compilation de textes écrits à l’atelier du jeudi au centre culturel Bellegarde. sur le thème des métiers imaginaires …
Le remonteur de bretelles
Thérèse
Je suis l’artisan d’aujourd’hui
Remonté contre le temps
La colère est mon carburant.
Tel une mer démontée, je répare ce qui cède dans le camp de réfugiés.
Je suture la courroie qui hisse le seau du puits.
Je jette des pelletées de gravier sur les voies de raccordement
Je tisse des liens élastiques dans les bandes d’étoffes des femmes
Le poids de leur enfant déchire leur échine courbée.
Je suis l’artisan d’aujourd’hui
Remonté contre le temps
La colère est mon carburant.
Maintes fois je compresse des bandages sur les plaies.
Je raffermis le moral
Je réconforte
Et tends à nouveau le ressort de l’élan – tel l’horloger sur ses montres.
Il m’arrive d’offrir à ces femmes des porte-jarretelles scintillants
Venant d’autres femmes
Des essayages pour les Peaux d’Ânes des tentes de fortune
Et, tout près de chez moi
Je vois les ouvrières, étirées sur le tapis roulant bondé d’articles à étiqueter
Leurs épaules sont endolories
Leurs gestes sont prêts à ralentir, mais
Les sangles liées aux poignets tirent leurs mains en arrière
Protection et cadence obligent !
Où sont les rubans de soie
Les ceintures de cuir souple
Les porte-chaussettes confortables
Et les guirlandes lumineuses ?
Chez moi, sans doute !
Alors ?
Demain sera-t-il un autre jour ?
« Le porteur du poids du monde»
Abdelhakim
Je suis porteur du poids du monde sur mes épaules.
Tous les jours je me lève avant le levé du jour et je pars chercher mon chargement.
Chaque chargement est une surprise.
Chaque jour est une épreuve.
Je suis ATLAS, Hercule…
Je suis un porteur du poids du monde sur mes épaules.
C’est un travail méthodique et très enrichissant pour mais très fatiguant !
Chaque jour est une vie.
Chaque chargement est une épreuve.
Il y a des jours où je me sens heureux de faire ce travail. Je sens une sorte d’autosatisfaction qui me propulse dans un monde merveilleux. Et d’autres où je regrette de m’être levé…
Des jours où je me sens écraser par le poids de mon chargement, mes épaules ne sont pas assez large. Le chargement est tellement lourd et hétérogène que je sens mon corps crisper, lourd, mes jambes ne tiennent plus, j’en pleure, mes poumons sont oppressées, ma tête est comme dans un étau…
Un chargement est une multitude d’objets divers et variés.
Des objets que je dois trier, classer par catégories et par ordre d’arrivé.
Chaque chargement est une affaire de hasard et de surprise, une affaire de timing et de logistiques.
Je ne sais jamais de quoi il saura fait mon prochain chargement.
J’ai décidé de faire ce métier car j’aime l’échange avec les gens, j’aime la nature, la terre, les planètes, j’aime me nourrir des secrets des autres, de leurs tabou et leurs confidences, de leurs façon de voir la vie, de leurs croyances, de leurs contradictions…
Je suis un peu comme un prêtre dans un confessionnal.
Je récolte les informations et les objets de toute sorte sans aucune présélection.
Je prends tout ce que je trouve.
Je suis le « Malik Jalouk : un conteur ambulant qui ramasse tout ce qu’il trouve par terre, il arpente les rues avec un tas objets et qui raconte des histoires sans se soucier d’être écouter ou pas. C’est un personnage mythique à Marrakech » de l’univers.
J’arpente les rues tous les jours.
Il n’y a aune limite de poids.
Des jours je peux finir la journée avec seulement quelques kilos et d’autres avec plusieurs tonnes. Le poids n’est pas une condition, ce qui conditionne mon travail est la capacité de mes épaules à supporter les composants de mon chargement.
Il y a des objets qui piquent, d’autres qui coupent. Je rentre le soir avec une multitude de bleus et coupures divers et variées. Des blessures plus au moins graves. Le soir je me couche en espérant que le lendemain j’aurai la chance de mon chargement.
Je me sens fier d’un chargement beau à voir et à toucher. Je marche dans la rue la tête haute et peu import le poids que je porte.
J’en suis fier et c’est ma récompense. Un chargement beau est un chargement composé d’une multitude d’objets, d’idées, de bonnes nouvelles, d’autosatisfaction, d’une bienveillance de la part de mes clients.
Ah oui. Mes clients sont aussi multiples que les composants de mon chargement.
Je suis Atlas, Hercule, le Malik Jalouk du monde
Et c’est métier merveilleux
Il suffit d’avoir les épaules pour !
Le briseur de glace
Dominique
Je suis un briseur de glace. Je me rends chez mes clients avec un matériel très complet : des ciseaux, des marteaux de toute taille, des burins, des pics à glace, des cutters etc…
Quand j’arrive chez les gens et que je déballe tout çà, certains ont l’air effrayés mais je les rassure, j’ai l’art de briser la glace…
Dans ma boite à outils on trouve tout ce qu’il faut pour casser, écraser fendre, rayer, fissurer, couper, percer.
Je suis devenu briseur de glace à 16 ans, quand j’ai quitté l’école, on m’a renvoyé car j’étais un peu violent, pas avec mes camarades mais avec le matériel, on m’avait déjà surnommé « le casseur ».Faut dire que ma mère y est pour quelque chose aussi. Elle me répétait sans cesse : »tu es un brise-fer, tu casses tout ce que tu touches mon pauvre garçon »Elle n’était pas méchante ma mère et je l’aimais beaucoup, alors je l’ai crue et j’ai décidé de continuer à casser.
J’ai commencé à m’entrainer avec le frigo familial .Quand il fallait le dégivrer, c’était toujours moi qui m’y collait. J’enfonçais avec une jouissance extrême la pointe d’un couteau dans le casier du congélateur et je récoltais dans une bassine les blocs de glace que j’allais ensuite ébouillanter sous le jet d’eau de l’évier.
L’hiver, je grattais les pare-brises des voitures recouverts de glace et je dessinais sur les vitres des figures de toutes sortes à l’aide de raclettes. J’y mettais tout mon cœur. La glace se collait et durcissait sur mes doigts de laine qui se raidissaient et que j’avais l’impression de casser pour les faire bouger.
L’été, c’était d’autres plaisirs.je guettais les mangeurs de glace, se promenant nonchalamment dans les rues.
Je m’arrangeais pour les bousculer, la glace tombait par terre en prenant des formes bizarres. Le cornet se brisait et si tout se passait bien je pouvais espérer piétiner l’ensemble et l’écraser un peu plus….la glace était brisée et souvent les petits enfants pleuraient.
A la morte- saison, je m’occupais des miroirs j’en avais toute une collection .Avec mon marteau et mon burin je les brisais avec délice .çà craquait sous mes pieds, au début je percevais mon visage découpé, j’avais l’impression de me détruire moi-même, drôle d’idée, non ?
Le vendeur de mèche.
Andrée
Mes parents m’ont raconté que, déjà à ma naissance, je tirais mes cheveux, les enroulais sur mon index et suçotais mon doigt ainsi habillé. Toute jeune, j’étais adepte de la tricotillomanie ;
Cela me fait bien rire, car c’est comme si je savais déjà que j’en ferais mon commerce.
Oui, je vends la mèche !
A l’école, en primaire, j’échangeais une mèche de beaux cheveux longs contre une addition, puis une division à deux chiffres. Certains voulaient la mèche brute, pour d’autres je faisais un toupet attaché avec un brin de laine, ou un bout de raphia ; pour d’autres encore, je tressais élégamment mes quatre poils et une fois fini, j’avais à cœur de faire boucler la pointe avec délices.
Vers douze ans, m’est venu par la voie des hormones, du désir ou de la convoitise de monnayer mes mèches contre une séance de cinéma ou des bisous dans le cou. Ma meilleure amie, m’a soufflé en secret qu’il parait que certaines dames faisaient payer ainsi le plaisir que pouvait donner leur corps à d’autres êtres humains. Je n’ai pas voulu la croire car je ne voyais pas bien de quel plaisir elle parlait. Trois ans plus tard, elle-même avait mis en pratique ce savoir nouveau ; mais je ne l’ai jamais trahie !
Quant à moi, j’avais créé un petit éventaire que je portais autour du cou où j’exposais les modèles de mes créations. J’adorais faire l’article, vanter la qualité et la couleur de mes cheveux auburn. Il m’arrivait pour satisfaire la demande de les teindre et j’obtenais ainsi, des poils de carotte, des blonds nuancés, des blanc de neige ; je les frisais au bigoudi, je les poudrais, en faisait des faux chignons (quand ma mère les coupait) les entourait de filets à l’espagnole. J’ai eu beaucoup de succès.
Au fil du temps, j’avais enrichi mon petit commerce et j’étais capable de vendre des mèches agrémentées de perles que j’avais enfilées comme font les indiens, de plumes et laines et coton, soie et velours avec leur myriade de couleurs qui rendaient très bien. Mon commerce était établi. On m’appelait « La Squaw ».
Le lécheur de vitrine.
Maïté
C’est après de nombreuses années d’errance que je suis devenue lécheuse de vitrines.
Les circonstances jouant contre mon destin ; j’avais successivement exercé le doux métier d’éclaireuse de diamants, d’étaleuse de savoirs de coupeuse de cheveux en quatre, j’avais même tenté la profession d’essuyeuse d’averses qui on s’en doute n’était pas sans répit.
Mais depuis ma plus tendre enfance je rêvais d’exercer le subtil métier de lécheuse de vitres
Cette vocation fut très précoce déjà toute petite je m’exerçais dans le léchage des assiettes à café qu’utilisaient les adultes pour poser leur tasse, il y avait toujours une goutte de café délicieusement sucré qui s’étalait sur la soucoupe et que léchait d’un vif coup de langue dès que l’adulte déposait son objet sur la table.
Je m’entraînais à la rapidité du geste, il s’agissait de lécher la soucoupe et de ne pas être vu car j’avais à mes débuts essuyé une vive réprimande de ma grand-mère qui m’avait expliquée que n’ayant rien d’un chat ou d’un chien, je devais toute affaire cessante arrêter ce comportement inconvenant pour une petite fille.
A l’âge de 8 ans j’étais de venue experte en léchage d’assiettes de tout format et quel que soit les résidus d’aliments contenus dans celle-ci. Je me délectais à lécher des fins de soupe un peu collantes, du jus d’une tranche de veau, de miettes de parmesan râpé, de la crème d’un camembert avancé mais par-dessus tout, je n’aurai pas échangé ma place pour faire disparaître avec ma petite langue agile les traces d’une crème anglaise au chocolat.
Aussi lorsque j’appris que le maire recrutait un lécheur de vitrine je proposais aussitôt ma candidature.
Le profil de poste était précis en creux, en fait, il décrivait précisément ce que l’on n’attendait pas du lécheur de vitre. Une méthode certes saugrenue mais qui limitait ainsi le champ des possibles l’annonce était libellée ainsi :
La ville de Tou-Rouge recherche son (ou sa) lécheur (se) de vitrines
Le (ou la) lécheur (se) de vitrines ne devra pas avoir une langue de pute, ni une langue de vipère, ni avoir la langue dans sa poche, ni bien pendue, ni pendante bien entendu.
Il conviendra d’éviter également les langues mortes trop statiques, les langues chargées lourdes et salissantes, de bois trop rigides, de bœuf trop personnalisées, au chat peu fiables s’il en est.
Rémunération en fonction du degré de motivation linguistique.
Toute personne qui souhaite mettre sa langue à disposition de vitrines de notre bonne ville est priée de communiquer son CV au bureau du Maire.
L’entretien dura quelques secondes, en un clin d’œil en fait un coup de langue, j’ai nettoyé tous les miroirs de l’antichambre, les lunettes du maire et de ses conseillers. Je montrai par les faits la différence entre une lèche cul et un lécheur de vitrines et très vite le poste que je convoitai me fut confié.
Cela fait maintenant 40 ans que je suis lécheuse de vitrines dans notre ville je suis devenue titulaire de mon poste, j’ai été nommée lécheuse de vitrines chef lorsqu’il s’est avéré utile d’embaucher, j’ai constitué des équipes qui sillonnent la ville par 2 ou 3.les commerçants apprécient les escadrons de lécheurs qui œuvrent tous les jours sur leur vitres et vitrines, et moi petite lécheuse d’assiette je suis bien fière d’avoir contribué à initier cette activité si utile.
J’organisais ensuite mon travail avec méthode. J’alternais les vitrines impaires et les vitrines paires en fonction de la météo et des conditions climatiques. En effet, les jours de pluie je laissais le temps faire son ouvrage et je me consacrais plus précisément aux surfaces vitrées intérieures. Mon activité n’avait pas de cesse. J’étais souvent appelée le dimanche pour nettoyer des vitrines qui avaient subi les outrages de groupes d’étudiants ou de fêtards pendant la nuit du samedi. Je devais alors lécher des fonds de bière, de whisky, de café, de chocolat, j’ai même été amenée à lécher de la chantilly de jeune mariée qui dans l’émotion de la cérémonie de mariage avait échoué sur la vitrine d’un magasin de pompes funèbres.
Je suis très vite devenue titulaire de mon poste car j’ai toujours fais mon travail avec beaucoup d’application et d’enthousiasme à tel point que le Maire a décidé de suivre en direct mon activité.
Il m’accompagne parfois dans ma tournée et en profite pour se flatter du bon résultat de la mission qu’il m’a confiée et je crois que sa réélection systématique depuis 40 ans est en quelque sorte la conséquence directe de la qualité de mon travail. Je suis très appréciée de nos concitoyens qui sont fiers de voir leur ville si brillante et si étincelante grâce à ma à l’agilité de ma petite langue.
J’ai d’ailleurs été nommée lécheuse de vitrines chef lorsqu’il s’est avéré utile d’embaucher car l’excellence de mon travail a créé des besoins.
J’ai donc constitué des équipes qui sillonnent la ville par 2 ou 3. Les commerçants et les habitants apprécient les escadrons de lécheurs qui œuvrent tous les jours à rendre resplendissantes leurs vitres et vitrines.
Ce service très vite devenu indispensable, a fait des émules, plusieurs villes ont créé des postes de lécheurs de vitrines, et on évoque parfois la création d’un Secrétariat d’Etat…..
Et moi, ancienne petite lécheuse d’assiettes je suis bien fière d’avoir contribué à initier cette activité si utile dans notre pays.
L’acrobate du brouillard
Thérèse.
Il était accro, il s’échappait par tous les temps et sautait sur son trapèze. Les risques qu’il prenait, faisaient jaser tout le village.
Il était tout petit encore, mais résolu !
Résolu à rester en mouvement.
Le brouillard lui allait bien, cet obscur de blanc le mouillait, et, lui, l’acrobate perçait tous les mystères, les étirements de son corps allaient chercher les réponses dans toutes les directions.
Il se passait de parole, de peur qu’on ne lui parle !
Les attaques pénétrantes de l’humidité étaient chassées par la douce sueur de ses pores.
Aveugle, aveuglé, il taillait avec le corps dans cette masse souple, alliée de ses fugues, de son caché ;
On peut naître acrobate, c’est un prolongement naturel !
Il va rester dans l’ombre du brouillard, dans ses replis ; mais il n’est pas le maître du monde et ne peut capturer sans fin cette ouate.
Quand le soleil le dévoile, il affronte tous les yeux, l’acrobate, ainsi façonné, il peut dire et parler tout en se mouvant.
LE FONDEUR DE PIERRE
Marceau
En ce temps là, la Terre était plate.
Mais plate comme un billard. Pas le moindre relief aussi loin que
portait le regard. Enfin, vous comprenez: l’ennui régnait en maître. Les
pauvres hommes, affligés, n’y pouvait mais.
Hors, un jour de disgrâce comme il en pleuvait souvent, je fus
convoqué par le Grand Conseil.
Étonnement. Inquiétude. Tremblements.
Pourtant, j’avais la conscience en paix. Nul action délictueuse dont je
pourrait rougir, nulle compromission sacrilège au cours de ma longue
carrière. Enfin, le moment de l’entretien redouté arriva, et avec lui, ma
délivrance: On n’en voulait pas à ma personne. Soulagement! On voulait
ma personne. En chair et os, en pensée et action.
Pourquoi? en raison de mon métier: je suis le fondeur de pierre.
Pour qui? pour l’humanité toute entière, rien de moins.
Ils m’expliquèrent la tristesse de ce monde uniforme à l’origine de
l’ennui chronique de notre espèce. Ils gémirent sur l’immobilité du regard
dans les champs infinis, où les sillons faisaient le tour de la Terre sans
détour ni obstacle. Ils se lamentèrent sur l’indigence de nos concitoyens à
explorer des lieux lointains, à découvrir des sites remarquables. Et pour
cause, le lointain était à portée et la différence n’existait pas.
«Mets-toi à la tâche! me dirent-ils, et tu seras à l’abri du besoin, toi et
ta famille, jusqu’à la treizième génération. Façonne les pierres à ta guise,
crée une perspective, quelques sinuosités, une bosse quelque part en un lieu
secret que nous n’aurons de cesse a découvrir. Va et agit.»
Cogitation. Migraine. Insomnie.
La stupéfaction fit rapidement place à l’accablement. Je ne savais par
où commencer, ni quoi faire. La tâche était immense, incommensurable.
Que pouvait mon modeste génie face à une oeuvre d’une telle envergure? Il
me faudrait du courage, de l’opiniâtreté, de l’autorité. Rien ne manquait,
mais encore. Quant à l’imagination …
Habituellement, mon action restait circonscrite à quelques lieux
éparses, pour des particuliers excentriques à l’ego ébréché, en mal de
notoriété. Alors, mon talent faisait merveille, comblait toutes les attentes et
ma réussite me rendait assez fier de mon travail. Mais là, savait
l’impression d’être face à un gouffre, d’être comme une nourrice sans lait,
je séchait.
Soudain, la pensée du gouffre vertigineux qui s’ouvrait devant moi
emplit mon angoisse avec insistance. La prégnance de cette idée me
perturbait, mais à bout de rien, je finit par m’y intéresser. La moindre
parcelle d’intuition suggérait l’espoir d’une échappée libératoire bien venue,
devenait pour moi une lueur naissante de solution viable, les prémices d’un
aboutissement.
Elle devint concept.
Oui, je tenait enfin mon sujet. Pour cela, il fallait mettre tout le
monde à contribution. Je ne doutait pas un instant qu’un tel projet
fascinerait le pire objecteur officiel, activerait les oisifs les plus ancrés dans
leur routine, toucherait les plus insensibles à leurs prochains. Tout un
chacun sera de la partie, l’humanité entière contribuera à son propre Grandoeuvre.
L’enthousiasme fut au rendez-vous.
Le Grand Conseil fut comblé. « Tant d’activité sur toute la surface de
la planète nous émerveille. Fini la contestation des anars, fini le farniente
aux siestes trompeuses d’ennui, fini l’indifférence égoïste au rire
méprisant. » Tant il est vrai que le peuple humain avait épousé sans
hésitation une nouvelle vision du monde, imaginant monts et vallées,
abîmes et plateaux vallonnés, fleuves et torrents. Pour la plus grande gloire
de la diversité, de l’esthétisme, de la curiosité sans cesse renouvelée.
Tous se pressaient, dans tous les sens, de haut en bas. Des enfants
trimbalant leur petit saut de sable, ou fourrant dans leur poche quelques
poignées de terre noire pour le déposer au sommet de la colline qui
s’élevait lentement, mais sûrement. Qui une cruche remplie d’eau fraîche
pour alimenter la première ébauche d’un ruisseau dégoulinant au creux d’un
talweg. Qui une charretée chargée de roches énormes au destin bouleversé
un bref instant.
Qu’il était bon d’entendre l’excitation des meneurs dirigeant la
manœuvre des hommes, attelés aux lourds traîneaux de matériaux, de
sentir la sueur des milliers de terrassiers creusant le lit d’une rivière, ou les
maîtres d’œuvre imaginant un escalier inédit. Et le soir, exténués, reclus
d’une fatigue extatique et bienheureuse, contempler le travail accomplit,
vautrés au pied d’une ébauche d’une colline nouvelle, déguster le temps qui
s’écoule.
Quant à moi, je m’affairai jour et nuit à l’accomplissement de ma
mission : souder le roc à la base des futures montagnes, aménager des
grottes qui deviendront plus tard des abris salvateurs, consolider des
cheminées de fées et des falaises tombantes, sculpter des arches
flamboyantes et des canyons sinueux.
Pour l’heure, je paraisse sous les frondaisons, écoutant avec délice la
rivière qui murmure en sourdine, savoir qu’au loin la neige blanchit les
cimes, peut-être pour l’éternité, qui sait ?