son regard porte loin, surveillant les éléments depuis sa micro planète en orbite autour du soleil-Crâne blanc. Capitaine du vaisseau, il surveille aussi la température de cuisson de la terre.

L’intérieur est lisse et doux, creusé patiemment, affiné, caressé, destiné à recevoir un bijou précieux, un trésor, la photo d’une personne aimée, un mini carnet de pensées poétiques, des gouttes d’eau de source. Il abrite aussi des êtres infiniment petits, légers et mobiles qui fatigués de danser, se blottissent sur des lits de laine bleue posés dans des refuges de terre émaillée et pailletée d’ocre.

Joëlle    

une pincée de tuiles

Une pincée de tuiles

Qu’il est loin mon pays, pensais-je dans la cour de l’école Arthur Rimbaud de Chanteloup les vignes, qui n’avait de bucolique et poétique que le nom. Patrouillant dans la cour de récréation cernée par une haute grille qui la protégeait d’éventuels projectiles et intrusions, je songeais : qu’il est loin.

Parfois au fond de moi se ranime le souvenir de ce temps là où je trimballais ma nostalgie dans mon cartable de cuir fauve usé. Je marchais le long de la Seine à Conflans Sainte-Honorine, seul lieu dont la beauté me paraissait égaler l’eau verte du canal du Midi. Y manquaient toutefois le rose et la brique rouge des Minimes, Saint-Germain-en-Laye était belle et glacée et Achères plutôt grise, on ne pouvait les confondre avec ô mon paîs, ô Toulouse, ô Toulouse.

Je me souviens du moment où je reprends l’avenue vers l’école quand mon fils me dit : « y en a qui arrêtent pas de nous embêter, on jette mon cartable et on est bourré de coups de poings ! » . Je lui conseille de ne pas se laisser faire si on l’attaque : « Ici, si tu cognes, tu gagnes. C’est des lourdauds qui ne comprennent que les coups. Ici, même les mémés aiment la castagne. »

Revenus en banlieue toulousaine il me dira, ravi de sa première journée : « Dans la nouvelle école, personne nous tape à la récré. ». Ô mon paîs, ô Toulouse, plus calme et plus douce à vivre que dans la chanson. Moi qui avait fait tant d’efforts pour neutraliser mon accent, sur les conseils de notre inspecteur qui prônait le français standard, me voici ébahie qu’un torrent de cailloux roule dans ton accent, Toulouse, et je m’embrouillais parfois croyant les gens en colère mais non, ce n’était que de la passion. Je devais me rendre à l’évidence : ta violence bouillonne jusque dans tes violettes, Toulouse.

Ceci me rappelle une dispute entre un normand que nous hébergions et mon ami qui le traita familièrement de con par un automatisme de langue. Je tentai de le rassurer. « Vois-tu, à Toulouse, on se traite de con à peine qu’on se traite », mais il ne voulut rien savoir. Alors je songeai :  Il y a de l’orage dans l’air et pourtant, on ne lui voulait aucun mal au normand, c’est vraiment con qu’il se fâche !

Je les laissai à leur malaise pour me balader au centre ville et comme jadis et comme toujours, je vis combien l’église Saint-Sernin illumine le soir et m’asseyant sur un banc qui la borde, j’ouvris un carnet de croquis pour la dessiner sous la forme d’une fleur de corail que le soleil arrose d’un voile orangé. C’est peut-être pour ça, pour cette tranquille beauté, Toulouse, que malgré ton rouge et noir hanté du souvenir du martyre Saturnin, évêque attaché à un taureau et traîné sur les pavés de la rue du Taur, pour cette résistance que tu as, c’est peut-être pour ça qu’on te dit Ville Rose.

Me revoici plongée dans le souvenir de mes années étudiantes et je revois ton pavé, ô ma cité gasconne, la rue Lakanal et ton trottoir éventré sur les tuyaux du gaz, la prairie des filtres et le cinéma Saint-Agne où l’on regardait les films sur un écran gigantesque, enveloppés de lourds et odorants nuages de fumée. Cette nonchalance méditerranéenne me rappelle la chanson de Claude Nougaro, Toulouse, dont les paroles m’émouvaient aux larmes lorsque j’étais ailleurs, sentant que mes racines se desséchaient, et plus particulièrement m’émouvaient ces deux alexandrins: Est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne, Ou serait-ce dans tes tripes une bulle de jazz ? Quand le jazz est là, Nougayork est ici.

Tout cela, ça fait un bail, à présent je me balade tranquillement, voici le Capitole et comme tous les ans sur la place, les stands de Noël se préparent à déverser leurs spécialités, leur artisanat et leur produits manufacturés, ça va sentir le vin chaud, les chichis, les grillades. J’y arrête mes pas, je songe que j’achèterai peut-être avant Noël, à quelques pas du théâtre où les ténors enrhumés tremblaient sous leurs ventouses, quelques uns de ces récipients transparents et thérapeutiques utilisés jadis contre les refroidissements et redevenus à la mode, car voilà un cadeau original, les ventouses. Je suis tirée de ma rêverie par le joli sifflement de rossignol d’un passant, et dans ce bref espace sonore j’entends encore l’écho de la voix de papa, c’était en ce temps là mon seul chanteur de blues.

Aujourd’hui je vis à Cugnaux où les buildings ne grimpent pas trop haut et où je cultive tomates et salades dans mon jardin près de la base militaire, mais c’est plus tranquille qu’à Blagnacles avions ronflent gros. Tout de même, je me surprends à regarder les devantures d’agences immobilières qui proposent des appartements toulousains. Mais si l’un me ramène dans cette ville, pourrais-je y revoir ma pincée de tuiles comme m’offrait à admirer jadis la minuscule fenêtre de ma mansarde d’étudiante donnant sur le toit des Jacobins, où contemplant les variations du rose orangé sur un coin de ciel, j’entendais : Ô mon paîs, ô Toulouse, ôhooo Toulouse.

Joëlle, octobre 2018