Archives de catégorie : galerie du chateau d’eau

textes du lundi après midi

Grégoire Alexandre « Sans Titre »

 

 

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Grégoire Alexandre

« Sans titre »

Décor noir blanc. Ouverture libre réaliste ou conceptuelle.

Danse unique, pudique, jouissance concentrée, sensualité.

Postures multiples en éclats de pétales suspendus, évanescents,

dispersés en discussion.

Pause esthétique, seule, nue, évanouie. Mouvement intérieur, rayonnant, enveloppé d’ombres droites… Peur de l’espace, lilliputiens murés en surimpression, chus dans une grotte torsadée aux plis charnus alignés.

Colère extérieure, ordre lié à la pauvreté, souillure.

 

Philippe

Château d’eau septembre 2013

exposition Alexandre Grégoire

Femme, silhouette élégante, chignon lâché, mouvement en liberté, blondeur ébouriffée et talons scintillants.

Homme, possible attente concrète, pointe tendue et ferme comme un stalactite, croise, décroise, plonge, esseulé. Impossible envol d’un théâtre de carton.

Restent des stalagmites hurlants groupés dans la cave en béton de la prison émergeant d’un pli abstrait en trompe l’oeil et chuchotant une réalité fuyante.

Reportage

EXPOSITION ANTANAS SUTKUS

EXPOSITION
ANTANAS SUTKUS

EXPOSITION ANTANAS SUTKUS

Le bruit de mes chaussures sur cette allée recouverte de petits cailloux envahit ma tête, j’avance dans ce grand parc arboré sans savoir où me mèneront mes pas. Quand j’ai ouvert la grille d’entrée, je n’ai pas pu lire sur le panneau de ferraille le nom de ce lieu, on devinait à peine le mot kind, kin er, quelque chose comme cela.
Un chant d’oiseau m’attire et j’ose pénétrer plus en avant dans ce bois, et soudain au loin face à moi dans une éclaircie d’une trouée d’arbres un masque, mime Marceau, tête d’enfant irradié, portant une chemise à carreaux, nouée d’une lavallière, je ne peux m’approcher plus de lui qui pourtant me regarde intensément, je fuis. Continuer la lecture

L’homme âgé à la terrasse du café…

Photo de Géraldine LAY

Photo de Géraldine LAY

Elle vient à peine de le quitter, et les effluves de son parfum se disputent avec son après-rasage dont il s’était copieusement aspergé après s’être rasé de près pour ce rendez-vous.
Violetta n’avait que peu de temps à lui consacrer, elle était en répétition dès onze heure ce matin-là.
Roberto aime particulièrement ce petit bistrot, à moitié épicerie de nuit dans ce quartier des théâtres, il savoure surtout cet espace le matin, quand la lumière jaillissant de la rue vient lui lécher la peau, yeux mi-clos. Pour lui, c’est le temps de la respiration retrouvée, après ses nuits si souvent agitées, ces insomnies qu’il dénomme créatrices.
Ce vieil homme de théâtre, arrivé tard à la mise en scène après avoir été assembleur de décor, accessoiriste, puis menuisier jusqu’au jour de ses soixante ans, où il décida de mettre en scène sa propre pièce, son œuvre qu’il avait écrit toute une vie. Continuer la lecture

par la fenêtre

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Cette nuit le temps s’est arrêté à midi, je me suis mise à la fenêtre et j’ai vu des anges de pierre installer des hamacs de fils dorés sur les colonnes des monuments. J’ai vu les vagues de la mer se figer, j’ai vu le temps suspendu, la ligne noire du passé se mélanger avec la bande noire du présent pour tracer une figure éphémère dans le ciel blanc. J’ai vu un homme assis à son bureau dans une salle de classe tourner inlassablement la même page d’un livre tandis que les marches en pierre qui mènent à la butte s’étaient métamorphosées en escalier mécanique. Sur la montagne la neige fondait et le sommet levait la tête. Et puis j’ai tourné la tête et j’ai vu sur la table les maillons d’une chaine cassée et deux verres, un papier et un chandelier, je t’ai imaginé dans l’ascenseur et j’ai vu un bateau sombrer, sans survivant, aucun.

Que reste t-il, que nous reste t-il de ce temps ? Des papiers déchirés, la gueule de bois après la fête, tout n’était-il que faux semblants ? Comme cette colonne posée au milieu de la pièce qui ne soutient rien, qui transperce le plafond, qui nous avait donné l’espoir qu’elle grandirait sans rencontrer d’obstacles. Comme cet arbre mort posé sur le sol dont tu avais encadré la photo verticalement te plaisant à répéter que l’important n’était pas la mort de l’arbre mais la manière dont on le regardait. Nous avons écrit l’histoire de A à Z, le milieu nous appartient. Il nous faudra du temps pour réparer, pour ravaler le temps passé qui nous a abimé. Il nous faudra du temps pour agripper un à un les barreaux et remonter la pente. Le cadre n’a pas bougé, c’est la photo qui est tombée. Il nous faudra du temps pour effacer les traces du temps. Cette nuit le temps s’est arrêté et je me suis mise à la fenêtre. J’ai vu des gens, des vagues et puis des champs qui s’agitaient inutilement, j’ai vu des choses sans queue ni tête, renversées, renversantes. J’ai vu un jour de fête et l’effondrement d’un monde. Ce qui est cassé ne pourrait être réparé et puis un voile blanc est tombé et je n’ai plus rien vu du tout. J’ai fermé les yeux me débattant contre des hirondelles qui s’étaient installées dans ma tête dévastée, et en attendant que les minutes et les heures ne défilent à nouveau, j’entretiendrai ton souvenir et le jour où les mauvaises herbes repousseront je t’aurai oublié.

(inspiré d’une expo à l’espace écureuil en juin2013)

Procrastination

tiroirs bois14/01/2013

 

 

Lucie pénètre chez elle et ôte machinalement son manteau. Dans ses mains, une lettre qu’elle décachette avidement. Elle a reconnu l’écriture : Paul, son ami d’enfance. Dans l’enveloppe, une photo jaunie les représentent tous deux à 18 ans dans le jardin de grand-mère. Ils se tiennent par le cou et sourient radieux à l’objectif. Derrière le cliché trois mots : « Que deviens-tu ? ». Aucune signature mais les dix chiffres d’un numéro de téléphone.

 

Elle soupire, s’affale sur le canapé. Oui, elle va l’appeler. Trop longtemps qu’ils ne se sont parlé. La dernière fois qu’ils se sont vus ? Voyons, il y a cinq ans peut-être, pour l’anniversaire de Chloé en Bretagne…Ah non, il n’était pas venu, voyage d’affaire…Alors quand ? Il lui semble capital de s’en souvenir mais elle n’y arrive pas…Elle ressent une irritation qu’elle ne comprend pas. Après tout, c’est sa faute, il n’a jamais été très disponible. Elle non plus… Continuer la lecture

Pourquoi tu souris?

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– Pourquoi tu me regardes comme ça ? Ça te gêne, une femme au foyer ? Tu me crois pas si je te dis que ça va ? Oui, comme tous les matins, John vient de partir. Comme tous les matins, je lui ai préparé son café. Je l’ai versé dans son mug favori orné d’un cœur. Celui qu’ Anna lui a offert pour la fête des pères…Il y a quelques années déjà. Maintenant elle est à Paris comme jeune fille au pair, pour améliorer son français. Son père et moi, nous sommes très fiers d’elle. Nous n’avons pas beaucoup de nouvelles mais c’est difficile avec le décalage horaire…

Si je te dis que ça va…John a un bon boulot, un peu prenant sans doute, mais bon, grâce à lui, nous terminons le crédit de la maison ! C’est vrai, j’ai dû arrêter mes études quand j’ai été enceinte d’Anna mais comme l’ont dit mes parents j’aurais pas pu aller jusqu’au bout de toutes façons. Tout à l’heure j’irai faire les courses. Tu crois que je devrais me maquiller avant de sortir et m’attacher les cheveux ? John dit qu’il m’aime « nature », c’est son expression. Il en a marre de toutes les secrétaires peinturlurées de son entreprise. Pourtant mon amie Charlène m’a raconté qu’elle l’avait vu dans un restaurant avec une de ces créatures. Il a bien ri quand je lui en ai parlé, repas d’affaire bien sûr ! Il m’a prise dans ses bras : « ma p’tite femme nature, ne change pas ! ». C’est drôle, Anna ne me ressemble pas, toujours pomponnée, bien habillée et John ne lui dit rien, à elle. Je ne comprends pas. Bon, c’est pas tout ça, faut que j’y aille, que je prévois le repas de ce soir. Ah, mais que je suis bête, il a raison, John, parfois je perds la tête. Ce soir mon mari rentrera tard : il doit manger avec des clients.

Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu souris ? Puisque je te dis que ça va…

 

– Tu te demandes vraiment pourquoi je souris ? Comment peux-tu être aussi naïve ? Ton John, il te trompe depuis des années. Ton Anna, elle s’éclate à Paname…Tu t’es jamais demandé pourquoi elle était partie si loin ? Regarde-moi…Pourquoi tu souris à ton tour ? A moins que…non, à moi, tu ne la fais pas:tu les as tous eus avec tes airs de chien battu…ton mari, ta fille, tu les laisses s’éloigner. Pour tes amis apitoyés tu restes la bonne ménagère, fidèle au foyer. Oh oui, maintenant je vois clair dans ton jeu. T’as failli m’avoir, tu sais ? C’est ça, tu prépares la suite : un bon petit divorce avec flagrant délit, une pension alimentaire conséquente. Tu gardes la maison, bien sûr…T’as tout ton temps, hein ? Et après, la belle vie:instituts de beauté, voyages…Une petite visite à Paris, peut-être, pour pleurer dans les bras de cette chère Anna ? Ou plutôt, non, un tour du monde avec le meilleur ami de John, juste pour rigoler un peu et faire d’une pierre deux coups… Oui, tu as tout ton temps…Conserve ce regard désespéré ! Tu ne me l’as fait pas à moi et tu sais quoi ? BRAVO !

Sur un air de jazz

Géraldine Lay.

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Sur un air de jazz

 

Elle avance à grandes enjambées, rêve un instant d’un monde parfait en écoutant un accordéoniste pianoter un morceau d’ « Amélie Poulain »…Sa décision est prise:elle doit partir. Partir vite et loin. Sauter dans le premier train. Puis dans le premier avion. Ou le premier bateau.

Là bas, l’air sera plus doux. Elle se baignera avec volupté dans les tiédeurs océanes au sein d’une myriade de bulles irisées.

Ici, le vent souffle en tempête, en hurlant dans ses oreilles. Elle frissonne, accélère le pas, dépasse sans tourner la tête le groupe scolaire où piaillent des gosses innocents qui ne savent pas encore que la vie est courte et qu’il faut se presser. Elle aperçoit la gare et se met à courir. Juste traverser la rue. Une voiture surgit qu’elle ne voit ni n’entend. Grincements de pneus. Une alarme retentit. Des gens chuchotent autour de son corps allongé.

Lovée dans le sable du lagon, elle sourit. Une musique de jazz, douce et apaisante berce son corps.

Son morceau préféré.

Ultime frisson de bonheur.

Elle est arrivée.

Edith Roux Euroland

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J’avais dix ans, la voiture de mon père fenêtres grandes ouvertes s’arrête sur le chemin longeant la cité rose, notre futur lieu de vie.
Fuir ces immeubles monochromes, cet alignement cage à lapins, ne plus voir ces grues. Hop ! sauter par la fenêtre et courir à perte haleine pour se cacher dans ces herbes folles.

Pour trois francs six sous, devoir faire un projet d’architecture en temps de crise. Je me présentai à ce concours en 2008. Rien de plus simple, deux parallélépipèdes en tôle ondulée y inclure deux ouvertures en forme de verrière low cost, et surtout pour impressionner le jury, ne pas oublier en avant-plan une grande prairie fleurie avec un signe de votre avant-gardisme un panneau signalétique complètement inutile à la Marcel Duchamp, appeler ce projet « QUELLE » en sous-entendant quelle est la question ?

Comme c’est moche de ne pas vivre à la mer. N’avoir comme horizon qu’une grande prairie d’herbes brûlées, ce qui ne fait pas une plage de sable fin. Même pas un euro pour se payer un coca au Mac Do d’à côté, moi et ma petite copine tous les deux enlacés sur le sol caillouteux, et nous nous embrassions toute l’après -midi sur la bouche en apnée d’eaux profondes que nous nous imaginions sur ce terrain vague de la zone commerciale.

Sur le bas-côté de l’autoroute Salonique Athènes,deux hommes en guenilles semblent êtres assoupis côte à côte dans les herbes folles. Je rengaine mon colt, deux taches rouges sur leur poitrine, des centaines de coquelicots les entourent, tout est vide autour d’eux. La montagne toute proche aurait pu se refermer sur eux en un cercueil bucolique, si on avait su dégager ce foutu panneau merdique d’indication d’itinéraire en aluminium.

J’ai rêvé d’être tout petit, pas plus haut qu’un brin d’herbe un soir de Noël. Elles étaient de toutes les couleurs ces grandes grues qui m’entouraient, mais demain matin au réveil, le père Noël aura une fois encore mangé un bout du croissant que je lui avais laissé, sans m’avoir apporté le Mécano que je désirai.

Mon amour, je me sens si seule dans ce terrain vague et si aride, oserai-je franchir le mur qui enferme ta cité pour te rencontrer.

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Tunbjörk/Vinter

C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine. Quelle idée a eue cet homme de quitter ses vêtements vintage et les poser sur le sol gelé pour éviter à sa voiture de déraper au démarrage ? Tu me rassures, les chiens affrontent le froid, les chiens nous gardent. Les sapins, les beaux sapins, rois des forêts recouvert de neige vierge s’amusent avec les scintillements des flocons au clair de lune, feu d’artifice hivernal.
C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine, marcher et écouter les claquements de nos pas sur la neige, prendre la bise en plein nez. Toi, tu me parles de l’absence, ton amie serrant son père dans ses bras le soir de Noël avant qu’il ne meure. Cette autre amie attendant au restaurant ses copains qui ne viendront plus, mort accidentelle sur la route, danger de l’hiver, un enfant abandonné sur un fauteuil comme un jouet, aujourd’hui sans parents. Le bois dehors nous attend, ses veines épaisses, son écorce ouverte, prêt à être mis au feu de cheminée. Sentir une bonne odeur de pot au feu, faire l’amour sous la couette, je me fais des rêveries auprès de toi. C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine. Ta bouche, ton corps, tes hanches, la rondeur de ta poitrine, ta main sur mon cou puis caressant
ma tête chauve, nous nous réchauffons, c’est l’amour. Nous avons renoncé à faire la fête avec mes amis, sauterie au champagne, corps déchaînés, chaleur de plaisir sexuel comme dérivatif de l’ennui. Je n’ai pas envie d’une corde pour me pendre, un lit dans un petit abri de quelques mètres carrés, le bonheur, la chaleur dans cette cité pourrie aux voitures habillées de neige sale. Rester là, assis dans le froid dans ce jardin . C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine

Philippe