L’homme âgé à la terrasse du café…

Photo de Géraldine LAY

Photo de Géraldine LAY

Elle vient à peine de le quitter, et les effluves de son parfum se disputent avec son après-rasage dont il s’était copieusement aspergé après s’être rasé de près pour ce rendez-vous.
Violetta n’avait que peu de temps à lui consacrer, elle était en répétition dès onze heure ce matin-là.
Roberto aime particulièrement ce petit bistrot, à moitié épicerie de nuit dans ce quartier des théâtres, il savoure surtout cet espace le matin, quand la lumière jaillissant de la rue vient lui lécher la peau, yeux mi-clos. Pour lui, c’est le temps de la respiration retrouvée, après ses nuits si souvent agitées, ces insomnies qu’il dénomme créatrices.
Ce vieil homme de théâtre, arrivé tard à la mise en scène après avoir été assembleur de décor, accessoiriste, puis menuisier jusqu’au jour de ses soixante ans, où il décida de mettre en scène sa propre pièce, son œuvre qu’il avait écrit toute une vie.
Violetta, il la connaît depuis plus de 10 ans, il l’a vu débuter, ils ont même eu une brève liaison dans l’euphorie d’après spectacle d’une dernière représentation là, ici pas loin, après avoir bu de nombreux verres de whisky, dans ce même bistrot où l’on peut la nuit consommer en achetant carrément des bouteilles.
Elle avait accepté son rendez-vous et sa proposition, elle n’avait pas pris de café, jamais le matin, et surtout jamais avant une répétition, elle souhaitait sentir son corps le plus vide possible afin de se remplir disait-elle de tout son travail du rôle qui lui était confié, « la douleur de Duras », son plus difficile rôle qu’elle n’a jamais eu à jouer à ce jour.
Roberto avait choisi son plus beau costume et vêtu son « pull-gilet » associé à sa lavallière multicolore, fétiche de sa position d’artiste.
Sa respiration se fait lente, et à ce moment-là, la posture, l’habillement, le paraître, plus rien ne compte pour lui. Violetta, son amie la grande comédienne avait dit oui à son projet, il peut se laisser aller à l’endormissement comme un petit bébé, rien ne viendra le perturber. Respirer, respirer l’odeur de Violetta, son parfum de Givenchy, la faire jouer en pensée la maman du petit garçon de la ferme de son enfance, l’acte un de sa pièce.
Il est fier, front dégagé, tête haute portée en avant, son nez aquilin réceptacle des odeurs de cette rencontre qu’il veut emmagasiner à jamais, il est fier de s’être présenté aussi séduisant à Violetta, aucun poil disgracieux déborde de sa superbe moustache blanche que les ciseaux matinaux de sa salle de bain avaient si harmonieusement égalisé. Il est un homme heureux, sa gentillesse auprès de tous ses amis du métier du spectacle avait payé, Violetta l’artiste reconnue du moment avait dit oui.
Depuis combien de temps, il savoure ce plaisir, qu’importe, pas ou peu de bruit de la ville pour interrompre sa rêverie, sa somnolence, ce quartier si vivant la nuit sait prendre son temps pour s’agiter. Le patron ne lui débarrassera pas la tasse vide du café qu’il a consommé, il y a peu de temps avec Violetta, pas avant l’heure des pauses repas du midi. Il ne peut pas s’endormir profondément, son esprit étant trop occupé par toute la gestuelle et les déplacements qu’il invente pour son actrice sur la scène du théâtre « tempo théâtre » de Figari. Il résiste et veut suspendre éternellement ce temps merveilleux qu’il passe en rêverie de sa première direction d’acteur.Lui Roberto a franchi le pas et avec qui ? La plus belle des comédiennes de la ville. Zut ! un Klaxon le fait sursauter, une livraison, la magie s’envole, quand pourra-t-il à nouveau rattraper son rêve.

Philippe 2011

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