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question d’objectivité

La vallée de Cominac, Ariège ;
30 km au sud est de Saint Girons ; 800m d’altitude
Hiver : arbres branches nues, feuilles de hêtre au sol ;
Des feuilles ocres sur les chênes ;
Terrain en pente, herbe verte, abondante ;
Des granges sur le versant ; pierres grises, toits pentus en ardoise ;
Plus bas un village : maisons rapprochées, fumée aux cheminées, église au clocher bulbe ;
Au sud en face, la chaine des Pyrénées ; différents étages suivant l’altitude et l’éloignement ; il y a de la brume ;
Au dessus les cimes blanches, sur le ciel bleu.
On entend le moteur d’une tronçonneuse.

Le soleil d’hiver réchauffe la vallée, il enchante les prés ;
Les feuilles des hêtres sous les arbres comme des nids douillets, roux et bruissants ;
Des éclats de lumière dansent sur les dernières feuilles des chênes ;
Sur l’herbe, verte et grasse, des granges sont blotties, promesse de chaleur et de foins parfumés pour les troupeaux ;
Au village, plus bas, des écharpes de fumée s’envolent, gracieuses vers le ciel ; L’église et le clocher au centre, où se nouent les destins des habitants ;
Le chant d’une tronçonneuse, la vie est là, évocation de la chaleur de foyer.
Les Pyrénées au loin, baignées de douce lumière bleutée, piquetées de paillettes de neige, comme un appel vers l’au delà de cette vallée, qu’un vent aventurier caresse.
On peut sentir le printemps à venir sous les stigmates de cet hiver, promesse de vie nouvelle ;

La vallée, en hiver ; les arbres noirs, branches nues, menaçantes ;
Les feuilles au sol, bruyantes, odeur de pourriture ;
L’herbe, gorgée d’eau froide, spongieuse et glissante, traitre, sur ce terrain en pente ; pas d’endroit ou se raccrocher.
Les granges, comme des blocs durs, inquiétantes, portes closes ;
Le village plus bas, hostile, isolé, fermé aux étrangers ; l’église et son confessionnal ;
Au loin les montagnes obstruent la vallée ; un poids sur les épaules, sur le cœur, dans les jambes, jamais cette barrière naturelle ne pourra être franchie ; elle condamne la vallée et ses secrets ; pas d’échappatoire, l’hiver va tout figer ;
Cri strident d’une tronçonneuse.

roman d’amour

le lampadaire et le goéland            16 novembre 2015

Je vis pas loin du port, prés de la grève vaseuse, dans les embruns iodés et le parfum des varechs qui sèchent, je suis bercé par le va et vient des vagues.

Delà ou je suis, je vois une grande partie de l’île plate, ses champs d’artichauts à droite et à gauche les bateaux bien sur, le port plus loin avec le phare orgueilleux à l’ouest.

Je fais le pied de grue depuis plus de 30 ans à cette place, que je ne partagerai pas pour tout l’or du monde. Je suis indispensable :

L’été je veille sur les amours estivales des adolescents et quand vient l’hiver, je donne de la chaleur dorée au port, je guide les écoliers dans le brouillard de novembre et montre aux vieilles femmes en noir le chemin de l’église pour la messe du matin.

Je suis modeste, mais régulier ; Toujours prêt au service au bon moment, à la tombée du jour ; je ne suis pas comme le gros prétentieux de l’autre coté du quai…Lui il ne travaille que par saccades, il a une tête giratoire, et se croit obligé d’aveugler tout le monde!et ça prétend être sauveur de vies !!!

 

Dans ma famille, il y a eu d’illustres ancêtres, d’autres plus modestes ;

Il paraît qu’une bougie en cire véritable figure dans notre généalogie, et qu’il y a eu aussi des lampes tempête.

Une branche de la famille aurait été sémaphore, dieu soit loué, on les as perdus de vue !

Mon grand père était réverbère, un lampiste était à son service ; Continuer la lecture

enfermement

L’enfermement

Une nuit blanche à réécrire mon texte pour mon oral…

Ce matin je suis vaseux, la journée va être rude, je dois pourtant être réactif pour ce foutu examen.
Prêt avec 20 minutes d’avance, je sors de l’appart avec précipitation mais quelque chose bloque l’ouverture. Je glisse mes doigts dans l’entrebâillement et sent quelque chose qui ressemble à un filet. J’hurle, je soupçonne les vieux d’à coté d’avoir bloqué l’escalier avec leur crainte idiote des voleurs. Personne ne répond, et au silence je perçois que je dois être seul dans l’immeuble.

Vite, les fenêtres !

Là, je me rends compte qu’elles sont bloquées par un truc informe qui tamise la lumière.

Ciseaux, briquet, coups, rien ne semble pouvoir ébranler cette masse souple mais résistante.

Une demi heure est passée, je vais être en retard pour l’exam….

Vite le téléphone pour avertir, me prétendre malade, que sais je ? Continuer la lecture

hiver sur l’océan

Crépuscule maritime, palette de gris,

L’océan au loin, parfum iodé ;

L’embouchure de l’Aulne en hiver à marée basse, l’aber envasé ;

Herbes folles sous le vent, oyats de la dune, juste la à mes pieds ;

Les hêtres ont perdu leurs feuilles, le vent les a semées ;

Tout est gris sauf le lierre parasite.

Au loin un petit bois moutonne au bord des rives du cours d’eau qu’on devine au pied de la colline.

Un navire épave gît, presque couché sur le flanc, dans l’étreinte douce et gluante des limons putrides.

Le ciel est balayé de nuages effilochés, pressés. Les embruns marins fouettent mon visage, cils perlés de sel.

Un goéland cisaille l’air ; son cri rauque trouble le silence du cimetière des bateaux.

 

Oyats de la vallée sous le vent,

Hiver échoué,

Branches fantômes,

Goéland, griffure du ciel ;

Abandon onirique.

 

Yveline 8 décembre 2014 ;

expo Dieuzaide/Doisneau

 

Photos :Canal saint Denis novembre 86
Jardin de la derbie 84
Elle avait quitté Paris ; son immeuble du 19eme en briques sombres, effrité, le linge étendu aux fenêtres qui ne sèche pas…
Elle avait quitté l’agitation urbaine, le grincement du métro, les remugles des égouts ;

Laissé derrière elle le Paris des canaux :
Canal saint Martin et ses goélands,
Canal de l’Ourcq, ses banlieues et ses peupliers,
Canal saint Denis et ses lourdes péniches.

Toutes ces années elle avait vu ces péniches sur les eaux troubles ; monde d’hommes au travail, rude, monde en noir et blanc, immuable.
Il y avait eu Tchernobyl, et les péniches passaient;
Il y avait eu le mur de Berlin et les péniches passaient
Surtout il y avait eu une nuit de mai place de la bastille…..
Grande vague d’espoir et de fraternité…..

Puis était venu le désenchantement, le repli individuel, la consommation de masse ;
On avait commencé à faire la guerre au tabac, ces gitanes qu’affectionnaient les mariniers qu’elle regardait travailler aux écluses…..
Alors, elle était partie, loin au sud ;
Avait abandonné le monde géométrique pour la rondeur…..
Elle habitait encore un immeuble de brique au bord de l’eau mais la brique était dorée l’après midi et rose au couchant ;
Allongée sur un banc, bercée par le clapotis du Tarn, elle se remémorait sa vie parisienne ;
Elle baignait dans le parfum subtil de la vigne en fleurs porté par la brise ;
Elle était pieds nus, un bras sur le visage, hors du temps ;
Le vent soulevait sa jupe en une caresse sensuelle ;

Au dessus d’elle une statue masculine, figée dans une draperie de pierre veillait ;
Elle semblait dire que le temps ne s’efface pas au soleil…..

Yveline janvier 2015

La forme d’une ville change plus vite hélas, que le cœur des humains

 

C’est ce qu’est devenue ma ville :

Une banlieue sans chlorophylle ;

 

Quand j’étais petite fille agile

j’allais dans les carrières, indocile

pour ramasser des fossiles ;

 

Notre pavillon, banlieue ouvrière,

une sente qui sentait le lierre

Dans les maisons, des voisins aventuriers

Il me semble que c’était hier…

 

Adolescente, avec les autres filles

En RER nous allions à Bastille

Paris nous écarquillait les pupilles

On méprisait le jardin et ses jonquilles.

 

Dire qu’on habitait cette ville

C’était avouer qu’on venait d’un exil

Campagne, cité et bidonville

On aimait le futile, ce qui rutile ;

 

J’ai grandi, quitté la ville dortoir

Elle a enflé comme une poire

Immobilier, coups de boutoir

et a connu son heure de gloire ;

Les champs divisés en parcelles

identiques, piscines et balancelles

au gré des rues impersonnelles

Je ne sais plus rien d’elle….

Comme une tentacule,

J’avance, elle recule,

Les habitants pullulent.

 

Il y a bien longtemps, j’ai quitté Montfermeil,

J’y ai gardé des souvenirs de soleil,

La maison de mes éveils,

Et des liens qui sont restés pareils.

 

Prés des Pyrénées, à Toulouse,

J’ai choisi mon coin de pelouse,

Mon projet, mon mode de vie,

Mon équilibre, je dis merci.

 

Yveline fevrier 2015

manège provocateur

Mesdames et messieurs ;
Voici le manège provocateur et ses baraques sensibles !
Venez visiter :
Les perruques totem armant des vareuses rêveuses,
De virils rodéos de banlieues transsexuelles,
L’envol paisible d’une oreille dominatrice,
Le minois mignon vide de picou briz,
L’anachronisme du kanak volant….
Mesdames et messieurs gare à votre équilibre au cours de cette cérémonie d’objets volants à la courbure excessive, graphique et concentrique vous permettant un envol digne du middle West américain !
Yveline, février 2015

 

deuil et photos

Voila, elle n’était plus là ;

Il avait fallu vider la maison, donner le lit en fer forgé que tous les étés elle installait sous le cerisier avec des coussins pour les somnolences post repas dominical ou pour les discussions enflammées….

J’avais retrouvé quelques photos de ces vacances que nous avons toujours passées en tribu dans sa grande maison ;

Nous étions là, autour de la table, enfants et adultes à les regarder, à échanger des souvenirs ;

C’est curieux comme les événements peuvent être vécus de façon différente, certains souvenirs sucrés pour certains, représentent de l’amertume pour les autres ; comment le passé peut resurgir avec toute l’intensité ressentie il y a bien des années….

Ce jour là il y avait une ambiance spéciale et chacun a pu confier aux autres des ressentis intimes, parfois douloureux…..

 

-Tu te rappelles, il y avait des phragmites au bout du lac, on jouait avec les cannes des bambous, à la bagarre, à faire des cabanes, à fabriquer des instruments de musique ?

Et maintenant le lac est asséché, il n’y a plus de phragmites…

-Et cette photo du renard : on était partis en ballade et tout d’un coup cette charogne au milieu de chemin ; je ne savais pas comment protéger les enfants de ça, que leur dire, j’étais mal…Eux, ils étaient là autour, pleins de curiosité ; l’un d’eux a dit « c’est comme ça d’être mort ? »Sans que cela ne les touche, pour eux c’était dans la logique des choses, les mystères qu’ils voulaient connaître.

-Je me rappelle les petits matins dans la brume, armés avec les cannes des phragmites et un couvercle de marmite on jouait à la guerre ; on guettait Guillaume, on hurlait, pour moi ça a le goût de la guerre des boutons, qu’est ce qu’on a pu s’amuser !

-tu parles !Moi j’étais terrorisé dés que vous arriviez en vacances, tu ne peux pas savoir ce que c’est d’être tout seul contre trois….je courrais a perdre haleine j’avais peur de la brume et des histoires qu’on racontait ici sur les marais, je me perdais en voulant vous échapper….

-Là, je dansais, un « pestacle » comme on disait, déguisée avec les plantes ; tout de suite après j’ai fait une énorme allergie, j’avais du jouer avec des chenilles processionnaires, cortisone, pas de soleil ni de bras nus tout l’été….

-je me rappelle, à ce moment là, on avait joué avec ces masques, on créait des personnages ; on se roulait parfois dans la vase ; j’avais piqué une cigarette pour aller avec mon personnage, et la cigarette, j’ai vraiment fumée…j’ai été ensuite très malade, vomissements et tout, depuis j’associe toujours la cigarette et l’odeur de la vase…

-Je me souviens de la fois ou je me suis griffée en ramassant les mures avec Mamie ; je ne sais pas ou j’avais entendu ça, mais je croyais que j’allais avoir le tétanos et mourir à cause de cette griffure que mamie n’avait pas pris le temps de désinfecter immédiatement….

-Je me rappelle de cette fois je faisais tranquillement un câlin à Hugo sur le transat à la plage, on entendait le murmure des vagues sur les graviers, on savourait la caresse du soleil, moment de bonheur absolu qui devrait durer, durer…  soudain quelque chose de gluant froid s’est abattu sur nous dans un froissement ; Hugo s’est mis a hurler, à se débattre, panique totale ; on a mis beaucoup de temps a comprendre que ce n’était qu’un cerf volant qui était tombé là, juste sur notre chaise longue ;

-D’ailleurs cet été là avait été particulièrement difficile pour moi car après le cerf volant j’ai perdu mon nounours ; c’était mon doudou, je me pouvais pas dormir sans lui ; je me souviens qu’on l’a cherché partout, qu’on m’a proposé d’autres nounours mais aucun n’avait le pouvoir apaisant de mon doudou ; l’été suivant, il a été retrouvé pendu a un arbre, plein de mousse verte, troué par les oiseaux qui avaient du construire leur nid avec le rembourrage ; les cousins s’en étaient probablement servi pour jouer au papa et à la maman, je leur en ai longtemps voulu ….

 

Elle se taisait depuis le début de tous ces récits ; une photo d’elle sortant de la douche, encore humide, qui faisait penser au bien être de se rincer à l’eau douce après l’eau salée de l’océan et les irritations du sable, a déclanché ce terrible aveu qui nous a tous sidérés :

»Je savais qu’il me guettait, le photographe voyeur ; il me caressait dés qu’il pouvait, il me tenait, m’obligeait à me taire avec son chantage, je le déteste ! »

 

 

Yveline,Mars 2015

apparence et réalité, après plus rien n’a été pareil

 

 

On ne sait plus depuis combien de temps il vit là ;

Toujours aimable, peu souriant, rend des services de temps en temps ;

Personne ne peut dire qu’il a eu avec ce monsieur une quelconque relation personnelle.

Il semble que ce soit pareil avec les autres personnes de son origine ; d’ailleurs on ne sait même pas s’il est algérien, marocain ou tunisien ; certains prétendent même qu’il serait asiatique ;

On le voit aller à la mosquée le vendredi mais pas de lien avec ses coreligionnaires ;

S’il se rend au marché d’Empalot, jamais on ne le voit demander les prix ou acheter quelque chose en langue arabe ; Le français semble être sa seule langue d’usage.

Certaines femmes le trouvent triste ;

Il fréquente assidûment la médiathèque, allant et venant, des cabas plein de livres ;

Le seul événement saillant dans cette vie monotone et monochrome est le 11/09/2001 ; l’explosion d’AZF a été violente, le quartier d’Empalot saccagé ;

Il courrait éperdu dans le chaos et la poussière, des mots incohérents sortaient de sa bouche ; il paraissait sourd, imperméable à tout échange, comme un enfant traumatisé ;

Quand les plaies de la ville ont été cicatrisées il a repris son train -train tranquille, lisse, sans émotion apparente.

 

« J’ai grandi au bled, je gardais les moutons, je n’avais pas de quoi manger, je veillais sur ma famille, seul homme à 7 ans ; mon père, mes frères étaient fellagas » ;

Ça c’est la version que je donne à ce photographe, ce que mes employeurs, collègues ont toujours voulu croire, trop contents que je corresponde à l’image qu’on attend du vieil émigré magrébin ;

S’ils savaient !

 

Dans l’Algérie française j’étais heureux, je ne manquais de rien, je vivais une vie insouciante ;

Mes parents travaillaient pour une famille française, nous vivions dans une belle villa blanche en haut d’Alger ;

Les patrons de mes parents n’avaient pas d’enfant, ma gaîté, ma répartie les amusaient et petit à petit j’ai vécu à leur façon, oubliant presque ma langue maternelle, son accent chantant et les berceuses de ma tendre enfance….

J’avais des doigts longs, agiles, ils me faisaient jouer du piano, je portais parfois des costumes avec chemisette blanche et j’étais condescendant avec les enfants en djellaba, sales et ébouriffés ;

Puis l’ambiance a changé, il y a eu des bombes, des conciliabules, des réunions secrètes ; bientôt les autres arabes ont quitté ce quartier d’Alger ;

Et il y a eu ce jour ou un militaire gradé est venu à la villa, a demandé à me parler ; il m’a confié une mission, m’a parlé d’honneur et de patrie ; j’étais fier d’avoir été choisi ;

J’ai du me déguiser….j’ai appelé ça un déguisement à l’époque !

J’ai revêtu la djellaba, j’ai noirci mes mains, mon visage, je me suis souvenu des mots d’arabe et je suis parti…..

Je suis parti avec un paquet bien ficelé que j’ai porté à la casbah dans une pièce sombre pleine d’hommes, des conspirateurs m’avait on dit…

J’ai posé le paquet et j’ai couru dans l’immense déflagration, j’ai couru dans la poussière, sous les gravats ;

Quand je suis arrivé à la maison j’ai compris qu’on ne s’attendait pas à ce que je revienne vivant ;

Ceux qui soit disant m’aimaient refusèrent de me laisser entrer, le militaire a même parlé de m’éliminer.

Tout mon monde de s’est écroulé ; je suis descendu vers le port ; j’ai vécu de petits boulots, dormi dehors…

Je suis parti travailler en France, les ateliers Renault à Boulogne recrutaient.

 

Là j’ai lu, j’ai rencontré des compatriotes et petit à petit, j’ai compris…

J’ai compris qu’il y avait eu une guerre qui ne voulait pas dire son nom ;

J’ai compris qu’avant les français, il y avait eu un pays, une culture ;

J’ai entendu parler du gros attentat d’Alger qui avait tué plusieurs dirigeants du FLN…..

Colère d’avoir été manipulé, utilisé…..

Culpabilité d’avoir été traître à mon pays, à ma famille…..

 

Je n’ai jamais pu parler de cette histoire.

Etranger dans les deux pays.

Je n’ai jamais vécu depuis.

Je ne me suis pas marié, pas de famille.

Il aurait fallu contrôler mes cauchemars, sortir de ma coquille.

J’ai survécu en essayant de passer inaperçu : poli, propre, correct avec les français, évasif, discret avec les algériens.

J’ai quitté Paris pour ce studio HLM à Toulouse ou personne ne pouvait me connaître.

Maintenant, à l’age de la retraite je ne peux pas retourner là bas, je n’ai pas d’attaches ici.

Déraciné, solitaire, avec les livres, avec ce poids sur mes épaules.

J’ai oublié le piano.

 

Yveline,1er décembre 2014

 

ce que la photo a à dire

Sans trop savoir pourquoi, j’avais choisi cette photo : noir et blanc, étendue plate et vide….

Je ressentais un certain sentiment de familiarité devant ce non-paysage.

Il me fallait mettre un nom sur ce coin du monde, le situer ;

Peut être cela évoquait il les marées basses à Brignogan : goût de sel, doigts pleins de vase, à la pêche aux palourdes…

Petit à petit, sur le mur du salon, j’avais eu l’impression que l’image se précisait : Je devinais des reliefs à l’horizon, bien improbables dans le Finistère !

Je pensais alors au Tassili du Hoggar ou de temps à autre, on voit flotter à l’horizon des dunes comme des falaises inaccessibles….

Une fois, je restais devant l’image ; ma vue semblait se brouiller puis apparaissait une ligne de chemin de fer ; un chemin de fer bien réel, avec poteaux électriques, rails et cahutes d’entretien.

J’étais de plus en plus intriguée, maintenant je ne pouvais plus faire d’hypothèses sur la situation géographique de cette photo…La familiarité de l’estran ou du désert n’étaient plus là pour me rassurer ; j’étais gênée, je cherchais du sens.

Un soir, alors que je somnolais au coin du feu quelque chose m’attira de nouveau vers la photographie : maintenant, je voyais 2 pneus posés au sol, juste devant les rails !

Il n’y avait plus eu de mouvement sur l’image depuis des mois, et maintenant ce détail !

J’avais l’impression d’être un photographe devant le bac du révélateur, une image se précisant en quelques instants, sauf que par distorsion du temps, ces instants devenaient des mois….

La photo évoluait, toujours aucun nom à mettre sur ce paysage, mais elle exerçait sur moi une étrange fascination ;

Avec résignation, je la vis poursuivre sa vie autonome : les 2 pneus fixés sur des jantes, puis bien sur 4 roues apparurent ;

Ensuite, ce fut un vieux 4X4.

 

Et soudain je sus que j’avais été dans ce véhicule, j’avais été dans ce paysage ;

Debout devant la photo j’étais maintenant oppressée, j’avais des éblouissements liés à une lumière aveuglante, mon cœur s’accélérait….

Je savais qu’il y avait du monde autour de moi mais l’image ne voulait pas me les montrer, elle n’était que paysage et objets.

Je transpirais et soudain un flot de « palabras » sortirent de ma bouche, une immense douleur, un arrachement me broyait toute entière…..

 

Et dans un éblouissement, je sus :J’étais ce tout petit enfant que sa mère pour le sauver en ce jour de coup d’état à Santiago du chili, le 11 septembre 73, avait confié à des astrophysiciens qui partaient pour le désert de l’Atacama…..

Petit enfant déchiré, ballotté au gré de l’histoire, j’avais fait le black out sur ces sentiments trop violents, ces souvenirs incompréhensibles ; cela m’avait évité la culpabilité par rapport à ceux qui étaient restés la bas, cela m’avait protégée de la violence de l’abandon et je m’étais coulée dans l’histoire bretonne de mes parents adoptifs, amoureux des étoiles et du désert chilien de l’Atacama, ou ils n’étaient plus retournés.

 

 

Yveline, février 2015