ce que la photo a à dire

Sans trop savoir pourquoi, j’avais choisi cette photo : noir et blanc, étendue plate et vide….

Je ressentais un certain sentiment de familiarité devant ce non-paysage.

Il me fallait mettre un nom sur ce coin du monde, le situer ;

Peut être cela évoquait il les marées basses à Brignogan : goût de sel, doigts pleins de vase, à la pêche aux palourdes…

Petit à petit, sur le mur du salon, j’avais eu l’impression que l’image se précisait : Je devinais des reliefs à l’horizon, bien improbables dans le Finistère !

Je pensais alors au Tassili du Hoggar ou de temps à autre, on voit flotter à l’horizon des dunes comme des falaises inaccessibles….

Une fois, je restais devant l’image ; ma vue semblait se brouiller puis apparaissait une ligne de chemin de fer ; un chemin de fer bien réel, avec poteaux électriques, rails et cahutes d’entretien.

J’étais de plus en plus intriguée, maintenant je ne pouvais plus faire d’hypothèses sur la situation géographique de cette photo…La familiarité de l’estran ou du désert n’étaient plus là pour me rassurer ; j’étais gênée, je cherchais du sens.

Un soir, alors que je somnolais au coin du feu quelque chose m’attira de nouveau vers la photographie : maintenant, je voyais 2 pneus posés au sol, juste devant les rails !

Il n’y avait plus eu de mouvement sur l’image depuis des mois, et maintenant ce détail !

J’avais l’impression d’être un photographe devant le bac du révélateur, une image se précisant en quelques instants, sauf que par distorsion du temps, ces instants devenaient des mois….

La photo évoluait, toujours aucun nom à mettre sur ce paysage, mais elle exerçait sur moi une étrange fascination ;

Avec résignation, je la vis poursuivre sa vie autonome : les 2 pneus fixés sur des jantes, puis bien sur 4 roues apparurent ;

Ensuite, ce fut un vieux 4X4.

 

Et soudain je sus que j’avais été dans ce véhicule, j’avais été dans ce paysage ;

Debout devant la photo j’étais maintenant oppressée, j’avais des éblouissements liés à une lumière aveuglante, mon cœur s’accélérait….

Je savais qu’il y avait du monde autour de moi mais l’image ne voulait pas me les montrer, elle n’était que paysage et objets.

Je transpirais et soudain un flot de « palabras » sortirent de ma bouche, une immense douleur, un arrachement me broyait toute entière…..

 

Et dans un éblouissement, je sus :J’étais ce tout petit enfant que sa mère pour le sauver en ce jour de coup d’état à Santiago du chili, le 11 septembre 73, avait confié à des astrophysiciens qui partaient pour le désert de l’Atacama…..

Petit enfant déchiré, ballotté au gré de l’histoire, j’avais fait le black out sur ces sentiments trop violents, ces souvenirs incompréhensibles ; cela m’avait évité la culpabilité par rapport à ceux qui étaient restés la bas, cela m’avait protégée de la violence de l’abandon et je m’étais coulée dans l’histoire bretonne de mes parents adoptifs, amoureux des étoiles et du désert chilien de l’Atacama, ou ils n’étaient plus retournés.

 

 

Yveline, février 2015

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