évocation

Ouvrir la porte d’entrée de la maison fermée depuis des mois, sans trembler. Ouvrir les portes, les fenêtres, les volets. Laisser entrer la lumière, le soleil, la chaleur.

Dans l’entrée, des vêtements suspendus sur le portemanteau au milieu du dos, forment une légère bosse. Un chapeau acheté en Irlande, déformé est accroché par-dessus un imperméable, sous lequel des bottes de motard crottées, attendent d’être nettoyées. Sur une console sont posés 2 casques de moto, l’un, laqué noir personnalisé par une panthère dont la queue a disparu sous des éraflures et l’autre, un petit casque en cuir avec une visière fendue et rayée, et une mentonnière sans boucle. Des traces boueuses de chaussures d’hommes et de femmes portant des talons aiguilles, tellement reconnaissables par leurs empreintes si particulières en 2 morceaux, l’une large sous la plante du pied, l’autre étroite sous le talon, puis une autre paire de chaussures d’homme, des chaussures de montagne, tâchées, délacées, sont laissées là près des bottes de moto. Des traces terreuses de pattes de chiens et de chats sont inscrites sur le sol jusque dans la cuisine où la table en bois foncé est grise de poussière. Des miettes de pain sont là, oubliées par les souris et un bol et une cuillère à café  sur l’égouttoir. Il flotte dans la maison une odeur douce et sucrée de tabac blond. Il y a de la poussière mais aucune trace de moisissure. Je regarde le miroir. Mon cœur se serre. Un mot écrit avec un rouge à lèvres et la trace du baiser laissé par mes lèvres rougies, en guise de signature, sont à peine effacés et bien lisibles sous la poussière. Dans le salon, un blouson en cuir aux manches râpées est jeté sur le dossier d’un fauteuil, les coussins du canapé sont aplatis et gardent la forme de son corps. J’ouvre doucement la porte de notre chambre. Le lit est défait, les draps froissés sont à moitié par terre. Rien n’a bougé. Dans la salle de bain, son eau de toilette est si présente que je ferme les yeux. Toutes ses affaires sont là, mousse à raser, rasoir, petits haltères, peigne, brosse sur laquelle sont restés accrochés quelques uns de ses cheveux. Son peignoir de bain est posé sur le rebord de la baignoire dans laquelle des gouttes de shampoing sont restées collées. Ses charentaises rouges, offertes pour un anniversaire sont là, elles aussi,  usées, trouées, dont le contrefort écrasé, porte la marque de ses talons. Des rognures d’ongles sont éparpillées dans le lavabo et sur la tablette près des ciseaux prévus à cet effet. Je saisis son pull marine, confortable mais informe, aux coudes percés, qu’il aimait tout particulièrement. Je le sens, le renifle, les yeux fermés, pour en percevoir toutes les effluves.  Chaque odeur me blesse, me transporte, me foudroie.  J’étouffe. Je sors m’aérer.  Je suis bouleversée. Je sanglote. Je m’effondre … La maison a été fermée, telle qu’elle, depuis sa disparition et son empreinte est partout, elle envahit tout.

2 réflexions sur « évocation »

    1. marie

      c’est normal …
      la consigne traitait de l’absence à travers les traces, les empreintes laissées par quelqu’un qui n’était plus là.

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