l’escalier sans fin

Couché en chien de fusil, l’homme tremble, grelotte, remonte le col de son manteau, les yeux clos. Puis, il ouvre les yeux, tourne la tête à droite et à gauche, plusieurs fois, se lève, regarde autour de lui, surpris d’être dans un escalier. Une pancarte au-dessus de lui indique, Escalier B. Escalier B répète-t-il à haute voix, mais où suis-je ? Il regarde s’il y a une sortie, mais il ne voit aucune ouverture. Il décide de descendre, et comme il descend toujours, il trouve un caillou sur le sol qu’il met aussitôt dans sa poche, car c’est un joli caillou gris, rond et doux. Ah ! se dit-il, j’approche de la sortie, mais il a beau descendre, descendre, encore et encore, l’escalier semble sans fin. Découragé il s’assoit se met à compter et à recompter les marches, puis les barreaux de la rampe. La rampe est assez large, l’escalier aussi.

Il glisse sur la rampe sur plusieurs étages dans l’espoir de trouver une issue, mais la seule chose qu’il trouve est une lettre. Tiens se dit-il, y aurait-il quelqu’un dans cet escalier ? Il appelle, plusieurs fois et sur tous les tons, mais personne ne répond. Il est seul, prisonnier de ce labyrinthe infernal, se demandant comment il a atterri là. Il ouvre l’enveloppe qui ne porte aucune adresse et lit : » Vous avez gagné le voyage de votre vie » Apportez cet avis à l’agence Mirages avant le 19/12 à 16 h et vous pourrez organiser le voyage de vos rêves, gratuitement. Non ce n’est pas une blague, c’est gratuit. Il tourne et retourne le papier, le lit, le relit et démoralisé se couche sur les marches. Le moment d’abattement passé, il lève la tête et aperçoit, tout en haut, loin très loin, une lueur bleutée ce qui le décide à se lever. Pour s’encourager il se met à compter les marches à voix haute. Chaque 25 marches l’escalier change de couleur et ressemble à un immense tag. Les peintures murales représentent la mer et les mouettes, la neige et la montagne, des villes, des marchés, des voitures, des bateaux, des animaux, des fleurs, des femmes, des enfants, des hommes, des pays, de tout. Il y a même des trompe-l’œil qui lui ont donné de faux espoirs lorsqu’il avait cru être dans une rue alors qu’il était toujours dans l’escalier. Cet escalier géant lui donne le tournis. Il reprend l’enveloppe, sort le bulletin gagnant le lit plusieurs fois et l’idée du voyage de rêve le motive à nouveau. Mais il se demande toujours s’il doit monter ou descendre. Quel est le chemin le plus court pour sortir ? Il prend le caillou et dit : » s’il tombe à droite, je monte, s’il tombe à gauche, je descends. » Il lance le caillou qui tombe juste devant lui, à ses pieds. Ah ! Soupire-t-il, ce n’est pas possible ! Je ne vais pas rester là ! Je recommence. Le caillou, comme aimanté, tombe toujours à la même place, devant lui. Cette situation est si absurde qu’il se met à rire, à rire. Il ne peut plus s’arrêter de rire. Il est pris d’un fou rire inextinguible. Il rit tellement qu’il doit s’asseoir, éponger son front en sueur, sécher ses yeux remplis de larmes de rire et se met à chanter. Il a une très belle voix, grave, chaude. Il est assis les yeux fermés et il chante de tout son cœur. Un premier poc ! Puis un second poc ! Lui font ouvrir les yeux, ce sont des fientes d’oiseaux, enfin, c’est ce qu’il croit ! Ah ! dit-il enfin un signe ! La sortie est vers le haut. L’invitation au voyage de ses rêves en poche, tout à coup ragaillardi et toujours en chantant, il recommence à monter les marches. Il monte l’escalier pendant plusieurs jours. Au fur et à mesure qu’il monte, il sent un air frais et parfumé envahir l’escalier. L’idée du voyage de ses rêves, auquel il pense sans cesse, le stimule et lui redonne courage lorsqu’il flanche. Après des jours de grimpette, il arrive en haut de l’escalier amaigri, épuisé, mais ce qu’il voit le récompense de toutes ses angoisses et souffrances. D’où il est, une vue spectaculaire et magnifique s’offre à lui. Impressionné par un tel cadre il se tait et reste sans voix puis, admiratif, il répète plusieurs fois,  « que c’est beau !  Que c’est beau !» Il voit un soleil rouge sang, deux lunes, l’une bleue, l’autre blanc nacré. L’ambiance lumineuse est douce. Bleue au sol, dorée dans le ciel qui est assez bas. Les paysages sont magnifiques mais étranges, les couleurs sont, elles aussi superbes, mais ne ressemblent à rien de ce qu’il connait.  Le paysage ressemble à une toile de Dali ou de Magritte, c’est une ambiance surréaliste. Tout est calme et silencieux. Il se met alors à chanter, heureux d’être là, aussitôt surgit un homme étrange qui tient une pancarte sur laquelle est écrit

L’AGENCE MIRAGES VOUS SOUHAITE LA BIENVENUE AU PAYS DE VOS REVES CAR VOUS AVEZ GAGNE LE VOYAGE DE VOS REVES. »

 Tout joyeux il quitte l’escalier et inspire l’air de tous ses poumons. Il ne remarque pas tout de suite que l’air sent un mélange de mousse des bois, de résine et d’iode, mais à part un lac argenté qui scintille sous les 2 lunes, il n’y a ni forêt, ni mer, ni océan. Il chante toujours et le petit homme étrange qui tient la pancarte de bienvenue, excédé, la jette par terre et se bouche les oreilles. L’homme s’arrête net de chanter. BIENVENUE ! BIENVENUE ! répète le petit homme chauve au teint olivâtre. Il a une voix de fausset et lorsque l’homme lui tend la main, il la prend entre les siennes,  l’homme voit alors qu’il n’a que 3 doigts palmés à chaque main. BIENVENUE SUR LA PLANETE SCARABEE répète l’étrange bonhomme. L’homme a un large sourire Ah ! Enfin ! je réalise mon vœu le plus cher ! Le petit homme chauve lui fait signe de le suivre et tous deux se dirigent vers une énorme coupole transparente d’où l’homme perçoit des bruits feutrés au fur et à mesure qu’ils se rapprochent. Arrivés devant l’immense dôme, le petit homme chauve au teint olivâtre et aux doigts palmés passe sa main devant une cellule et aussitôt ils sont aspirés dans un sas et téléportés en quelques secondes sur une plate forme qui surplombe une place. Là, sur cette place, se sont rassemblés des milliers de gens qui l’attendent en brandissant joyeusement des pancartes de bienvenue. Emu, flatté, il lit, BIENVENUE AU TERRIEN    LONGUE VIE AU TERRIEN   HEUREUSE INTEGRATION AU TERRIEN   VIVE LE TERRIEN  il leur fait un signe amical avec la main et aussitôt la foule fait de même. Il voit des milliers de mains palmés s’agiter comme un immense champ de blé sous le vent. JE VOUS REMERCIE BEAUCOUP DE M’AVOIR CHOISI. VOUS REALISEZ LE REVE DE TOUTE MA VIE. VENIR SUR VOTRE PLANETE ETAIT MON VŒU LE PLUS CHER ET GRACE A L’ESCALIER SANS FIN , J’AI PU VOUS REJOINDRE ET CHANGER DE PLANETE. MERCI MERCI DU FOND DU CŒUR MERCI. La foule en délire l’applaudit dans un étrange bruit de ploc ! ploc ! ploc !ploc ! Heureux comme il ne l’a jamais été, il leur sourit et continue, longtemps, à les remercier ne réalisant pas encore qu’il est là pour toujours.

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