par la fenêtre

visage-couché

Cette nuit le temps s’est arrêté à midi, je me suis mise à la fenêtre et j’ai vu des anges de pierre installer des hamacs de fils dorés sur les colonnes des monuments. J’ai vu les vagues de la mer se figer, j’ai vu le temps suspendu, la ligne noire du passé se mélanger avec la bande noire du présent pour tracer une figure éphémère dans le ciel blanc. J’ai vu un homme assis à son bureau dans une salle de classe tourner inlassablement la même page d’un livre tandis que les marches en pierre qui mènent à la butte s’étaient métamorphosées en escalier mécanique. Sur la montagne la neige fondait et le sommet levait la tête. Et puis j’ai tourné la tête et j’ai vu sur la table les maillons d’une chaine cassée et deux verres, un papier et un chandelier, je t’ai imaginé dans l’ascenseur et j’ai vu un bateau sombrer, sans survivant, aucun.

Que reste t-il, que nous reste t-il de ce temps ? Des papiers déchirés, la gueule de bois après la fête, tout n’était-il que faux semblants ? Comme cette colonne posée au milieu de la pièce qui ne soutient rien, qui transperce le plafond, qui nous avait donné l’espoir qu’elle grandirait sans rencontrer d’obstacles. Comme cet arbre mort posé sur le sol dont tu avais encadré la photo verticalement te plaisant à répéter que l’important n’était pas la mort de l’arbre mais la manière dont on le regardait. Nous avons écrit l’histoire de A à Z, le milieu nous appartient. Il nous faudra du temps pour réparer, pour ravaler le temps passé qui nous a abimé. Il nous faudra du temps pour agripper un à un les barreaux et remonter la pente. Le cadre n’a pas bougé, c’est la photo qui est tombée. Il nous faudra du temps pour effacer les traces du temps. Cette nuit le temps s’est arrêté et je me suis mise à la fenêtre. J’ai vu des gens, des vagues et puis des champs qui s’agitaient inutilement, j’ai vu des choses sans queue ni tête, renversées, renversantes. J’ai vu un jour de fête et l’effondrement d’un monde. Ce qui est cassé ne pourrait être réparé et puis un voile blanc est tombé et je n’ai plus rien vu du tout. J’ai fermé les yeux me débattant contre des hirondelles qui s’étaient installées dans ma tête dévastée, et en attendant que les minutes et les heures ne défilent à nouveau, j’entretiendrai ton souvenir et le jour où les mauvaises herbes repousseront je t’aurai oublié.

(inspiré d’une expo à l’espace écureuil en juin2013)

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