autour des mots …

atelier jeudi Bellegarde, compil.

LA BOUTIQUE des Mots
Andrée

Le sac des Mots perdus
Mesdames et Messieurs, jeunes et moins jeunes,
Aujourd’hui est un jour exceptionnel car nous avons accroché à chaque rayonnage de notre Boutique des Mots, un SAC des MOTS PERDUS.
Il vous faudra tenter de les classer sur l’étagère qui leur convient, à votre sentiment.
Aussi, si vous rencontrez une duègne ou un barbon chenu et fané, les trouvez-vous décrépits, vétustes, séniles ou caducs ?
Leur parfum suranné, leur santé valétudinaire et leur âge vous semblent-t-il antédiluvien ?
Etes-vous donc venu tout nu, repu, ou guidé par Vénus ? Tandis que la cruelle maquerelle écoeurée, contemplait ses scrofules et écrouelles.
Mais qu’allons-nous faire de tous ces cryptogames vasculaires et des phanérogames ? Saurons-nous y distinguer les clématites des Ptérides et classer le psilote et l’osmonde ?
Venons-en à la divette, se contente-t-elle de roulades ou est-elle aussi une virtuose du plain-chant ? Peut-elle faire entendre son timbre comme un coryphée ou préfère-t-elle la douceur d’un lied, voire de la sérénade ?
Mais peut-être êtes-vous handicapé par une tare tel un cheval avant la course du destrier de tournoi ou du jockey du concours hippique ?
Alors, Messieurs les amateurs de mots, amoureux du gai-savoir, allez-vous vous contenter de prose ou vous lancer dans le pamphlet, la critique, la Polémique. Serez-vous grammairien ou poète ? et pourquoi pas choisir la Philologie ou l’Erudition ; ou alors comme Arthur, Denis ou Søren, serez-vous tenté par l’art de la sagesse ?
Ecoutez le rimailleur, ce poète médiocre : « Elle lisait le libellé telle une libellule volubile et versatile qui volète avec les ailes du désir vers la volupté. »
Et à présent nous allons monter :
Monter ? sur ses ergots. Monter ? comme une soupe au lait Monter ? sur ses grands chevaux. Lorsque ce jeu vous aura mis hors de vous, qu’il vous aura poussé à bout, bien échauffé la bile, qu’il vous aura indigné et pourquoi pas scandalisé, que vous serez exaspéré, déchainé et ulcéré, alors vous pourrez descendre de la montagne de notre vocabulaire, tel Moïse tenant les tables de la Loi.

VENTE DE MOTS
Thérèse

Il veut vendre son attirail, il pense que les mots peuvent être entendus comme une marchandise.
C’est un vendeur habile qui sait que pour consommer il faut être surpris.
Il a installé un haut parleur au dessus de sa porte, il le fait tour à tour hurler et sussurer : « ici vente de mots sans maux ».
Interloqués, les passants entrent, mais de quels mots s’agit-il ?
En fait, le vendeur contrarie les mots ;
Dans un grand bac, à l’entrée, il y a des boîtes toutes étiquetées de maux : migraine, tremblement, asthme, stress.
Si on ouvre la boîte après l’avoir achetée, on trouve le remède, dans un mot contraire ;
La condition est de le répéter plusieurs fois par jour : plénitude, immobilité, respiration, calme.
Le marchand est de connivence avec les patrons du quartier, l’ouvrier sans maux, crache mieux son potentiel.
Passé le coin pour se plaindre, il y a une étagère à la portée du curieux remplie « des mots qui rassurent » : tu es fort, demain sera un autre jour, tu es vif et intelligent !
Les plus petits n’ont qu’à baisser les yeux, en effet à l’étagère inférieure, la réassurance bascule dans « les mots qui ne veulent rien dire » : simola, morali, insignifiant, blanc ;
Serait-ce la bascule dans « les mots de la liberté » : terre vierge, jachère, premières pousses ? N’est pas petit qui veut pour avoir un tel accès !
Et comme il en veut encore, du mot et de son contraire, il va monter sur l’escabeau et sous la lucarne du toit, se frotter « aux mots qui font se retourner » ;
Chaque poutre a des graffitis : nostalgie, enfance, hier.
Il pourrait rester suspendu à rêver, à regretter mais on ne peut pas vivre
Perché.
Le rez de chaussée l’aspire en douceur, il redescend dans « les mots du présent », ils n’ont pas d’étagères, ils diffusent, fusent, profusent, transfusent ;
Pas besoin d’un mot parleur, ils sont là : aujourd’hui, à la minute, pleinement.
Avant de sortir, le passant suggère au vendeur la création « des mots mouillés » : rosée, glouglou, ruisselle ; les mots qui font pousser la plante, qui maintiennent l’humidité et la permanence.
Mêmes les mots contraires s’y complaisent !

LE MOT
Marceau

LA BOUTIQUE DES MOTS :
La ville médiévale gravite autour du piton rocheux qui surplombe en
majesté la mer bleue infinie. Les constructions de vieilles pierres s’appuient
les unes sur les autres en un maillage serré et dense, qui dessine des
méandres complexes aux perspectives bien vite interrompues. Tout n’est
que venelles tortueuses privées de soleil, escaliers abrupts aux marches
usées par le temps, passages voûtés aux porches mystérieux. On devine les
toits de tuiles rouge et ocre, si hauts, occultés aux simples mortels se
traînant au rez.
Je me suis laissé dire qu’au milieu des échoppes centenaires gisaient
encore les restes d’une boutique magique, étrange, fréquentée jadis par des
bourgeois indigents en mal de lettres. Je serpente dans la désolation des
ruines encombrées de gravois et d’herbes folles, à la recherche du temps
passé. Au sol, un cartouche en bois délavé résiste aux injures des
intempéries séculaires. Je m’efforce à déchiffrer les traces ténues qui
subsistent encore. Je crois pouvoir décoder quelques bribes d’inscription
qui se dessinent :  »écrivain public » !
Je n’ai guère confiance en mes capacités de déduction, mais mon
imagination fait fi de tous scrupules et prend vite le pas sur mon
cartésianisme. Je devine à l’entrée les rideaux rouges et or qui calfeutraient
le réduit, sans doute un vestibule. Je constate une succession d’alvéoles
chichement éclairées, aux murs recouverts de tiroirs, chacune meublées
d’une table bancale et de deux chaises vermoulues. J’imagine l’encrier de
porcelaine, la plume effilochée dormant sur une liasse de papier jauni.
L’énigme du lieu devrait m’interpeller mais ma rêverie s’emballe.
Je vois, sous mes yeux, le maître de céans accompagner son hôte, un
messire en panne de belle composition propre à séduire, manquant de bons
mots pour capter ses courtisans, privé d’invectives cruelles et sèches à
l’encontre de ses créanciers, avare de subtilités maniérées pour convaincre…
Il lui présente la destination de chacune des loges. La première, la
plus fournie, a pour nom : Incertitudes ! dédiée aux amoureux éconduits.
Elle contient le fatras le plus invraisemblable de mots venimeux, de type
bestial, comme : vipère lubrique, dragon, mégère, harpie…, et autres
termes de plus élégants en la matière. Aussi les expressions compassées au
naturel embarrassé, les formules contrites aux mille regrets, les métaphores
larmoyantes ou attendrissantes, les euphémismes nostalgiques avec leurs
remords éplorés.
Notre quidam a de quoi fournir une armée de grincheux vengeurs et
de maris trompés. C’est la principale activité de son officine pleine d’avenir,
faisant de lui un homme respecté pour ses gains, mais aussi pour les secrets
à jamais enfermés dans sa mémoire, à défaut d’être enfouis, six pieds sous
terre, dans le cimetière des illusions perdues.
Mais comme pour effacer la mauvaise impression de tant de
polémiques en latence, il s’empresse de lui ouvrir le chemin vers l’Azur.
C’est le tout dernier cabinet, niché au fond du corridor, la chambre des
béatitudes, de la séduisance et de la poésie.
Une gratitude à faire savoir, et voici le tiroir de fiches jaunes emplies
de bénédicités et d’oraisons adéquates ; une damoiselle à émoustiller, et
s’épand sur le pupitre une foison de termes dignes des paladins énamourés.
Les mots suaves les plus ensoleillés papillonnent en tout sens. Les plus
douces des mignardises cucupralinées fondent auprès de leurs semblables.
Il y en a pour tous les goûts : amour tendre ou amour vache, passionnel ou
platonique, désintéressé ou raisonnable.
Mais bien sûr, la poésie n’est pas oubliée. En ce monde complaisant
aux pires abominations, elle fournit un refuge intemporel, une échappatoire
intime et émouvante. Les casses débordent de lettres composant l’hymne
aux déesses de la beauté, de la nature, de la vie et du mouvement.
Terpsichore trone en bonne place, complice d’Erato et de Polymnie. Clio et
Calliope forment un duo d’exception. A elles deux, c’est tout
l’enchantement chaleureux du répertoire lyrique et de la verve courtoise.
Dans leur boudoir intime, en chuchotant, l’un expose ses desiderata,
l’autre de lui susurrer le sens, la précision, la perception d’un mot. Il ouvre
les tiroirs pour en extraire quelques fiches, et un autre qu’il renverse tout de
go sur la table. Interrogation silencieuse, sourire à la justesse d’une
trouvaille.
La plume se trempe d’encre violette et la feuille devient épître,
missive ou billet.
REZ : contraction de  »rez de chaussée ». Niveau du sol pour un promeneur.
SEDUISANCE : séduction sans action, charme platonique ou discret, qui s’exerce naturellement.
CUCUPRALINÉES : De  »cul-cul la praline ». Quitte le personnage pour se consacrer aux choses : mots,
expressions, objets naïfs.

UN CARNET
Marceau

L’INVENTAIRE
Qui se souvient de son premier carnet ?
Je me souviens de celui où j’écrivis maladroitement les mots à ne pas
prononcer comme ‘caca-fouilla’ ou ‘boudin-boudé’, les gros mots les plus
abjects comme ‘punaise des bois’ ou ‘zut’, les mots qui m’interpellaient
comme ‘mécréant’ ou ‘aphte’, que je croyais être une maladie honteuse.
Un jour, pour le protéger, et accessoirement pour m’éviter une fessée,
j’ai dû s’escamoter et s’enterrer dans une cachette secrète, à l’abri de toute
indiscrétion. Si discrète que je l’ai vite oubliée. Encore aujourd’hui ma
mémoire le protège au plus profond de mon inconscient.
Et celui des chansons d’éclaireurs, d’une écriture déjà mieux
maîtrisée à la plume « sergent major », mais, question imagination …ce
n’étaient que recopiages. Bien que, en y repensant, je les agrémentais de
gribouillis bien naïfs, coloriés aux crayons souvent épointés, que je prenais
pour des dessins. Mais bon, j’en était fier. Lui aussi, perdu corps et âme. Si
encore il avait pu faire un heureux.
Et celui-ci, pas encore entamé, que deviendra t’il ? De quel exploit
va-t-il se rendre complice ? Survivra-t-il à mon grand âge, prétendre à mes
dernières volontés ?
IDENTITE
Je suis un carnet, certes de belle facture, bien cartonné, relié d’un
beau ressort aux mille vrillettes argentées, mais un carnet tout simplement.
Mon histoire est celle d’une page blanche, une feuille pour ceux qui
ne savent pas lire, bien heureux gens en ce bas monde.
Mon rêve, un jour, serait de m’attacher à une pensée, de me tacher
d’une encre bleue bourrée de grands principes, de souvenirs heureux,
émouvants ou dérisoires.
Je plains ceux qui savent lire, qui en attendent, sans y prendre garde,
les derniers potins, la nouvelle légende urbaine ou la brève de comptoir
bien salée et bien grasse.
Ils ne voient pas dans ma blancheur immaculée toute la poésie qu’elle
contient, ils ne sentent pas le frisson d’un vélin, la délicatesse d’une pelure,
l’avidité d’un buvard assoiffé.
Moi, dans ma candeur virginale, je n’intéresse personne.
Je vis ma vie en transgressant toutes les convenances qui font que
lire vaut pensée, alors qu’avec mes copines, bien vautrées les unes contre
les autres, je rêve de poésie, de mémoires et de souvenirs que nul, jamais,
ne saura transcrire.
POUVOIR MAGIQUE
Je t’observe depuis bien longtemps, depuis que tu me trimbales dans
ton sac comme le vulgaire subjectile de ta plume. Tu me considères sans
état d’âme, dépourvu d’empathie ou d’un quelconque attachement.
Détrompes-toi : Je suis ta chose, maintenant !
De grâce, ne m’exhibes plus devant ta cour pour faire rire de mon
indigence, d’autant que tu m’as affublé d’une caricature indigne et perverse
qui travesti ma volonté de bien faire. Mais passons.
Ce qui me rend perplexe, c’est ta grande naïveté, ton amnésie sans
cesse reconduite. Quand j’y pense … Tout à l’heure encore, tu as oublié ce
que tu avais annoté sur mes pages blanches.
Heureusement pour toi, tu pourrais t’en offusquer, à relire, écrit de tes
propres mains, un tel fatras d’incongruités. Si ton entourage avait vent des
énormités que tu oses coucher sans complexe, des pensées inavouables qui
entachent mon précieux vélin, de ces certitudes définitives que tes
élucubrations imbéciles produisent sans vacance, ton aura en prendrait un
sacré coup. Pauvre de toi !
Par bonheur pour ta renommée, entre nous est née, comment dire,
une complicité, ou mieux, une certaine affection. Alors, je veille. La nuit
venue, seul au delà du temps, je m’applique à effacer tous ces écrits que tu
commets sans vergogne, en croyant te renouveler en toute suffisance,
encore et encore.
Mon pouvoir s’arrête là.
Alors, par pitié, conserves moi ainsi, pages blanches immaculées,
indemnes de subtilités sans nom ou de graffitis sans expression. Peut-être,
un jour, la sagesse venant, j’accepterai de bon gré de recueillir tes
dernières volontés et, béatement, devenir ton codicille pour l’éternité.

TAILLE CRAYON écriture et réécriture.
Marceau et Thérèse.

J’habitais un aiguise crayon, qui avait de multiples faces.
Le toit était fendu pour y coucher l’âme.
En son cœur s’élevait une cheminée cruciforme qui façonnait le fumée.
Le mur principal en béton arme acceptait la béance du trou,
Cercle parfait, il conduisait le jour et laissait passer les verts.
Il s’essayait aux parallélépipèdes, parois de soutien
Qui enserraient en étaux protecteurs le vivant du dedans.
Des barrettes verticales occupaient le centre,
Les stries se prêtaient aux jeux de l’escalade.
Elles se bordaient de plats argents et brillants,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
La base de l’objet portait le paranclé ciel et terre et
Sur le bord le plus tenu, le rectangle avait des largeurs minuscules
Juste ajouré d’un escalier à paliers.
J’habitais un aiguise crayon, bastide aux multiples façades.
Le toit de zinc gris, fendu d’une verrière, invitait au repos de l’âme.
Perchée en son cœur trônait une cheminée cruciforme qui animait la fumée.
Le pignon principal, en béton armé, s’éclairait d’une baie translucide,
Cercle parfait, elle conduisait le jour et occultait les vents.
Contre-vent, refends et parois de soutient s’essayaient aux parallélépipèdes,
Anamorphose de remparts, protecteurs du vivant d’en dedans.
Des clins verticaux striaient le trumeau central,
Ils se prêtaient à merveille aux jeux de l’escalade.
Ils s’ornaient, de part et d’autre, d’aplats argentés et lumineux,
Miroirs sans fin des mouvements de la vie.
Le soubassement de l’édifice et l’acrotère, aux lignes minuscules,
Liaient ciel et terre dans un écran irréel,
Juste hachuré par les marches d’un escalier à paliers.

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