sérendipité

La sérendipité
17/01/2016

Du frigo à la mobylette

Mon papy, il raconte toujours la même histoire ; moi je sais que c’est vrai, mais la maitresse, elle m’a dit que j’étais un fa-bu-la… » quelque chose, ça veut dire qu’elle ne me croit pas !
Le grand père de mon papy, je sais bien qu’il a existé parce que j’ai vu une photo ; Pépé Eugène qu’il s’appelait ; il vivait dans l’ancien temps ; mon papy, il l’aimait beaucoup ; il l’aimait parce que c’était inventeur !
Il avait un hangar à Balma, il fabriquait des choses ;
Un jour il a voulu inventer un frigo ;
Moi je sais que les rois avant, pour garder des choses froides, ils faisaient porter de la glace des glaciers dans la montagne on la mettait bien tassée dans un trou et ça s’appelait une glacière. Du temps de pépé Eugène, y avait l’électricité, qu’elle existait pas du temps des rois.
Alors le pépé, il a eu l’idée de garder le froid avec l’électricité.
Mais avant, il fallait trouver comment fabriquer du froid, on ne pouvait pas continuer à aller le chercher dans les montagnes !
Le pépé, comme c’était un savant il savait que les gaz quand on les mélange ça fait de la chimie ; il avait vu aussi en nettoyant des trucs en fer que l’ammoniaque ça dégage du froid ;
Pour garder les gaz qui peuvent faire du froid, il faut les rendre liquides ; même la maîtresse elle le sait que les gaz peuvent devenir liquides, elle nous l’a appris avec la vapeur d’eau ;
Alors, mon papy, il m’a dit que l’idée de génie du pépé ça a été d’inventer un « con-presseur » : c’est une machine qui serre très fort les gaz et ça les fait liquides ;
Après on les met dans l’armoire qui garde le froid ; il faut faire un mélange, ça s’appelle un mélange « cry-o-gène » ; c’est dur de se rappeler de ce mot, mais je le sais par cœur à force d’écouter mon papy qui raconte toujours la même histoire quand on mange et qu’il a bu l’apéro ; maman je vois que ça l’énerve….
Dans le hangar de papy Eugène, des produits chimiques, y en avait plein, de toute sortes et un jour au lieu de mettre l’ammoniaque, il a mis de l’essence dans le compresseur ;
Il a compressé l’essence et ben, ça a fait une explosion !
Très forte ; les lunettes du pépé sont cassées et tout ce qui était autour du compresseur est parti et même lui le gros et lourd compresseur, il s’est déplacé !
Alors le pépé, il a compris qu’avec la force de cette explosion on pouvait faire bouger des choses ;
Il a essayé beaucoup, souvent, tout le monde disait qu’il était fou parce que ça faisait boum et boum…
Quand il a compris comment ça marchait, il a pensé de mettre le compresseur sur son vélo ; et ben, le vélo, il avançait tout seul, plus besoin de pédaler !
Mon papy, il dit que ça faisait peur à tout le monde, les gens disaient que c’était l’œuvre du diable.
Le pépé, il allait partout avec son invention, il l’avait appelée la bicyclette mobile, puis il disait la « mob ».
La maitresse elle dit que c’est pas vrai que le pépé Eugène a inventé la mob, elle dit que c’est monsieur Peugeot qu’a inventé la mobylette.
Mais moi je sais que ce monsieur, il a volé l’idée du pépé ; il avait des sous, il fabriqué beaucoup de bicyclettes mobiles, il en a vendu plein et est devenu plus riche encore ; après il a fait des cyclomoteurs et des velosolex qui sont d’autres sortes de la mob du pépé Eugène.
Le pépé Eugène, il a été très malheureux qu’on a jamais dit que c’est lui qui avait trouvé cette belle l’idée en cherchant a fabriquer du froid ; on n’a même jamais dit que c’était lui qui avait fabriqué le « proto-type » ;le prototype ça veut dire ça veut dire le premier exemplaire, l’invention. Même qu’il a plus voulu rien inventer après.
Mon papy, il a vu le chagrin de son grand père et c’est pour ça qu’il en parle tout le temps ; Quand maman est fâchée que papy il parle toujours de ça, papa, il dit que c’est un « trauma familial » ; là je ne sais pas ce que ça veut dire parce que moi je connais des mots de mécanique parce que mon papy il me les raconte, mais je connais pas bien les autres mots !

Les arènes de Madrid

 

  • Atelier du 14 mars 2016

Trois photos en noir et blanc prises aux arènes de Madrid

Dénommées «  La plaza de las ventas » ce sont les plus grandes arènes d’Espagne. Inaugurées en juin 1931, elles peuvent contenir 23798 personnes.

C’est veille de corrida. Les arènes retiennent leur souffle. Aucun bruit. Dans le cortal, le taureau attend.

  • Chacun s’affaire à sa tâche, et tous pensent à lui. Quelques heures avant son entrée en piste, le torero nous accorde une pose. Il a vu le taureau, il connait la finca où il a grandi, il sait quelle herbe il a brouté, il est au courant de sa généalogie. Pourtant, pas d’émotion sur son visage,  il est campé sur ses jambes fines, légèrement écartées,  dans une attitude majestueuse.  Chaussés de zapatillas noires, ses pieds sont posés en position ouverte sur le sol. Il a déjà revêtu l’habit de lumière. Camisa blanche, panoleta glissée dans le chaleco et chaquetilla. Dans sa main gauche croisée sous la droite, à hauteur de sa taille il tient la toque qu’il posera tout à l’heure sur sa tête. La talequilla moulante s’arrête à mi- mollets, il ne porte pas de bas. Le jeune homme est élégant. Un visage délicat, des cheveux frisés coupés courts, des oreilles plaquées, un nez droit et des yeux vifs. Il est sympathique.
  • Plus loin, le garçon d’arène, bien que très occupé, accorde un instant à l’œil du photographe dans la pénombre  du couloir qui mène aux cortals. Son habit clair fait une tâche de lumière. Il surprend par son allure lourde, puissante et son air soucieux. Une tête ronde, des cheveux courts, et noirs, il fronce les sourcils qui surplombent de petits yeux sombres. Une fossette au menton attire le regard. Sa blouse claire s’arrête au niveau de la taille. Les boutons du haut sont ouverts sur une chemise sombre. Le pantalon dont le bas est négligemment rentré dans des bottes en plastique blanc est de la même couleur claire que la blouse. A côté de lui, son outil de travail, une sorte de brouette attend qu’il se libère.
  • Nous le quittons pour rejoindre la marchande de fleurs dans un couloir lumineux aux murs blancs. Elle est ravie de jouer la star. Elle pose dans une attitude très féminine, un peu aguicheuse, pied gauche en avant, épaule droite légèrement offerte, nécessaire au commerce avec la gent masculine. Ses cheveux blonds sont peignés en arrière, l’oreille gauche est dégagé, alors qu’une mèche frôle l’œil droit. Des boucles d’oreilles tombantes et brillantes  s’accordent avec la coiffure. Elle porte un haut à encolure carrée bordée de larges fleurs soulignant une poitrine généreuse. Sa jupe à gros pois, s’arrête au-dessus du genou. A hauteur de la taille elle tient, non pas, comme le torero une coiffe mais un bouquet de trois fleurs. Elle a le visage agréable des bonnes commerçantes.
  • Demain chacun tiendra son rôle pour que la fête soit parfaite.

 

Le shérif

15 Février 2016

Quand ma grand-mère a disparu, un matin de février, alors qu’elle était allée, comme tous les jours, faire une promenade dans le bois qui jouxtait leur maison, isolée dans la campagne périgourdine, et qu’elle n’a jamais été retrouvée, mon grand-père a paru très affecté. Pendant des semaines il est resté cloîtré, ne mangeant presque rien, ne sortant plus. Pourtant ils ne s’étaient jamais entendus, ce n’était un secret pour personne. Ils ne se parlaient que par pure nécessité. Ma grand-mère était une femme timide, très effacée et entièrement soumise à son mari. Elle n’avait jamais travaillé. Lui, avait consacré sa vie à la police. Pourtant l’enquête s’étiola et prit fin assez rapidement. Lorsqu’il nous montra la photo d’un village créé pour recevoir les personnes âgées, quelque part en Arizona, nous fûmes rassurés sur son état mental. Il partit donc. Nous habitions Londres et n’avions que peu contacts avec lui. Sa décision nous soulagea. Hier en rangeant de vieux papiers, je suis tombée sur la photo de ce village. Deux ans déjà qu’il est parti. Depuis aucune nouvelle. J’avoue ne pas avoir beaucoup pensé à lui. Je restais un moment devant cette photo. Pourquoi était-il parti si loin abandonnant complètement les recherches malgré ses relations. Mon cerveau m’envoya alors : « malgré ou grâce à… ». Ce qui me vint à l’esprit, ne pouvait être balayé. Je me confiais à mon mari qui partagea mes doutes, et nous avons décidé de lui rendre visite. C’est ainsi qu’un matin de printemps nous nous sommes retrouvés face à lui, dans une petite maison qu’il occupait avec une dame coquette, bruyante, riante, tout le contraire de ma grand-mère. Il nous apparut tellement heureux, rajeuni, détendu, naïf dans son bonheur tout neuf, et dans son habit de shérif (on ne change pas) que par un regard complice, nous avons décidé de taire nos questions.

Une idée qui faisait son chemin

 

Ce matin il a remis la pendule en marche. Il est 15 heures quand il s’assied à la table de la cuisine. Il revoit les quatre hommes descendre avec précaution le cercueil dans la fosse, à la même heure, hier.

Il écrit : « Vieillard, bon pied bon œil, cherche aide dans le même état pour tromper solitude.

Coquette maison, piano qui attend des doigts de fée pour chanter, et

Vieillard ne demandant qu’à danser.

Sur le buffet une enveloppe déjà timbrée et pré-adressée est posée. Il glisse sa feuille à l’intérieur et, muni de son déambulateur se rend à la boite à lettres la plus proche.

25 janvier 2016

Les reflets de lumière ont disparu, laissant

Un vide sombre avaler le bonheur.

Reste l’inquiétude possible.

Le personnage professionnel, droit, parfois jovial

Est pourtant ridicule ou gracieux jusqu’à la perfection.

L’attitude trahit la peur.

Narcisse ironique, pose pour d’aguicheuses idoles

Prêt à se faire attendre,

Impatience insatisfaite.

question d’objectivité

La vallée de Cominac, Ariège ;
30 km au sud est de Saint Girons ; 800m d’altitude
Hiver : arbres branches nues, feuilles de hêtre au sol ;
Des feuilles ocres sur les chênes ;
Terrain en pente, herbe verte, abondante ;
Des granges sur le versant ; pierres grises, toits pentus en ardoise ;
Plus bas un village : maisons rapprochées, fumée aux cheminées, église au clocher bulbe ;
Au sud en face, la chaine des Pyrénées ; différents étages suivant l’altitude et l’éloignement ; il y a de la brume ;
Au dessus les cimes blanches, sur le ciel bleu.
On entend le moteur d’une tronçonneuse.

Le soleil d’hiver réchauffe la vallée, il enchante les prés ;
Les feuilles des hêtres sous les arbres comme des nids douillets, roux et bruissants ;
Des éclats de lumière dansent sur les dernières feuilles des chênes ;
Sur l’herbe, verte et grasse, des granges sont blotties, promesse de chaleur et de foins parfumés pour les troupeaux ;
Au village, plus bas, des écharpes de fumée s’envolent, gracieuses vers le ciel ; L’église et le clocher au centre, où se nouent les destins des habitants ;
Le chant d’une tronçonneuse, la vie est là, évocation de la chaleur de foyer.
Les Pyrénées au loin, baignées de douce lumière bleutée, piquetées de paillettes de neige, comme un appel vers l’au delà de cette vallée, qu’un vent aventurier caresse.
On peut sentir le printemps à venir sous les stigmates de cet hiver, promesse de vie nouvelle ;

La vallée, en hiver ; les arbres noirs, branches nues, menaçantes ;
Les feuilles au sol, bruyantes, odeur de pourriture ;
L’herbe, gorgée d’eau froide, spongieuse et glissante, traitre, sur ce terrain en pente ; pas d’endroit ou se raccrocher.
Les granges, comme des blocs durs, inquiétantes, portes closes ;
Le village plus bas, hostile, isolé, fermé aux étrangers ; l’église et son confessionnal ;
Au loin les montagnes obstruent la vallée ; un poids sur les épaules, sur le cœur, dans les jambes, jamais cette barrière naturelle ne pourra être franchie ; elle condamne la vallée et ses secrets ; pas d’échappatoire, l’hiver va tout figer ;
Cri strident d’une tronçonneuse.

NUIT

(c) Marie Carré

(c) Marie Carré

Vers qui ce regard perçant l’obscurité, cherchant le moindre reflet de ce monde glauque ? Visage interdit, déshabillé de tous ses masques, se dévoilant pourtant, à peine comme une statue figée. Découpage d’une mosaïque de vie enfouie.

Sa vie dans une lueur intime, ses yeux plombés au sol mouillé, cachés sous de larges sourcils bruns. Elle laisse là, une trace non déterminée, fissurée de blessures infligées par des hommes de rencontre. Protégée, penses-t-elle d’un imaginaire rideau de fer comme celle d’une boutique fermée du Rialto.

Cela faisait bien longtemps que dans sa tête, elle n’avait pu s’engager dans la profondeur de ce vieil escalier de la maison du quartier de son enfance ? Violence, bagarre, marionnette de ces heurts, commencés déjà avec son père.

Aucun confessionnal, aucun thérapeute n’avait su calmer sa douleur, ni ces flèches pénétrant son corps. Elle se sentait comme un bas-relief mais encore vivante !

Elle aurait voulu se grandir, atteindre la démesure, gonfler son visage pour affronter toutes ces verticalités qui l’avaient offensée.

Doit-elle se justifier, elle que ces hommes regardent toujours et encore au détour de leur ballade nocturne de canaux en canaux de ponts en ponts. Rien, elle n’est que l’image imaginée par un metteur en scène italien pour son dernier film «  le viol ».

 

Philippe/ Atelier Bonnefoy 2015

ÉCHEC ET MAT

 

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7H30, comme chaque matin, James se lève. À l’aide de sa béquille, il se rend à la salle de bain, rasage de près, assis sur son tabouret orthopédique, douche, séchage et un joli coup de peigne avant d’enfiler sa prothèse de jambe en bois.

Il allume la radio : « guerre en Irak… », brutalement il éteint la radio, cet ancien capitaine chez les « biffins »  en a marre de ces informations en boucle, sur les conflits armés. Il préfère savourer en silence, les petites brioches du matin accompagnées d’un grand bol de café au lait. C’est Jeudi, jour de rencontre avec ses potes, les anciens du quartier au café de la Trinquette. Malgré son handicap, il doit malheureusement se hâter. Il noue avec précision une cravate claire assortie à  la couleur de ses yeux, avant d’enfiler sa veste de costume et de sortir de sa maison.Il fait beau, peut-être une journée sans nuage ?

Rarement à « La Trinquette » on trouve des femmes de si bonne heure le matin, aussi dès la double porte poussée qu’elle ne fut pas sa surprise d’apercevoir Justine installée à une table, une ancienne maîtresse qui ces derniers temps ne cessait pas de le harceler de mails et de Sms, elle désirait absolument le revoir. La tête haute, très digne il la salue d’un sourire discret et s’échappe sur sa droite à la table de jeu où est déjà installé son jovial et gros ami Léopold. Il semble lui susurrer des confidences à l’oreille, Léopold extirpe ses 100 kilos au-dessus de la table et d’un regard dur vers James part s’accouder au bar, comme sur les cordes d’un ring, le laissant seul face à l’échiquier vide.

Pensif, la tête penchée sur la table, James lentement installe les pièces sur les carreaux bicolores, d’abord les noires, celles de son adversaire, et il pense fortement à la petite brune qui l’attend à côté, puis celles de couleur claire, celles qu’il choisit toujours aux échecs. Le jeu en place, curieusement il tâtonne la dame brune, l’adversaire, il réfléchit à la tactique pour l’affronter. Cela ne lui ressemble pas, lui d’habitude si direct, un pressentiment d’une bataille difficile, d’un combat dont il aura du mal à s’en sortir vainqueur.

Demi-tour sur les talons parfaitement effectué, il se dirige vers elle et s’assoit à sa table.

Sans un mot, il lui prend les mains et les enveloppe des siennes, depuis son plus jeune âge, le contact des mains avec la gent féminine le rassure et lui permet de manière mutique de lui exprimer son attachement. Justine le connaissant que trop bien lui dit à voix basse, de façon à être inaudible des autres clients du café :

  • – James, James… Tu ne vas pas t’en tirer comme cela. Tu sais que je t’aime, alors écoutes moi…

James ne réagit pas, pas un mot, seule une caresse furtive sur le bras de son amoureuse.

  • – Je veux me marier avec toi, tu le sais,: « Je t’ai tell’ment dans la peau, qu’j’en d’viens marteau », comme le chante si bien Piaf. James tu es mon homme, ta femme décédée, tu ne peux plus me refuser.

Furtivement, il laisse glisser ses deux mains de son étreinte et les pose à sa cuisse meurtrie comme pour soulager une douleur.

  • – Ne crains rien, je serai ton infirmière jusqu’à ton dernier souffle, j’aime trop faire l’amour avec toi, tu es mon homme foudroyé, et je le sais, comme tu as su déjà me le prouvé, tu es à la hauteur d’un Blaise Cendras ou d’un Joë Bousquet, ces hommes connus qui comme toi avaient su être des amants entiers avec leur handicap.

Ces derniers mots semblent lui transpercer son cœur, lui si pudique, il ne sait plus comment réagir, un mot lui vient à la bouche, il voudrait lui hurler : « garce », mais il reste abasourdi, très vite il se dit qu’elle n’a rien compris, certes il a été avec elle un excellent amant, mais il n’y a pas que cela dans la vie. Il se sent humilié que son moignon soit l’enjeu des rapports amoureux qu’il a entretenus avec elle ce n’est surtout pas là qu’il place sa singularité. Il se redresse brutalement, tend le bras fait semblant de la gifler et se dirige vers la porte des toilettes en s’adressant à Léopold.

  • – Alors on se la fait cette partie.

Seul face à la glace, la canne posée sur le rebord de l’évier du lavabo, James s’essuie les yeux, l’âme triste, il déteste voir son visage aussi rigide, mais comme dit la chanson, les larmes ne n’y pourront rien changer, il est trop fier ou indépendant. Sa vie entière faite de docilité a toujours oscillé de manière contradictoire entre sa volonté de faire ce qu’il voulait et d’être un bon « petit soldat ».Lui seul à accepter d’aller combattre en Indochine, lui seul a choisi une seule épouse pour sa vie. Seul il sort des toilettes, en boitant à peine, la tête haute, un regard furtif vers la table où était installée Justine il ne reste qu’une tasse à café à moitié vide.

 

Philippe

Atelier Bonnefoy 2014

roman d’amour

le lampadaire et le goéland            16 novembre 2015

Je vis pas loin du port, prés de la grève vaseuse, dans les embruns iodés et le parfum des varechs qui sèchent, je suis bercé par le va et vient des vagues.

Delà ou je suis, je vois une grande partie de l’île plate, ses champs d’artichauts à droite et à gauche les bateaux bien sur, le port plus loin avec le phare orgueilleux à l’ouest.

Je fais le pied de grue depuis plus de 30 ans à cette place, que je ne partagerai pas pour tout l’or du monde. Je suis indispensable :

L’été je veille sur les amours estivales des adolescents et quand vient l’hiver, je donne de la chaleur dorée au port, je guide les écoliers dans le brouillard de novembre et montre aux vieilles femmes en noir le chemin de l’église pour la messe du matin.

Je suis modeste, mais régulier ; Toujours prêt au service au bon moment, à la tombée du jour ; je ne suis pas comme le gros prétentieux de l’autre coté du quai…Lui il ne travaille que par saccades, il a une tête giratoire, et se croit obligé d’aveugler tout le monde!et ça prétend être sauveur de vies !!!

 

Dans ma famille, il y a eu d’illustres ancêtres, d’autres plus modestes ;

Il paraît qu’une bougie en cire véritable figure dans notre généalogie, et qu’il y a eu aussi des lampes tempête.

Une branche de la famille aurait été sémaphore, dieu soit loué, on les as perdus de vue !

Mon grand père était réverbère, un lampiste était à son service ; Continuer la lecture

Le chant du galet

Le chant du galet

Toi, je t’ai aimé pour tes mouvements de va-et-vient
la force de tes élans et la sagesse de tes retraits
j’ai aimé ta voix
tantôt cristalline tantôt ténébreuse

je t’ai aimé de loin sans même le savoir
alors, le jour où cette main s’est posé sur moi
pour me jeter jusque dans tes bras,
je suis devenu si léger, si heureux
avec douceur et sauvagerie,
tu m’as fais rouler dans ton flot
j’ai aimé chaque fois où ton écume, suave et dense,
se lovait contre ma peau, dure et lisse.
j’ai aimé sentir ta masse et ton agitation
se soulever par les vents et les marées de pleine lune
je me suis surpris à penser que j’étais la cause de tes émois,
de tes frissons, de tes états d’âme.
à ma vague, mon vague à l’âme
je t’ai aimé jusqu’à te regarder d’un air vague,
aveuglé par les trémolos de tes rouleaux.
je t’ai aimé jusqu’à oublier ma nature de caillou poli
jusqu’à confondre mon histoire avec la tienne
chantant dans tes creux,
à la mémoire de l’eau, à la mémoire de notre mer
tu as ondulé sur moi
tu as arrondi mes angles
tu as lissé ma peau
à ma vague, mon vague à l’âme
si tu savais, j’ai détesté n’être qu’un parmi d’autre
un joyeux bordel d’entrelacs, ondes de chocs

moi le galet, la pierre,
j’étais tellement fasciné de tes mouvements océaniques
j’ai détesté lorsqu’une fois le vent tombé ou la marée descendante,

tu me laissais.
je ne voulais pas t’attendre
je savais qu’il te fallait te retirer, partir au large
j’ai détesté être jaloux de toi, de ta vie.
je me suis senti ridicule et honteux d’être là,
comme seul et abandonné
les autres étaient comme des étrangers
je m’en voulais d’avoir perdu
mon goût pour la communauté
et puis, il y a eu les jours de calme, les jours de froid, les jours sans toi
je me suis sentie si vide de toi
si lourd de moi
à ma vague, mon vague à l’âme
tu m’as fait goûter à la vie
à ces cycles et ses errances
et ton charme n’a jamais cessé ces influences
d’autres galets, d’autres pierres, un tas d’objets et des tas d’enfants rieurs
tu les accueillais tous, sans distinction
tu gardais tes mystères et tes secrets
dans le calme ou le vacarme
que reste-t-il de nos amours ?
des mots, qu’on les ramasse à la pelle
une encre ne se jette pas dans une vague
maintenant je me dis que tu n’étais pas « ma » vague
maintenant je me dis que tu étais vagues multiples
chacune de tes impulsions me racontaient combien tu étais déjà loin
de tes vas de tes vient
À ma vague, tu es devenu si vague
Que j’ai perdu le goût de nos rouleaux
j’ai regretté l’espace du grand large
j’ai regretté l’espace de la plage
tes bras devenant des griffes pour ma peau si lisse.
Cessant de t’aimer,
j’ai écouté en moi, tout au fond de moi,
dans mon cœur de pierre …
le souffle des voix de nos ancêtres :
les comètes