Archives de catégorie : galerie du chateau d’eau

textes du lundi après midi

de vent et de sable

Inquiétante empreinte, promesse de disparition, de destruction ;
Anatomie transparente de la violence, rictus empesé, haine fossilisée, fanatisme et nostalgie du livre.
Antidote : envie d’écrire sur un pétale veuf une invitation pour Tamanrasset : chaîne courbe des dunes, reflets androgynes, triangles de profil ;
Attente et passage….
Yveline, 8 decembre 2014

I-mage

Expo Vanessa Winship Château d'eau TLSE

Expo Vanessa Winship

 

 

Joies et turpitudes des nouvelles technologies. Eliminés de nos bibliothèques ces vieux albums photos que nous organisions avec tant d’amour.

Sur l’ordinateur, un clic et vous revoyez toutes vos images bien rangées en thèmes, années ou divers pour marquer les étapes de votre vie.

USA 2010, j’avais déjà cinquante balais et ce fut l’un de mes voyages le moins exaltant que j’ai eu à faire dans l’Amérique profonde.

En photographie, ce que je déteste le plus souvent, ce sont ces clichés vides où il ne se passe rien. Pourquoi avoir filmé ce lieu comme un décor en construction, dévasté dont on ne sait de quelle intempérie météorologique, large croissement dans une zone semi industrielle sordide. Et pourquoi l’avoir imprimée en A4 pour l’afficher sur le mur de mon bureau.

Chaque fois que je m’installais dans cette pièce pour y écrire, mon regard invariablement se dirigeait d’abord sur cette image, elle décrivait au loin comme une gare de péage et éparpillées des grosses bagnoles abandonnées.

La regarder me renvoyer le plus souvent à recevoir un grand coup de pied aux fesses, et une voix intérieure me disait avec la plus ferme intention : «  attention bonhomme ne te laisse pas prendre par la névrose du moche et du tout fout le camp. » Ce qui m’intriguait d’abord c’était ce faux terre-plein aménagé au centre de la route avec des palmiers rabougris et ce panneau indiquant la 17éme avenue.

Un matin je fus surpris de découvrir un cheval juché sur un pylône style pylône de transport électrique de haute tension. Et cette fois c’est ma tension qui fit un bon. Cette grue métallique épousait la forme du luminaire d’éclairage public, installé à côté d’elle, une forme d’arc, et je distinguais pleinement cet équidé, surement une jument. Mais que pouvait bien faire cette statuette de canasson de course en équilibre à plus de 20 mètres au-dessus du vide. Les nuits suivantes, je me levais pour aller observer la descente inexorable de cette structure métallique perdue comme dans un paddock d’entraînement de concours de saut d’obstacles, et les nuits suivantes, ma tête se mettait à chauffer comme à la suite d’ingurgitation de plusieurs verres de vieux Torres.

Un soir, le jour de la sainte Pauline, ma tête a explosé, patatras la grue s’écroule, en un enchevêtrement de tôles, le cheval, la sculpture de la jument à terre les quatre fers en l’air. Il y avait bien longtemps que j’avais abandonné le monde des courses et des compétitions. Et là, une fois encore j’allais blesser mortellement ma jument, comme le jour où je l’avais obligée, ma jolie et jeune pouliche Pauline à franchir un haut obstacle vertical de trois rangées de barres. Enfouie sous cet amas de bois qu’elle venait d’avoir brisé, morte de crise cardiaque, comment un si jeune animal pouvait-il mourir de la sorte ? Moi, jeune cavalier trop arrogant et pas assez expérimenté, je fus peu digne, mon cœur brisé ne suffisait pas à effacer la douleur et j’ai dû renoncer à ce sport.

De rage j’arrache cette photo, quitter cette pièce et d’un clic effacer toutes ces photos d’Amérique, pour retrouver enfin un apaisant sommeil.

 

Le Piano

Ouverture d’un piano usagé.

Une femme s’y extrait comme un chat.

Visage en pleine clarté, mélodie en noir et blanc.

Doigt bagué sur une note pincée du clavier.

Perdue dans cette végétation fantastique.

Paupières fermées, serrure ouverte sur un halo de lumière.

Un animal, regard félin, semble l’attendre.

Les bouts des doigts effleurent les touches.

Le chat, griffes rentrées, se tait.

Il tient la pose, prêt à dévorer sa proie.

Exposition château d'eau

Exposition château d’eau

Elle n’écoute que les battements de son cœur brisé.

Prisonnières, ses mains restent coincées sous le couvercle de ce vieux piano, patiné par les âges.

Comment trouver le passage, où elle pourra s’abandonner à nouveau au rythme du mouvement de ses doigts.

 

Jouer sans contrainte, jaillir comme dépaquetée de ces arbustes enveloppants.

Faire la peau à ce chat.

Reprendre librement les touches noires et blanches.

Écouter l’aubade, pour notre plus grand plaisir.

 

Rouvrir ce couvercle usé. Se faufiler, comme un chat agile et glisser ses doigts pattes de velours sur ce clavier.

Enfin, écouter flotter ses notes affectueuses.

Philippe C.

Le temps de l’horloge.

Une cloche sonnait au loin. Pourtant, il n’était pas encore midi. C’était comme ça depuis un moment. Peut-être un rouage décalé ou quelque chose comme ça. On ne savait pas. Le seul qui pouvait savoir c’était l’horloger du village, le seul à connaître tout ces engrenages par cœur, jusqu’au plus petit écrou rouillé.

L’horloger était un beau jeune homme, grand, agile, et toujours souriant. Il vivait encore avec sa mère qui tenait une petite boutique de montres à goussets, forcément. Il avait bien songé à se marier pourtant, avec la jolie fileuse aux doigts de fée. Elle était gentille, mais comme toutes les femmes de son temps, elle ne savait pas ce qu’elle voulait, et il avait vite prit la décision de ne pas chercher pour elle. Parfois il regrettait bien un peu, si elle y avait mit du sien elle aurait été une agréable compagne, car ils pouvaient discuter de leurs passions des heures durant, et il aimait tant la voir travailler sur son métier à tisser. Ils avaient en partage l’amour du travail bien fait. Mais elle était finalement parti avec le ramoneur et son visage plein de suie. Il ne ui en gardait aucune rancœur, il avait eut plus de courage que lui.

La cloche sonnait toujours, et c’était ce jour là qu’il comptait la réparer. Avec sa grosse caisse pleine d’outils, il était monté tout en haut du clocher, là où personne d’autre que lui n’allait jamais. Il resta plusieurs minutes subjugué par ces rouages plus gros que lui. Ils avaient beau être si veux, rien n’était plus magnifique que ce spectacle aux yeux de l’horloger. La rencontre du temps avec le temps. Des vieux engrenages qui donnaient l’heure nouvelle, et ce à l’infini. L’horloger grimpa sur l’un des énormes mécanismes. Il lui faudrait surement un moment pour trouver d’où venait le problème, mais cela n’importait pas, de toute façon, c’était bien la seule chose qu’il possédait, le temps.

En marchant sur la plate-forme arrondie, qu’il avait stoppée le temps de pouvoir y travailler, il repensait bien un peu à sa vie. A son père parti, qui lui avait tout apprit. Au temps qui filait dehors. A ce qu’il ne comprenait pas toujours, les hommes et la guerre. Parfois, il songeait qu’il aurait bien aimé connaître une autre époque. Il aurait sûrement été plus à sa place. Avec une femme et des enfants. D’autres rouages dans sa vie pour un homme comme lui qui tournait en roue libre.

Il savait déjà que ce soir quand il rentrerait, sa mère aurait mit la table et préparé à diner, de la soupe de poireau ou des pommes de terre bouilles, sans aucun doute. Il n’irait pas se coucher trop tard, et le lendemain il faudrait réparer l’horloge de Madame untel ou la montre de Monsieur cela. Comme chaque jour.

L’horloger posa la main sur un engrenage qui était décalé sur son petit cylindre métallique. Il ne s’emboîtait plus dans ceux qui l’entouraient et bloquait ainsi une partie du mécanisme qui tournait alors au ralenti. Un léger sourire aux lèvres, il attrapa sa boîte à outils qui était posée près de lui et en extirpa une grosse pince un peu noircie aux extrémités. D’un geste précis, il l’encastra dans l’engrenage défectueux, puis dans un mouvement fluide, le remit en place, les yeux fermés, et entendit bientôt le petit clic de la pièce remise à sa place.

Satisfait, il rangea son matériel avec soin, et dans un coin de sa tête, c’était comme si il venait de réparer la temps, et un peu de lui même.

 

Eloïse.

Exposition VISUELLEMENT VÔTRE

 

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Uunderscape, d’Edith Roux

 

 

Homme fatigué, publicité

Somnolence, voyage obligé

Femmes absentes réclame  Mac Donald

Homme fatigué indifférent, enfermé

Famille passager, réclame Ketchup

Remonter le temps, remonter le temps

Homme fatigué, publicité

Jeune regard perdu, réclame soutien gorge

Femme absente, Shanghai

Enfermement du wagon, voyage obligé

Remonter le temps, remonter le temps

American style of life, ennui

Somnolence, couleurs acidulées

Homme fatigué, publicité consommation

Voyage obligé, voyage obligé, voyage obligé

Lignes parallèles, lignes parallèles.

 

images

La mer, Ange Leccia

 

Suspendu, nimber ton énergie, ton corps intérieur.

Un bouillonnement calme calme.

Électrocardiogramme très régulier.

Sous ta peau figée, mouvement ascendant.

Mouvement descendant.

Mouvement ascendant, mouvement descendant.

Vapeurs fantomatiques va-et-vient

Oscillation, mythe de Sisyphe.

Ton corps intérieur, une masse d’eau en ondulation,

En continuité constante, incessante.

Ton corps, toi l’homme au repos

Ton corps, toi l’homme allongé

Ton eau élément essentiel à la vie toujours en mouvement.

 

images-1

Déjà vu (Hallu), Michel François

 

Clapotis de l ‘eau, bruissement de feuilles de papier aluminium, jeu de mains -Un crabe- bruissement de feuilles de papier argenté -Une tête de taureau- prison, reflets de mains au secours de l’esprit, geôle, papier froissé -Un masque Aztèque- clapotis de l’eau, reflets de mains -Combat de cervidés- symétrie -Danseuses berbères- s’installer à vie, survivre, reflets de mains -Animal bicéphale- combien de temps cela va-t-il durer, clapotis de l’eau, cellule de prison, s’occuper -Duo de musiciens- clapotis de l’eau immuable. Papier froissé.

 Philippe

Atelier d écriture Centre D’art Le Lait à Albi/Yaksa de Marie Carré (yaksa.fr) Avril 2014

 

Le pigeon

« Picore, picore » se disait –il.

Il était fasciné par l’oiseau. Son balancier harmonieux puisant l’eau à intervalle régulier. Son roucoulement le berçait. Comme il semblait bercer la douzaine d’homme couchée autour de lui. Sheppard venait de prendre le risque de soulever doucement son chapeau. Beaucoup d’hommes reposaient face contre terre. Certains étaient sur le flanc, comme rangés dans une boîte de conserve. Tous venaient d’être descendus là, sans plus de ménagement.

 

Fini de faire le mort. Il fit glisser le corps qui s’étalait sur lui. Il le retourna, lui croisa les bras et les mains, non en signe de respect mais de reconnaissance. Sans la présence du gros, Sheppard ne s’en serait jamais sorti vivant. Il le savait. Il en avait des sueurs froides. Heureusement, il avait eu la chance improbable de se retrouver derrière lui, au fond de la salle, à bonne distance des balles. La grosse carcasse avait amorti les impacts qui auraient pu l’atteindre. Qui aurait cru que le gros lui rendrait service. Ce dernier allait se retourner dans sa tombe. Et maintenant ? L’odeur de la poudre était encore très présente, tout était silencieux. Seul le roucoulement du pigeon résonnait dans la cave. Il fallait aller vite avant qu’ils ne reviennent avec les bidons d’essence. Ils allaient tout cramer pour sûr. Ils ne voulaient surtout pas laisser de traces. Personne ne devait entendre parler de la descente de ce soir. Jamais.

 

Sheppard se leva et recula. Cela dépassait toutes ses attentes. Il saisit l’appareil photo qu’il avait caché quelques heures plus tôt. L’œil dans l’objectif, Sheppard eu l’impression que le roucoulement doucereux du pigeon avait endormi tous ces types. Il appuya sur le déclencheur et partit d’un grand éclat de rire. Le pigeon ! Le pigeon aurait dû être lui. Il l’avait compris au dernier moment. Mais une fois encore, il s’en était sorti. Jusqu’à quand allait-il pouvoir donner le change? Il était toujours sur le fil du rasoir.

 

Tout avait commencé six jours auparavant. Un sinistre dimanche soir, Sheppard subissait un mauvais match de basket à la télé, une bière à la main, quand il reçut un appel.

Dés les premières intonations de la voix, l’accent de la haute bourgeoisie bostonienne lui révéla la distinction de son interlocutrice. Comme à l’insu, une sensualité s’échappait par moment de certaines fins de phrases. Sheppard se sentait tomber sous le charme. Est-ce pour cela qu’il voulut raccrocher en prétextant un mauvais numéro ? Il avait un très mauvais pressentiment. Mais l’homme était faible. Envouté par cette voix, comme les papillons par une lampe un soir d’été, il avait continué la conversation et s’était ainsi fourré dans le traquenard le plus tordu de sa carrière. Elle s’appelait Paloma, et n’était autre que la femme du maire de New York. Elle avait des problèmes de couple. Qui n’en avait pas à New York ? Cela faisait chaud au cœur de penser que, même les nantis dans leurs banlieues huppées, connaissaient les mêmes vicissitudes que le commun des mortels. Son mari s’absentait de plus en plus. Elle avait des doutes quant à sa fidélité. Elle voulait qu’une enquête soit diligentée à son encontre. De façon extrêmement discrète, sans que personne ne sache jamais qu’elle en était l’instigatrice. Elle avait choisi de s’adresser à lui, après avoir repéré son numéro en tout petits caractères dans les pages jaunes. Peu flatteur pour Sheppard. Il aurait dû refuser l’affaire, trop gros poisson pour lui. Toutefois, Paloma avait des arguments. A chaque tentative de refus de la part de Sheppard, elle augmentait le montant de sa rétribution. Le montant était tel qu’il en eu le vertige. Son agence battait tellement de l’aile que, l’enseigne au néon indiquant l’entrée ne tenait plus que par le fil électrique et pendait lamentablement.  Ce serait un nouveau départ, espérait-il.  Ainsi, il avait accepté l’affaire. Paloma ne semblait pas surprise. Elle lui communiqua tous les renseignements qu’il jugea utiles. Une heure après il raccrocha. Etait-ce un tournant dans sa vie ? L’argent était-il sa seule motivation ?

Sheppard resta cependant dans un immobilisme incompréhensible pendant deux jours entiers.

Puis, le mercredi, il passa enfin à l’action. Grace aux indications de sa femme, il n’eut aucun mal à repérer le maire. Il le suivit dans sa Bentley flambant neuve jusqu’au 55 Fitzgerald Lane. Il passa derrière le bâtiment, tira l’escalier de secours pour le faire descendre et se rendit à la hauteur du seul appartement éclairé. Sheppard se définissait lui-même comme blasé. Pourtant, voir ce que faisait l’homme, le plus important de la plus grande ville du pays le plus puissant au monde, avec ce jeune homme, une petite frappe du Queen, dans ce petit meublé sordide, lui souleva le cœur.

Malgré son dégout, il prit consciencieusement ses photos. Paloma pourrait en tirer une bonne pension alimentaire ! Il avait rendez-vous avec elle, il lui remettait les clichés et fin de l’histoire.

…Cela aurait dû s’arrêter là. Cela aurait pu s’arrêter là, si Sheppard n’avait, une fois encore, cédé à son habitude de gratter sous la surface. Il retourna dans sa voiture. Deux heures après, il continuait à suivre le maire qui se rendait à Brooklyn. Il stoppa sa voiture le long du fleuve. Le bruit du moteur allumé couvrit le cliquetis de l’appareil photo rivé à son oeil. Une Chevrolet noire s’arrêta à sa hauteur en sens inverse. Par les vitres ouvertes, une enveloppe de papier kraft passa de la main du maire à celle d’un homme à la très longue silhouette marron et beige portant un borsalino foncé rabattu sur les yeux. La Bentley démarra. Sheppard hésita un quart de seconde. Il fit demi-tour et, à distance respectable, suivit la Chevrolet. Celle-ci s’arrêta devant le Theodore Cafe, repaire bien connu de Luiggi Leone, parrain de la Mafia à New York. Quel lien pouvait-il exister entre le maire et Leone ? La curiosité de Sheppard lui permettait de surmonter la terrible angoisse qui le saisissait en franchissant le seuil du Theodore Cafe. Il eut juste le temps d’apercevoir « l’homme-girafe au borsalino» pénétrer dans l’arrière salle réservée aux initiés. Sheppard repéra Riggi -la –goutte accoudé au comptoir, comme à son accoutumée. La voix roque et enivrante de Tom Waits semblait participait à son égarement.

Une bouteille de Walker plus tard, Riggi-la-goutte lui servait tout sur un plateau. Leone avait acheté l’équipe de basket de New-York. En cette fin de saison, les Knicks étaient vainqueurs. Ce dernier match contre les Celtics devait être du gâteau. A eux le play-off. Les paris ouverts, la voie était royale. Mais Leone avait récemment investi dans le casino de Boston avec la branche de la famille locale et le deal était clair. Les Knicks devaient perdre. Cela rapporterait gros. Riggi-la-goutte en avait des trémolos dans la voix. Après la seconde bouteille de Walker, l’ami fidèle, Riggi-la-goutte lui fila tous les noms des comparses. Il lui souffla également, sous couvert de promesse de secret absolu que le maire était lui même impliqué dans le deal. Coincé disait-on, mais là-dessus, Riggi n’en savait pas plus.

Sheppard, lui, n’eut aucun mal à faire le lien avec le 55 Fitzgerald Lane. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que Leone faisait chanter le maire, compromis dans sa sordide histoire de mœurs, et qu’ainsi il avait le champ libre.

Sheppard n’écouta pas sa petite voix intérieure lui implorer la prudence. Une demi-heure plus tard, sa voiture s’arrêtait devant le domicile du maire. Un air de jazz s’échappait des fenêtres entrouvertes par cette chaude soirée de juin. Sheppard sonna alors que le saxo achevait sa complainte lascive. Le domestique noir, s’apprêtait à le congédier promptement quand Paloma apparut en haut de l’escalier. Son déshabillé vaporeux de soie blanche soulignait son teint diaphane ainsi que la minceur de sa silhouette tout en révélant la rondeur de ses hanches. Ses longs cheveux blonds ondulaient sur ses épaules menues. Des cils noirs et longs ourlaient ses grands yeux bleus. Son regard lumineux saisissait par le voile subtil d’une ombre de tristesse dissimulée. Ses pommettes hautes sculptaient en douceur son visage d’un ovale parfait. Sa bouche ressemblait à un fruit prêt à être croqué.

« Elle est vraiment belle à damner un saint » se dit Sheppard. Mieux qu’une star d’Hollywood !

« Laissez James, monsieur à rendez-vous avec moi. » Sheppard renoua avec le charme envoutant de sa voix. Cette voix qui l’avait conduit jusqu’ici. Il se sentit fondre. Malgré tout, il ne fut pas étonné du mensonge. Son apparition à son domicile avait dû la prendre de court. Elle s’en tirait plutôt bien.

Sheppard s’en voulait déjà cruellement de la déception qu’il allait lui causer.

«  Désolé madame. C’est à votre mari que je désire m’adresser. » dit-il sèchement.

Elle blanchit, détourna la tête, son dos sembla se courber légèrement, sa main saisit la rampe de l’escalier. Quand elle le fixa à nouveau, le cœur de Sheppard fut transpercé par les flammes de haine qui s’échappaient de son regard.

« Jamais il ne vous recevra et quand bien même, jamais il ne vous croira » souffla-t-elle dans un murmure.

« N’ayez crainte cela n’a rien à voir avec notre affaire. » pensa-il bon d’ajouter.

Bien-sûr elle ne le crut pas. Néanmoins, se tenant très droite, altière, elle l’accompagna jusqu’au bureau de son mari. Frappa trois fois, ouvrit la lourde porte de chêne brun :

« Chéri, quelqu’un pour toi. »

Dire que le maire était ravi serait exagéré. Un intrus à cette heure dans son domicile ! Une fois la surprise passée, en bon politicien, il afficha un masque courtois. Lorsque Paloma se fut retirée dignement, Sheppard s’entretient avec lui. Propos peu flatteurs et compromettants. Au final, Sheppard lui proposa son idée. Le maire resta silencieux un bon moment. Pâle, prostré dans son fauteuil, les yeux baissés sur ses mains, il semblait vieilli de dix ans. Puis, il releva la tête, le regard acerbe. Ses tremblements étaient perceptibles quand il composa les premiers numéros de téléphone, toutefois sa voix tonnait déterminée. Après plusieurs coups de fils, l’opération était lancée. A minuit, Sheppard quitta le domicile du maire et retourna au Theodore. La salle était vide, la musique éteinte, le barman nettoyait les verres. Sheppard craignit l’avoir manqué. Cependant, Riggi -la -goutte sortit de l’arrière salle. Il fut suspicieux de revoir Sheppard. Celui-ci le prit à part et lui joua « la grande scène du II » comme si sa vie en dépendait. Il inventa une sombre histoire de jeu, de dette et réussit à le convaincre qu’il voulait faire partie de l’affaire. D’abord dubitatif, Riggi compatit, et se retira dans l’arrière salle. Ce fut l’homme au borsalino qui vient chercher Sheppard pour ce qui allait être l’interrogatoire le plus dangereux de sa vie. Dés qu’il fut entré, Sheppard regretta sa témérité. Riggi se retira et cinq hommes firent passer à Sheppard un long et douloureux moment. Au fond de la pièce, dans l’ombre, une fumée de cigare témoignait de la présence d’un homme qui ne disait pas un mot mais observait tout. De temps en temps, l’homme au borsalino se rendait à ses côtés, baissait la tête pour écouter et revenait lui poser une autre question, elle-même accompagnée d’un nouveau coup. « C’est sûrement Leone » se dit Sheppard. Il ne parvenait pas à voir le visage de l’homme. Sheppard était à deux doigts de tomber raide quand, contre toute attente, la porte s’ouvrit. Riggi-la-goutte se précipita pour dire quelque chose à l’homme au borsalino. Pendant qu’ils parlaient, la porte était restée ouverte et un subreptice rai de lumière éclaira brièvement l’homme au fond, assis dans son fauteuil. Leone était gros, voire obèse. Ses doigts boudinés, ornés de bagues tenait un cigare. Sheppard vit distinctement son visage boursoufflé. L’homme au borsalino se posta devant lui, obstruant la vue. Il lui dit quelque chose à voix basse. Riggi sortit en refermant la porte. Les coups s’arrêtèrent.

A deux heures du matin, Sheppard se hissait difficilement dans sa voiture. Tout son corps le faisait souffrir. Il savait que les autres ne lui faisaient pas confiance. Toutefois, un de leurs rabatteurs indispensables venait à l’instant de se faire coffrer. Comme quoi, le hasard… Ils avaient accepté de le prendre à l’essai. Il avait rendez-vous à 5 heures samedi soir dans les sous-sols du stade porte F4.

La Chevrolet de l’homme au borsalino le suivit sans prendre la peine de se dissimuler. Le message était clair.

Une fois chez lui, Sheppard téléphona pour tenir la personne informée des derniers rebondissements.

Il resta chez lui les deux jours suivants, pansant ses blessures. Quand il ne somnolait pas, il se traitait de fou, doutant de la faisabilité de son plan. Son immobilité corporelle dissonait avec son activité mentale. Son esprit tournait à vive allure. Il échafaudait plusieurs scénarii possibles. Dans la plupart des cas, les probabilités de réussite ne penchaient nullement en sa faveur. Mais une fois dans sa vie, Sheppard voulait faire quelque chose d’utile, sortir du rôle d’éternel minable.

A 5 heures, le samedi, toute la bande se retrouva porte F4 dans le sous-sol du stade. L’équipe était tendue, en attente. Sheppard, transi d’angoisse, était au supplice. Toute son énergie se concentrait à donner le change. Sa chemise blanche lui collait au dos. Il avait revêtu son blouson en cuir marron pour camoufler ce témoignage de stress excessif. Il tenait ses mains moites et tremblantes dans les poches. Heureusement, aucun homme de Leone n’avait voulu se compromettre à lui serrer la main. Avant qu’il ne sorte de chez lui, son estomac l’avait trahi. Il en gardait une pâleur déplaisante. Il fixait le sol, les yeux baissés, de crainte que son regard ne l’accuse. De profil, l’épaule et une jambe appuyées au mur du fond de la salle, il voulait se faire oublier. Il luttait pour maîtriser sa peur. Il ne doutait pas que l’alliance conclue avec l’ennemi ne s’avère qu’une tragique perfidie. Tout à coup, un mouvement se fit parmi les hommes et un léger brouhaha résonna dans la salle. Sheppard comprit que l’occasion était exceptionnelle quand il vit Leone débarquer en personne. Ses hommes se groupèrent autour de lui. Des poignées de mains furent échangées, des sourires fiers élargissaient les visages, les torses se bombaient, certains allant jusqu’à se dandiner de satisfaction. Discrètement, Sheppard se faufila aux côtés de Leone. C’est à ce moment là que l’équipe spéciale des flics soudoyés par le maire fit irruption. Nul ne les avait entendus arriver. Comment étaient-ils entrés ? Une trentaine de policiers newyorkais en costumes noirs, chapeaux visés sur le crâne, mitraillettes aux poings, entoura la bande de Leone qui eut à peine le temps de se retourner. Soulagé, Sheppard s’attendait à voir briller les menottes. Soudain, dans un ensemble détonnant, des tirs croisés balayèrent longuement et méthodiquement la salle. Les uns après les autres, tous les hommes furent abattus. Pris comme des rats dans un guet-apens magistralement orchestré. Aucun survivant n’était prévu au programme. Même pas Sheppard !

 

A 5h15, les flics ripoux partirent chercher les bidons d’essence. Extrêmement secoué, Sheppard fut agréablement étonné de se constater en vie. Il fut surpris qu’aucun des policiers compromis ne prenne la peine de vérifier leurs arrières. Comme ils étaient sûrs d’eux !

A 5H20, Sheppard prenait la photo sur laquelle Leone était facile à identifier, de face, les mains croisées.

A 6H, Sheppard, dans un piteux état mais vivant, se tenait dans le salon de Paloma. Réticente, elle avait tout d’abord refusé de le laisser entrer. Mais cette fois-ci, c’était lui qui possédait des arguments irréfutables. Il lui remit tous les clichés, les douilles relevées sur le lieu de la fusillade, la liste des ripoux, de même que les enregistrements de la conversation qu’il avait eue avec son mari, celle avec Riggi – la-goutte et celui de l’entretien de recrutement musclé chèrement gagné. Ainsi avait-elle toutes les cartes en main, la donne s’avérait excellente, à elle de jouer maintenant!

 

 

METIERS D’ANTAN

 

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Carte postale de Plonk et Replonk 

Les métiers d’antan : Le briseur de tympans 

 

 

Si on remonte la généalogie de la famille Sourdingue, la filiation la plus incontestée est celle de l’histoire d’un compagnon maçon qui construisit des églises au onzième siècle.

Les textes de collectionneurs, retrouvés aujourd’hui un peu en éclats et en morceaux racontent qu’un ancêtre Sourdingue s’était donné la mort au tympan de la cathédrale de Limoges. Cela peut vous fendre le cœur, mais il avait bien été fracassé, pulvérisé, au fronton de cette cathédrale, lui l’ouvrier modèle, pas du tout briseur de grève, d’ailleurs à cette époque, ce genre de mouvement subversif n’existait pas.

Est-ce cette horrible fin de vie qui créa dans cette famille la volonté de faire le métier de briseur de tympans?

Il est vrai que si nous observons l’oreille, sa rondeur, ses courbes, son galbe ne vous font-ils pas penser à l’art Roman, et aux édifices d’avant le gothique.

Est-ce que ce gène est né d’une vengeance ? D’où la pratique de ce métier si assourdissant et odieux, ayant pour but de vous réduire en miettes, vous anéantir, faire des débris de vos tympans, grâce  à un appareillage de création de sons à haute intensité distillé voir secreté par d’énormes pavillons sur vos oreilles.

Mais qui pouvait aimer se faire supplicier ainsi. On cite des chanteurs, des joueurs de tuba, des hommes politiques, mais surtout des êtres ayant subi de violentes souffrances morales, tout cela pour calmer leurs agitations.

Ps : le dernier briseur de tympan est mort en 1945, à l’hôpital psychiatrique de Rodez, faute d’avoir trop écouté Antonin Artaud commenter l’automutilation de l’oreille gauche de Van Gogh. Aucun descendant n’a voulu reprendre le métier.

Philippe Mars 2014

Atelier Bonnefoy

 

L’homme de l’Est

Algirdas Šeškus Exposition  château d'eau Toulouse

Algirdas Šeškus
Exposition
château d’eau Toulouse

L’’homme de l’Est

Il se sent seul, inquiet, passif écarté du réconfort festif de la liberté ,celle qui est condamnée dans son pays. Il se sent abandonné, sans désir obéissant à une variation en nuances  de gris, seule lecture qu’il se fait de son environnement. Son flegme pourrait passer pour une drague impudique, mais il n’a aucun besoin de charité religieuse faite à la dérobade. Il préfère vivre dans l’ivrognerie destructrice d’un homme faussement libre.

Philippe/château d’eau

 

 

 

EXPOSITION ASIATIQUE

En ce  dimanche d’hiver, AÏTO se dirigeait vers la galerie d’art. Il pénétrait dans un hall gigantesque et se dirigeait vers une salle d’exposition. Le regard aux yeux ronds du japonais qui balayait les tableaux, fut attiré par une oeuvre intitulée « Dispersion du Mandala en un disque allongé ».

Ce qu’il voyait, à cet instant là , créeait en lui, une crainte rassurante, un tourment bienfaisant.

Tout son être était secoué par l’analye du détail de ces éléments du néant.

Cette platitude du mont, couleur jaune endeuille, à l’arrière plan, cette grandeur avortée rejetait un reflet opaque sur le second plan de cette peinture. AITO saisissait dans la tristesse du cerisier en fleurs, l’éphémère éternité de la beauté de ce paysage

Ce dos à dos du face à face, faisait couler dans ses veines, tel du magma en fusion, un feu liquide

Cette éruption continue de noirceur du rouge, retombait sur la rigidité du chat, dernier élément du tableau.

Jusqu’à présent, tel une statue dans le sable bétonné, AITO, rempli d’une sénérité dévorante, quittait la galerie. En sortant, la brûlure glacée de la neige le ramenait à une réalité utopique.

Chaise de Jardin

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Exposition

Grégoire Alexandre

« Sans titre »

 

Le régisseur au porte-voix annonce la fin de journée de travail. « On ne touche à aucun accessoire s’il vous plaît ». Ingrid, la jeune femme mannequin jette un regard furtif vers moi et  quitte le studio. Le chef électro appuie sur le disjoncteur, noir complet.

Je suis enfin une chaise libre ! On ne pliera pas mon bassin sur mes côtes pour m’entasser  au-dessous de mes semblables, alors que je suis la plus belle, à peine sortie de l’usine pour ce premier shooting de ma vie. La nuit va être longue, il me manquera la chaleur du joli fessier d’Ingrid la seule autorisée à s’asseoir sur mon siège entre les prises de vue.

Je vais enfin me reposer de cette lumière blanche, crue, éblouissante, tellement forte que je ne voyais même plus mes pieds.

Je voudrais être encore plus légère que je ne suis, comme chaise de jardin, pour m’envoler vers cette béance, seul puits de lumière dans cette nuit artificielle. Que peut-il se passer de l’autre côté de si fantastique, pour que le metteur en scène crie toute la journée à Ingrid de garder constamment son regard sur cette fente au bas de ce grand cyclo blanc.

Retrouver la vie, les odeurs, les chants oiseaux, tout l’environnement auquel je suis destinée.

J’essaie de remuer un peu mon siège pour m’approcher, en jouant des coudes avec mon dossier. En pliant un peu mes armatures croisées, je tente quelques petits sauts, un pas de deux de danseuse, imaginant ma compagne de studio m’aidant à franchir cet obstacle.

Un bruit de porte, le gardien de nuit, avec sa lampe torche, il va se rendre compte que j’ai bougé. Plus de choix, je dois sauter, je rassemble toutes mes forces, un élan et hop je passe dans le trou. Patratas ! Badaboum ! Un creux de 10 mètres au moins, une cave que sais-je, je suis foutue, je ne peux même pas voir le désastre de ma chute, bravo ma curiosité, je ne verrai plus Ingrid, bonne pour la décharge, une vie bien courte pour une chaise ?

Philippe/Château d’eau octobre 2013