Que la terre tremble, que le vent hurle dans les cheminées, secoue portes, fenêtres et volets, les habitants y sont habitués, que le lac d’ordinaire paisible et lisse comme un miroir gonfle sa surface en énormes vagues aussi, mais qu’il y ait des secousses régulières comme un hoquet, ça, les habitants ne comprennent pas ce qui le provoque. Impossible de voir ce qui se passe sous la surface car le lac est très sombre. Parfois il est noir et brillant comme 7 couches de laque et parfois il est d’un beau vert émeraude, mais tout aussi opaque. On ne voit rien. Jamais. On peut écarquiller les yeux pour essayer d’apercevoir le fond, troubler l’eau avec la main, le pied, un bâton ou autre, on ne voit ni plante ni quoi que ce soit. Personne ne s’y baigne car la profondeur effraie même les plus téméraires. Il n’y pas de pêcheur non plus car toutes les tentatives pour rendre ce lac poissonneux ont échoué. Lorsqu’on jette un caillou il arrive qu’il ressorte ou revienne sur la berge sans que l’on comprenne pourquoi. Parfois aussi de grosses bulles remontent à la surface. Certains disent que c’est une source qui se trouve au fond du lac mais personne n’a jamais vérifié si c’était vrai. Ce lac est un mystère. Cependant, les habitants de cette petite île nichée dans la verdure entourée d’arbres majestueux, s’y plaisent beaucoup ainsi que les touristes qui s’y précipitent dès l’été venu. Continuer la lecture
Archives de catégorie : la photo du mois
La photo du mois de mai
Femme, permets-moi de te caresser ton dos dénudé, aujourd’hui meurtri.
Si tu le veux, je vais tenter de faire glisser et remonter doucement tes innombrables fermetures Eclair.
Saurai-je si tu es l’enfant d’Asie, jeté dans la décharge d’ordures.
Si tu as été épargnée d’un foeticide effréné des filles, au
Pendjab, en Chine ou ailleurs.
Laisses-moi relier deux dents de plus d’une de tes fermetures.
Es-tu l’heureuse scientifique Marie Curie.
Ou l’élue du programme chinois « chérissez vos filles »
Aurai-je assez le temps d’une vie pour engrener toutes ces dents.
J’accepte que tu en aies plein le dos.
Et que tu choisisses de transformer ton échine en forteresse imprenable, là où beaucoup d’hommes aimeraient croiser du regard plutôt ton torse et ta poitrine chargée de symbolisme de féminité et de fertilité.
Une déchirure de plus à relier.
Comment accepter qu’en chine 50 millions de tes sœurs ont disparu, comment accepter, que Fatma ou d’autres femmes marocaines aient été envoyées en Indochine pour satisfaire les soldats en guerre.
Comment recoudre tes souffrances et blessures à jamais ouvertes.
Es-tu Maryln, Romy, Janis ou La Callas.
Ou toi, l’unique, seulement toi.
Pourras-tu t’apaiser, j’effleurerai alors mes doigts sur ton dos à nouveau lisse.
En pensant à la chanson de Ferrat « La femme sera l’avenir de l’homme » fameuse inversion du célèbre vers du poète Aragon.
Philippe/juin 2014/photo du mois
Impressions foraines
Je me souviens entrer dans l’enceinte de la fête foraine comme on entre dans l’univers d’Alice aux pays des merveilles et me trouver entêtée par les effluves sucrées et poudrées qui sinuaient dans l’air jusque dans nos narines et nous attiraient vers la cabane du marchand de barbe à papa couleur rose bonbon. On regardait les filets de sucre qui s’enroulaient comme des bribes de nuages autour du bâtonnet en se demandant quand le monsieur s’arrêterait. On sentait les cristaux se caraméliser et dégager une odeur de fraise. Quand brusquement, continuant notre chemin, au détour d’une allée, le parfum sirupeux des pommes d’amour nous envahissait tandis que notre regard s’immobilisait sur cette grosse sucette au rouge écarlate. La nuit survenait et se chargeait de la cacophonie des autos tamponneuses bonhommes et des cris des enfants installés dans les manèges aux personnages toujours souriants, des cris des intrépides embarqués sur la grande roue et de la joyeuse rumeur de la foule qui déambulait. En fond sonore on continuait d’entendre les ritournelles des machines à sous et de celles qui attrapaient les peluches. Mais déjà notre regard se posait sur les guirlandes chatoyantes, le rose fushia des machines à tirettes, les enseignes lumineuses et clignotantes, les éclairages bariolés et scintillants, les stands aux objets fluorescents. Et malgré la harangue des forains pour vous faire jouer à la loterie ou l’on gagne à tous les coups et l’invitation du gros lapin dans les bras du grand costaud, c’est finalement les chouchous dorés tout chauds qui laissaient en bouche un délicieux goût de vanille sucrée qui nous faisaient succomber.
La fête au village
Je me souviens de la file de camions, arrivant sur la place du village, comme une promesse,
Je me souviens de la course folle dans l’escalier, pour aller mettre la belle robe et se laisser coiffer,
Je me souviens des mains tremblantes qui déroulent le papier de la loterie : PERDU
Je me souviens du sourire de ma sœur quand elle a reçu l’énorme ours en peluche rose
Je me souviens de la beauté, un peu effrayante des foraines, et de leurs grandes boucles d’oreilles qui me fascinaient,
Je me souviens des ballons multicolores qui dansaient dans leur cage, en attendant le claquement sec de la carabine,
Je me souviens, que, tard le soir, les yeux grands ouverts dans le noir, je rêvais de gros lots et de tours de manège.
la photo du mois
Les baigneuses qui ne voulaient pas se baigner.
Il y avait celles nées au début du XXe siècle habillées de pied en cape, tout de noir vêtues, froufrous, dentelles et rayures exhibés aux regards de tous qui voulaient se baigner mais qui ne pouvaient pas. Elles étaient trop empêtrées dans leurs habits de circonstances, profitant tout de même de l’air iodé et du paysage de bord de mer. Elles avaient peur de tout, du soleil, du regard des autres baigneurs, des moindres et infimes indécences. Après cette belle époque vint le temps des libérations et de celles qui osent désormais se montrer quasiment dénudées portées par un mouvement de femmes décidées à ne plus se laisser aliéner. Elles exposent alors un corps hâlé et se baignent sans contraintes, jouissant de tout en toute liberté, l’air de rien. Celles-ci ne s’inquiètent ni des rayons qui brûlent, ni de l’humeur de la mer et de ses vagues qui déferlent, ni du sable de la plage qui disparait un peu plus chaque jour, toutes occupées à profiter enfin du soleil et de la mer. Mais il reste au sein de cette communauté adepte d’un héliotropisme méditerranéen des dubitatives, parfois culottées et chapeautées, qui se trempent les pieds attentives à tout et au moindre rien, ne voulant pas se baigner. Leur plaisir est d’entrer dans une quête singulière de petits coquillages bariolés, de drôles de pierres dépolies et colorées et d’autres trésors ramenés des fonds marins par des vagues légèrement écumantes. D’autres enfin, se demandent contemplatives devant cette immensité bleutée, quelle délectation il y a à se baigner dans une eau tout de même gelée.
L’air marin
Je me sens grosse. Je fais partie des « sans », sans domicile, sans relation physique, sans regard amoureux. J’aime l‘eau qui se frotte et se faufile à mes pieds, le mouvement de la marée, le ressac, la jouissance de ce va-et-vient.Mon vague à l’âme. Devrai-je nager, m’engloutir dans cette mer, ma frimousse, ma jolie tronche, seule émergeant ?
Toi, ta présence, là, juste à côté de moi, ta jeunesse, le ventre plat, fesses galbées, et petite poitrine. Nage, nage ma belle, tu t’éloignes de moi, s’il te plait, laisse ma voie libre de sable mouillé. Laisse- moi être pénétrée de cette odeur d’eau salée, m’envahir les narines aux orteils, me traverser.
Beaucoup plus jeune, je me serai aventurée à m’approcher de toi, te parler, un brin de cour. L’air marin a toujours était pour moi aphrodisiaque. Tu ne me regardes pas, mais si tu le voulais, tu saurais que j’ai aimé autant les femmes que les hommes.
Être enivrée de parfum iodé, parfum d’amour. Être dans mes villes préférées, celles du bord de mer. Être heureuse, me sentir bien, un grand bol d’air, parenté d’un souvenir de mon enfance à la ferme : « bois petite ton grand bol de lait », disait ma mère, « profite ! » .Oh ! que oui ! que j’en ai profité, un peu trop même. Mes rondeurs, en fait je m’en fous. J’aimerais courir, plonger, nager sous l’eau avec toi voisine de plage, te faire des culbutes dans les vagues, te caresser, nous aimer.
Lundi au boulot, les collègues, derrière leur guichet, me chambreront un peu : alors Fernande ! T’es encore parti au grand large, pour ces vacances, tu as une bouille resplendissante, hein la mer, c’est bien ça le plus vivifiant ?
Moi, subrepticement entre deux clients, je ferme les yeux, et respire à fond le peu d’air marin qu’il me reste et je rêve à toi.
la photo du mois/ l’air marin
Il y a des airs de 2 airs et des airs de rien. Ceux qui font mine de ne rien savoir ou de ne rien voir. Des airs comprimés qui se plaignent tout le temps parce qu’ils sont à l’étroit et des airs liquides qui coulent n’importe où. Ceux, généreux, qui donnent de l’air, comme ça, gratuitement, et ceux qu’il ne faut pas croire parce qu’ils sont tête en l’air et disent des paroles en l’air. Mine de rien, ceux qui ont de grands airs, sont souvent hautains, sans en avoir l’air ! Et je ne vous parle pas des courants d’air, toujours pressés, stressés, à peine aperçu déjà disparu. Mes préférés sont les airs de famille qui ont souvent un air modeste, sans en avoir l’air, sans mettre tout en l’air, tout en restant, bien sûr, dans l’air du temps ! Et puis il y a l’AIR DU LARGE, appelé aussi AIR MARIN, le plus beau, le plus séduisant, le plus Continuer la lecture
la photo du mois : L’air du large
Depuis trop de jour déjà, elle était dans un état d’hébétude dont rien ni personne ne semblait pouvoir la distraire.
Elle agitait nerveusement la souris, cliquant compulsivement, le regard rivé sur l’écran. Ses yeux d’un bleu profond trahissaient sa tristesse.
Immobilité soudaine. Elle lit. Un imperceptible sourire apparaît sur ses lèvres pâles.
-Voilà, c’est là.
Elle se laisse aller sur le dossier de son fauteuil, le regard absent. Une grande lassitude s’empare de son corps. Pourtant elle compose un numéro sur son téléphone. Continuer la lecture