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Ode

Ô toi, grigri agrippé
à mon grand cabas gris
sort de là, je t’en supplie !

Supplice des clés qui glissent,
teintent et disparaissent…
Boudu qu’ça m’énerve,
bon sang qu’ça me stresse !

Ô toi, boulet de bric et de broc,
profondément ancré par je ne sais quel crochet
au fond de ce sac plein de bric-à-brac,
sort de là, je t’en prie !

Prières vespérales à la lueur d’un réverbère,
qui s’élèvent haut sur le seuil de ma chaumière,
je vous adresse à ce vilain porte-bonheur,
qui traîne depuis l’enfance les clés de mes humeurs.

Ô toi, mascotte de ma bicoque,
montre ton nez cuivré, tes boucles argentées,
sort de là, je t’en conjure !

Conjuration et malédiction,
Sortilège et abracadabra !
Ah ! Enfin, la saleté, le voilà :
mon porte-clé…
Ses anneaux à mes doigts,
comme les bagues d’une fiancée,
je souris bêtement, fière de mon exploit.
Je n’ai pas vidé mon sac sur le trottoir,
cette fois.

Devinette

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Il est la chaîne de l’ancre qui amarre tout un chacun à son chez soi, ce lieu sacré. Il est l’accumulation de maillons d’acier, maillons cuivrés, enlacés, imbriqués les uns dans les autres, s’embrassant pour l’éternité… succession d’étapes, en forme de casse-tête, évolution de l’âme sous couvert de bric-à-brac. Entrelacs, boucles et ressorts. Mousquetons, scoubidou et autres mascottes. D’aucuns le prennent pour un grigri, pour un boulet. Il s’enfonce dans les profondeurs abyssales du sac à main des dames, fantôme évanescent aux reflets d’étoiles. Caché, tapi sous un pli, c’est à son bruit qu’on le retrouve. Entre les doigts, son joli tintamarre et le froid du métal. C’est lui ! On lève l’ancre. La porte se ferme, on part… La porte s’ouvre, on rentre. Et pourtant, malgré son poids, malgré ses années passées à agréger des anneaux de Saturne – au fil de voyages absurdes – les anneaux des JO – au long des épreuves de la vie – il n’est rien tout seul. Il n’a aucune utilité s’il ne porte pas les précieux sésames qui n’ouvrent qu’un unique lieu sacré.

Car il n’est qu’un porte-clé.

Y a d’l’orage dans l’air

l'orage avance

l’orage avance

Le gris souris d’la tapisserie
Le rouge moelleux d’un gros tapis

Des vitres opaques pour toute lucarne
Du verre fumé, pour tout cacher

Chut !… et salle d’attente

Attente lente, sourire poli
Regard serein, attente polie

Et puis soudain :
Le flash.
La porte s’ouvre, l’air froid gambade
Un parfum lourd noie toute la salle
La porte claque.

Elle

Regard qui plombe, sourire en coin
Robe grenat, gros sac à main…
Comme un éclair, elle cisaille l’air.

« Mon bon compère dans ton imper tu fais gangster.
T’as l’air de rien »

Elle me dit ça, pour tout bonjour
Ça commence bien.
Déjà j’étouffe
J’ai besoin d’air
Je m’entends dire :
« Ma bonne amie – mon coup de foudre
Tu es un nuage – un gros grain noir.
Vas-t-en pleuvoir… un peu plus loin. »

Chez le notaire, croisons-le fer
Nos avocats pour seuls témoins.

Premier tonnerre : des ragots.
Ragots rares puis ragots rudes.
Elle mégote sur l’arrosage
Elle l’a payé, elle en témoigne
Moi je l’arrose de mes sarcasmes
« Payer le jardin, tu l’pouvais bien !
Qui s’occupait de nos gamins ?! »

Elle vitupère, je m’enhardis
Les coups volent bas
La haine aussi.

Comme un garrot, ça nous oppresse
Comme un ogre, ça nous dévore.

Éclair tonnerre
Y ‘a pas à dire : la tension monte
Et elle attaque et je réponds
On mégote dur
C’est très amer
Le coup de foudre a foutu le camp
Reste la colère
Et puis ça barde
Pour sûr ça claque
« Vieux salop ! » « Vieille peau ! »
« Chien galeux ! » « Mauvaise graine ! »
C’est l’incendie – la pluie de cris
On hurle on frappe
Du plat des mains
Les avocats n’y peuvent rien
C’est l’pugilat
Éclairs tonnerres, on remet ça
Le divorce craque
L’orage vole bas.

TOC!

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Lorsque j’étais enfant, on me disait de ne pas taper, ne pas casser, ne pas m’énerver.

J’en avais déduit que tout cela était gravissime.

Taper était la pire des erreurs – frapper dans ses mains, battre le rythme, taper sur un clavier… un véritable cauchemar.

Et casser ne valait pas mieux. Casser la baraque, ébrécher les sous-tasses, briser un miroir. Sept ans de malheur. Sept ans de cauchemar ?

Enfin, s’énerver était tout simplement la dernière des choses à faire. Et il est vrai qu’aujourd’hui, je suis un garçon plutôt calme. Pourtant, j’énerve mon monde…

Aujourd’hui, mon toc – mavie – c’est cette agglomération absurde de tics et de manies. Des habitudes qui ont la peau dur, agglomérées, toutes recollées – pour « pas casser ». Mes addictions sont mes délires et je tourne en rond, toujours pour dire : ne pas casser, ne pas taper, et s’énerver ? Pas y penser !

Donc, ce matin, soleil tout gris.

La lumière, en bloc, jaillit de derrière le rideau occultant que j’aime. Tous les soirs je le tire comme un linceul, un paravent – il me protège, dans mes rêves, des vilaines raies de lumières qui transpercent, cassées, coupantes, les volets de bois, les persiennes béantes.

Donc, la lumière, en bloc. Aucun rayon. Pas de fissure. Une bonne journée à venir, pour sûr.

Salle de bain. Problème du bain : le carrelage… Je croyais qu’je m’y ferai, mais tu parles ! Chaque matin, c’est infernal. Je passe mon doigt sur un, deux, trois, 152 carreaux et voilà, en marmonnant, « pas casser ». J’ai pas qu’ça à faire mais je le fais quand même, car casser c’est mal, taper c’est pire, et s’énerver…

Et puis ça passe.

Cuisine. Problème du p’tit dej’. Pas trop de problème en fait. Je contourne les sujets sensibles : j’ai interdit les œufs chez moi. L’émail qui se fend, je n’en veux pas. Non : la perfection d’une porcelaine unie et blanche sous mes yeux me suffira… me reposera.

Voiture. Restriction dans la voiture : pas de musique – pas de batterie, de battement, de rythme. Problème. Un mendiant à un feu. Tape sur mon capot. Je cale. Je bugue. Sa main s’abat, une deuxième fois, sur mon carrosse. J’enfonce mes ongles dans le volant. Je serre les dents. Ne pas s’énerver – c’est compliqué ! Autour de moi, tout le monde s’énerve – et je répète, à moitié sourd, aux klaxons, insultes et mot d’amour – je répète « ne pas taper, taper c’est mal, taper, ça ne se fait pas, ne tape pas, ne pas taper, taper c’est mal… » Etc.

Travail.

Remplacer ce qui a été brisé pour remettre le monde en place – je bosse chez Carglass. Jeter le verre cassé, morceau entier par morceau entier. Respecter les éclats et les brisures, en faire le tour, deux ou trois fois, pour les cerner. Poser l’index, sur leurs arrêtes. Et murmurer : « toi, tu n’es pas cassé »… Mon partenaire, au centre d’appel – 099 089 099 – doit gérer la rentabilité de ma journée – et de celle de 9 autres employés. I’ m’dit souvent : « Toi tu m’énerves, mec. Arrête de te prendre la tête. Bosse vite ! Bosse bien mais bosse vite. Pendant que les autres font dix visites, toi tu nettoies encore ton site. Merde, mec, bosse bien mais bosse vite. Les trucs pétés, on s’en fiche. Tu balayes, tu les jettes, c’est fini, c’est net. » et il claque des doigts.

Je lui dis « Arrête ça, Rapha. Et tu vois, je ne peux pas. Faut pas casser, tu sais c’est vrai, et réparer, ben, c’est sacré. Si je le fais mal, tout part en live – surtout mon âme. J’en ai ma claque des traitements. Fluoxéthine ou deroxat ; cytalopram, super xanax : mes bons amis ne m’aident pas. Mais réparer, ça c’est sacré. J’en oublie (même) ma réalité. »

Il me répond : «  Toi tu m’énerves, mec. Arrête de te prendre la tête. T’es pas plus félé que le gonz’ moyen de la planète. Mais toi tu le sais : t’es pas très net. Bosser bien, réparer les machins, c’est cool, c’est top, mais ça change rien : c’est dans ta tête, qu’il est, le problème. Tes tocs, tes trucs, répare-les. Et les pare-brises, ben, on s’en fiche. Bosse vite bosse bien, mais pense à ma rentabilité, putain ! »

Téléphone raccroché. Oreillette dessoudée.

Mon train-train-train revient revient, plein de manies, de tout de rien. Intervention : impact aggravé, commune de Dol, ça y est, le kangoo est garé.

« Vous pouvez arrêter ça ? »

Je demande calmement, une chose simple, à mon client. Il fait des « bam » poing contre paume. Il me décrit son accident. Un faisan qui s’effondre en plein vol, tiré par un chasseur dans la forêt de Dol. Bam : sur le pare-brise, déjà fragile. On le dit dans la pub, personne nous croit. Tant pour lui, tant mieux pour moi. Et : bam. Ne pas taper. Bam, le faisan. Taper c’est mal. Bam – tout se casse. Bam. Ne tape pas.

« Vous pouvez arrêter ça ? »

Dieu qu’il a l’air con à se donner des coups dans la main. Bam.

« Vous pouvez arrêter ? »

Taper c’est mal. Faut pas taper.

« Et là, le faisan ! Merde, j’y croyais pas ! »

Bam.

« La ferme ! »

Je hurle ça. Je m’énerve, je crois. Je supporte pas ces mimes violents – le client me fixe, il me trouve fou. Il a pas tort. Je commence à donner des coups de poing très énervés. Je défonce la vitre déjà pétée.Taper c’est mal, casser c’est pire ? L’inverse, peut-être ?

Rien à fiche : la colère est le nœud du problème. Je pète tout. Je pète les plombs. Brise la vitre. Déchire mes doigts – ils sont en sang. J’ai mal, je râle. Je crie. Rugis. Le mec ouvre des yeux ronds. Je dis rien et je me barre. Je saute dans le kangoo, démarre à fond, et dégage de là. Je file comme un taré sur la nationale à travers la forêt de Dol, sous une pluie de chevrotines et de faisans morts.

Je suis fou. Carglass va me virer. Je téléphone. J’ai du mal à mettre mon oreillette, mais quand même, à l’autre bout, Rapha décroche : « Yo mec, t’as arraché ! Déjà plié, le con faisandé ? » « Je démissionne. Je préfère partir, courir très vite, plutôt que subir, me faire punir. Je préfère partir. » « Qu’est-ce’ tu dis, mec ? Toi tu m’énerves, tu… » «  Je démissionne ».

Je raccroche.

Je pose le kangoo au garage Carglass, et j’annonce mon départ.

Tout le monde s’en fout. J’suis pas rentable.

Le soir, j’suis assis dans le parc, sur un banc noir. Je bois une bière, en bouteille de verre. Pas une canette – les canettes, pour les ouvrir on les pète. La nuit me tombe sur les épaules. C’est lourd, la nuit. C’est froid, novembre. Et je me gèle, à regarder la lumière d’or des réverbères sur les branchages, se fracasser.

Fa fait des découpes sur toute l’allée. Maintenant que la nuit est là, impossible d’y foutre un pied, je vais devoir m’adapter. Les ténèbres en face – pelouses massifs bosquets et fougères – seront parfaites pour mon retour.

C’est lourd la nuit, l’automne aussi.

« Fais pas ça ! Fais pas ça, calme-toi ! »

C’est quoi ces cris ?

Une voix de fille qui gémit fort. Elle a peur. Je m’avance. Les cris sont proches. Ils découpent les ténèbres. Insupportable. Et puis bam.

Le bruit mat, lourd et froid d’un coup de poing qui s’abat. Des sanglots. Je distingue une silhouette recroquevillée par terre. L’haleine écumante d’un homme massif fait une buée blanchâtre dans la nuit. Il dit : « Ma vieille, tu me parles plus comme ça ! Tu l’referas pas ! » Il prépare un coup de pied, ce con.

« Ne tapez pas ! »

Taper c’est mal. Je hurle. Ça le déconcentre.

« Oh ! Tiens, un héros ? »

« Ne tapez pas. Taper c’est mal. »

Il rit. Je m’approche de lui. Il me donne un coup à l’épaule. Je lâche la bouteille de verre. Dans l’herbe, elle ne casse pas. C’est déjà ça. Mais la colère – elle – est là.

La colère est le nœud du problème. Elle monte dans mon ventre, noie mes poumons, vrille dans mes bras. Putain, j’aime pas ça, mais…

« Alors, on joue les supermans ? »

Autre tape à l’épaule.

« Tu dégages ! C’est privé ici ! C’est perso ! »

Je répète, comme d’hab, « taper c’est mal, ne tape pas » mais je le dis à HAUTE et intelligible voix. Je l’intègre, en quelque sorte. Au monde et à moi. Je suis en colère. Mais ma colère est légitime. Ce crétin sera puni cette fois. Pas moi.

Il me balance son poing dans la tête, les milles verrous dans mon crane qui font des tocs, des manies, des habitues, des problèmes, des contraintes, des angoisses, des routines, des obsessions, des retours, des vérifications, des rituels et tout le reste, tous ces verrous, partent en éclat.

Casser c’est mal, taper c’est pire… et s’énerver….

« Pauvre con ! »

Pendant que le sang coule sur mon œil, versant de mon sourcil tout éclaté, je balance coup sur coup dans le bide, le diaphragme, la mâchoire de ce type que je connais pas, mais qui tape. Taper c’est mal. En retour je frappe. Bam.

La silhouette par terre rampe un peu plus loin, plus loin des coups autant qu’elle peut.

La colère est à mon service, à son service, elle, la victime. Mais s’énerver… bam… S’énerver… Bam… c’est mal aussi…

J’arrête de frapper. L’homme comprend qu’il doit se barrer. Maintenant. Il détale dans la nuit.

Mes doigts coupés, mon torse décoré d’ecchymoses, ma gueule sanglante…

— Eh ? Ça va ?

La silhouette qui était à terre s’est relevée et rapprochée lentement. A mes côtés, sa chaleur vient un peu casser le froid, la nuit, le reste…

Elle m’entraîne vers le banc. La lumière d’or des réverbères tombent sur elle comme une aile d’ange. Elle est jolie. Toute jolie. Son regard tendre, asymétrique, brille d’un coté dans un coquard d’un beau violet. Elle demande :

— T’es une sorte de flic ou quoi ?

Tiens, elle me donne une idée. Elle me donne aussi la main pour rentrer. Sentant ses doigts, entre les miens, j’oublie un peu les craquelures des trottoirs, les crevasses des chaussées.

Casser, c’est mal, taper c’est pire, et s’énerver…

Mais réparer, ça, c’est sacré. Elle me répare, dans ma salle de bain. Le carrelage me nargue. Je m’occuperais de lui, demain matin.

Page 132 et suivante (suite)

Un matin froid de décembre, Élodie marche d’un pas peu convaincu en direction de son bureau. Elle a perdu son entrain et sa bonne humeur depuis longtemps – quelque part sur ce trajet d’ailleurs. Rien ne va travail : ses collègues ne lui parlent presque plus – une sombre histoire de cul travestie en grande romance en est la cause. Ses contacts extérieurs la boudent : elle n’est pas assez réactive selon eux. Son chef ne sait plus quoi en faire : elle semble perdue dans un univers qui la dépasse. Continuer la lecture

Page 132 et suivante (début)

J’ai trente ans ce mois-ci. Je suis née en l’an de grâce 1983.

On était en décembre et il faisait froid dans la petite imprimerie de région parisienne où l’on m’a accouchée. Pour l’employé qui m’accueillit, je présentais de nombreux défauts : je n’étais pas terminée – mon histoire se concluant sur un précipice de pages blanches – et ma couverture était complètement ratée.

« L’opéra des enfants » – mon titre – était nu, seul. Le maquettiste avait oublié de préciser le nom de mon auteur. Ma tranche sauvait l’honneur de cet amateur, mais ça s’arrêtait là, car il y avait aussi le mystère de la page 132. Le motif complexe qui y était représenté ressemblait à celui qui illustrer la couverture. Cependant, tout le monde pouvait y déceler de très nettes différences de circonvolutions. Étaient-elles voulues ? Personne ne le savait. Tout le monde, au point où ça en était, s’en fichait. Continuer la lecture