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La montagne

La montagne
(d’après l’exposition Paola De Pietri à la galerie du château d’eau/ mai 2016 )

 

Je n’aime ni le froid, ni la montagne.

Je n’ai toujours pas compris pourquoi je l’ai abandonnée dans cette chambre de l’hôtel de la Poste à Grenoble.

Je l’ai laissée là, endormie et nue.

Depuis ces deux jours que je marche vers les hauteurs, je ne vois que sa nudité, je ne pense qu’à sa nudité.

La neige n’a pas complètement disparu dans ce printemps tardif, ne découvrant qu’une nature aride, blafarde.

Tout à l’identique de moi qui me sens comme un soldat au combat, à la chasse aux souvenirs.

L’heureux hasard, cette montagne que je gravis, n’a pas de versant à pic, presque une montagne à vache.

Les roches par endroit laissent entrevoir des ouvertures obscures.

Il m’arrive de m’y reposer auprès de l’une d’entre-elles et je me revois la tête posée sur son sexe.

Pourquoi avoir fui vers la montagne ?

Prendre de la hauteur, idée simpliste sans doute, mais je ne veux pas de cet isolement, de ce silence interrompu que de cris de rapaces.

Face à moi des blocs de rochers, déstabilisés, éparpillés, fendus de toutes parts.

Spectacle chaotique, images de destruction

– ce que je vis c’est cela, une destruction, un chamboulement non contrôlé.

Je quitte ma position assise pour reprendre la marche.,

L’horizon est bouché, les nuages forment un rideau de brouillard.

Je suis réellement seul, aucun randonneur, ni de berger en repérage de pacages.

Comment ai-je pu par mon départ déclencher un tel séisme,
une guerre atomique ?

Est-ce que je pensais vraiment vouloir vivre seul en la quittant, deux nuits déjà passées à la belle étoile, et un repos très fragmentaire de quelques heures.

L’aube me griffe comme ces entailles des pierres.

Son fantôme me hante, m’assaille, me défigure, elle se venge de moi avec une férocité guerrière.

Jamais je n’aurais pu, un seul moment penser à l’hostilité que peut offrir la nature.

Je ne veux pas, je ne veux pas redescendre,

je cherche à aller plus haut, mes forces faiblissent, j’ai soif, j’ai faim.

Je me sens zombie, j’ai perdu ma qualité d’être humain, je mâchonne des herbes que j’arrache du sol, une nouvelle nuit va venir, et si je ne croise personne, je vais mourir dans une de ces grottes vides, même pas un terrier à lapin.

Quel Dieu a pu imaginer un décor pareil ?

Je voudrais m’arracher la tête des épaules et la balancer contre les rochers,

Provoquer un éboulis pour m’enfouir sous ces cailloux projetés jusqu’au pied de son lit.

Où est-elle, que fait-elle ?

Mais pourquoi ne pas avoir fait marche arrière pour la retrouver.

Cette dernière nuit avec-elle, nos ébats si fougueusement amoureux ?

Je prends conscience de ce qu’est d’être chaotique comme cet environnement.

Je suis sans le savoir, trop soupe au lait, d’humeur toujours changeante pour un oui, pour un non, infidèle et jaloux.

Comment pouvait-elle m’aimer.

Comment aimer cet amas de minéraux irrationnel ?

Je dois m’enfuir, m’enfoncer au creux de la terre, choisir la plus petite béance pour la pénétrer et ne jamais revenir, le « retour in utero ».

Ne plus rien maîtriser, plus d’action, dormir jusqu’à mon dernier souffle.

Philippe Courtemanche

Si on pouvait écouter la bande sonore de cette image de Tod Papageorge, prise au Central Park de New-York, cela aurait pu être la chanson de Léonard Cohen « Suzanne », diffusée par le haut- parleur d’un petit transistor.
La voix grave et suave du chanteur enfouie dans un léger grésillement de l’écoute de cette radio à piles.
C’était sans doute l’été, en mi-journée, le soleil au zénith, et rares les bruits d’oiseaux pour contrarier le son du transistor mis à faible volume.
Une ouïe fine et attentive aurait pu percevoir seulement en plus de la musique, le frôlement du pantalon en cuir de la belle jeune femme effectuant des ciseaux avec ses cuisses et les demi retournements de son corps allongé sur ce rocher et entremêlé avec ceux de ses copines et de leur copain garçon elles et lui en tenue de bain.
Parfois aussi le clic-clac du décapsulage d’une canette de bière en métal ou le crissement du sachet plastique de chips que picoraient avec un léger craquement, chacun à leur tour les jeunes gens visiblement en pause détente.
Autour d’eux aucune force de vent de ce jour d’août pour agiter les herbes folles et disputer le murmure des lents clapotis de l’eau calme du lac.
De ce petit groupe comme enlacé les uns avec les autres, s’échappaient des mini gloussements féminins ou des rires étouffés du garçon.
Les peaux de leur corps à moitié dénudés s’effleuraient dans un frôlement à bruit feutré dans les déplacements au ralenti de leurs bras et torses, quand ils essayaient de faire un peu d’ombre avec leurs mains.
Au loin des plouf de baigneurs, mais ces post-adolescents n’étaient venus là que pour se reposer, pas de jeu de corps à corps érotisé dans leur gestuelle lente, leurs os grinçaient sur ces roches dures et brulantes et seul le linge des serviettes de coton qui les protégeai de cet inconfort laissait passer un faux bruit.

Philippe Courtemanche

se perdre…

Pourquoi vouloir se perdre ?
On essaie de se protéger,
Mais l’homme reste nu.
La verticalité demeure un danger.
Seul l’oubli, la somnolence perdurent.
Mémoire fœtale, mémoire du petit homme,
Broussaille origine du monde,
Goutte de pleurs du lait maternel.
S’endormir au sein de la forêt protectrice.
Cacher vos blessures.
A l’orage du temps, aux vagues des tempêtes,
Même affaibli, craindre la verticalité.
Pas de soumission au soleil.
Quittez la gangue de l’enfance,
Laissez l’oiseau en vous se déployer.
Le sexe, l’amour, votre chemin de croix
Sans espace libre, dégagé.
La nudité vous révèle.
Vous chercherez à vous perdre à nouveau
Serein, dans cette nature aux couleurs fanées.
La rose emblématique du renouveau,
L’amour libre…
Ne plus se reconnaître
Dans un flou noir d’aiguilles sombres,
Mémoire de vos racines sauvages,
Explosion du souvenir de votre jeunesse,
Douceur, tendresse, harmonie et
Le doux écho du bruissement des arbres.
Vous êtes belle, vos yeux étincellent.
Toute la nature frémit et renaît.
Vos corps s’enlacent
Pour se perdre dans la luxuriance.
L’homme se mêle à la terre
Tout cela, pour crier au monde :
« Je ne suis qu’un corps »

En binôme, Anne Tournadre – Philippe Courtemanche
Texte écrit sur l’exposition au Château d’eau : » Shane Lavalette et Nolwenn Brod ». (Mars 2017)

NUIT

(c) Marie Carré

(c) Marie Carré

Vers qui ce regard perçant l’obscurité, cherchant le moindre reflet de ce monde glauque ? Visage interdit, déshabillé de tous ses masques, se dévoilant pourtant, à peine comme une statue figée. Découpage d’une mosaïque de vie enfouie.

Sa vie dans une lueur intime, ses yeux plombés au sol mouillé, cachés sous de larges sourcils bruns. Elle laisse là, une trace non déterminée, fissurée de blessures infligées par des hommes de rencontre. Protégée, penses-t-elle d’un imaginaire rideau de fer comme celle d’une boutique fermée du Rialto.

Cela faisait bien longtemps que dans sa tête, elle n’avait pu s’engager dans la profondeur de ce vieil escalier de la maison du quartier de son enfance ? Violence, bagarre, marionnette de ces heurts, commencés déjà avec son père.

Aucun confessionnal, aucun thérapeute n’avait su calmer sa douleur, ni ces flèches pénétrant son corps. Elle se sentait comme un bas-relief mais encore vivante !

Elle aurait voulu se grandir, atteindre la démesure, gonfler son visage pour affronter toutes ces verticalités qui l’avaient offensée.

Doit-elle se justifier, elle que ces hommes regardent toujours et encore au détour de leur ballade nocturne de canaux en canaux de ponts en ponts. Rien, elle n’est que l’image imaginée par un metteur en scène italien pour son dernier film «  le viol ».

 

Philippe/ Atelier Bonnefoy 2015

ÉCHEC ET MAT

 

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7H30, comme chaque matin, James se lève. À l’aide de sa béquille, il se rend à la salle de bain, rasage de près, assis sur son tabouret orthopédique, douche, séchage et un joli coup de peigne avant d’enfiler sa prothèse de jambe en bois.

Il allume la radio : « guerre en Irak… », brutalement il éteint la radio, cet ancien capitaine chez les « biffins »  en a marre de ces informations en boucle, sur les conflits armés. Il préfère savourer en silence, les petites brioches du matin accompagnées d’un grand bol de café au lait. C’est Jeudi, jour de rencontre avec ses potes, les anciens du quartier au café de la Trinquette. Malgré son handicap, il doit malheureusement se hâter. Il noue avec précision une cravate claire assortie à  la couleur de ses yeux, avant d’enfiler sa veste de costume et de sortir de sa maison.Il fait beau, peut-être une journée sans nuage ?

Rarement à « La Trinquette » on trouve des femmes de si bonne heure le matin, aussi dès la double porte poussée qu’elle ne fut pas sa surprise d’apercevoir Justine installée à une table, une ancienne maîtresse qui ces derniers temps ne cessait pas de le harceler de mails et de Sms, elle désirait absolument le revoir. La tête haute, très digne il la salue d’un sourire discret et s’échappe sur sa droite à la table de jeu où est déjà installé son jovial et gros ami Léopold. Il semble lui susurrer des confidences à l’oreille, Léopold extirpe ses 100 kilos au-dessus de la table et d’un regard dur vers James part s’accouder au bar, comme sur les cordes d’un ring, le laissant seul face à l’échiquier vide.

Pensif, la tête penchée sur la table, James lentement installe les pièces sur les carreaux bicolores, d’abord les noires, celles de son adversaire, et il pense fortement à la petite brune qui l’attend à côté, puis celles de couleur claire, celles qu’il choisit toujours aux échecs. Le jeu en place, curieusement il tâtonne la dame brune, l’adversaire, il réfléchit à la tactique pour l’affronter. Cela ne lui ressemble pas, lui d’habitude si direct, un pressentiment d’une bataille difficile, d’un combat dont il aura du mal à s’en sortir vainqueur.

Demi-tour sur les talons parfaitement effectué, il se dirige vers elle et s’assoit à sa table.

Sans un mot, il lui prend les mains et les enveloppe des siennes, depuis son plus jeune âge, le contact des mains avec la gent féminine le rassure et lui permet de manière mutique de lui exprimer son attachement. Justine le connaissant que trop bien lui dit à voix basse, de façon à être inaudible des autres clients du café :

  • – James, James… Tu ne vas pas t’en tirer comme cela. Tu sais que je t’aime, alors écoutes moi…

James ne réagit pas, pas un mot, seule une caresse furtive sur le bras de son amoureuse.

  • – Je veux me marier avec toi, tu le sais,: « Je t’ai tell’ment dans la peau, qu’j’en d’viens marteau », comme le chante si bien Piaf. James tu es mon homme, ta femme décédée, tu ne peux plus me refuser.

Furtivement, il laisse glisser ses deux mains de son étreinte et les pose à sa cuisse meurtrie comme pour soulager une douleur.

  • – Ne crains rien, je serai ton infirmière jusqu’à ton dernier souffle, j’aime trop faire l’amour avec toi, tu es mon homme foudroyé, et je le sais, comme tu as su déjà me le prouvé, tu es à la hauteur d’un Blaise Cendras ou d’un Joë Bousquet, ces hommes connus qui comme toi avaient su être des amants entiers avec leur handicap.

Ces derniers mots semblent lui transpercer son cœur, lui si pudique, il ne sait plus comment réagir, un mot lui vient à la bouche, il voudrait lui hurler : « garce », mais il reste abasourdi, très vite il se dit qu’elle n’a rien compris, certes il a été avec elle un excellent amant, mais il n’y a pas que cela dans la vie. Il se sent humilié que son moignon soit l’enjeu des rapports amoureux qu’il a entretenus avec elle ce n’est surtout pas là qu’il place sa singularité. Il se redresse brutalement, tend le bras fait semblant de la gifler et se dirige vers la porte des toilettes en s’adressant à Léopold.

  • – Alors on se la fait cette partie.

Seul face à la glace, la canne posée sur le rebord de l’évier du lavabo, James s’essuie les yeux, l’âme triste, il déteste voir son visage aussi rigide, mais comme dit la chanson, les larmes ne n’y pourront rien changer, il est trop fier ou indépendant. Sa vie entière faite de docilité a toujours oscillé de manière contradictoire entre sa volonté de faire ce qu’il voulait et d’être un bon « petit soldat ».Lui seul à accepter d’aller combattre en Indochine, lui seul a choisi une seule épouse pour sa vie. Seul il sort des toilettes, en boitant à peine, la tête haute, un regard furtif vers la table où était installée Justine il ne reste qu’une tasse à café à moitié vide.

 

Philippe

Atelier Bonnefoy 2014

Exercice d’atelier avec abécédaires…

Exercice d’atelier à partir de deux abécédaires personnels, l’un par rapport à l’atelier d’écriture, l’autre avec les mots que l’on aime…

A  amusement – amour / B bonheur – bol / C captation – cacatoès / D décrire – doux / E émerveillement – ellipse / F fête – fête / G gamin – gourmandise / H hachette- héler / I inventivité – irréel / J jouissance – juste / K koala – kaléidoscope / L lecture – lumière / M mélodie – moi / N nuances – nota bene / O opinion – oubli / P participation – passeport / Q questionnement – quoi / R richesse – road movie / S suave – sensuel / T tentation – toi / U utopie – ubiquité / V vie – villégiature / W wonderful – wapiti / X xxl – xérès / Y youpi – yeux / Z zut – zen /

Et voilà le texte :

Ce suave questionnement XXL, moi toi. Passeport utopique, sensuel, sans ubiquité pour villégiature douce. Yeux bonheur, cacatoès amusement, irréelle lumière d’un kaléidoscope de tentations, jouissance gourmande, émerveillée zen. Une vie riche, hachée de nuances, de mélodies. Captation inventive, juste. Héler les opinions, participer aux fêtes gamines. Youpi . Lecture elliptique, wonderful, décrire un road movie.

Zut, nota bene. Oublié quoi ? Ton bol de xérès, mon koala! mon wapiti ! mon amour!

 

Atelier Bonnefoy/Mai 2015

Philippe

MUR MURS – Extraits de la collection de Brigit Bosch et Patrick Meunier Centre d’art Le LAIT Albi

Il a vécu en Normandie, mais il n’est pas né en Normandie. Ces potes aimaient le taquiner sur sa bouille ronde, sa démarche très droite, quasiment raide, sa chevelure « Viking », en fait un vrai anglo-normand.

Le jour de ses cinquante ans, parmi ses nombreux cadeaux, celui qui fût son préféré, une boîte de Camembert en bois de peuplier !

Très vite il comprit la référence aux nombreuses boutades de ses amis sur son côté Normand en lui offrant l’emballage d’un produit nutritif qui a fait la renommée de la Normandie. Mais son émotion fut au comble quand il détailla la décoration peinte sur le couvercle. Une scène d’Afrique de l’Ouest, au loin en arrière plan une médina, puis au premier plan, deux femmes, l’une voilée, l’autre pas, comme installées devant un étal de tissus avec une grosse marmite où l’on prépare le tajine.

La vue, les odeurs, les couleurs, tout son univers, tout ce qui l’avait construit pendant ses années passées dans le Sud Marocain avec sa première épouse.

Quelques jours plus tard, après cette fête anniversaire, il avait extrait de ses malles d’expéditions africaines, l’ancien carnet intime de son épouse berbère aujourd’hui décédée. Une grande femme élancée à la chevelure crépue, aux lèvres épaisses et au torse menu, curieusement pour une femme du Maghreb.

Ce carnet intime recouvert d’une fine feuille de métal, peinte par elle-même dans des nuances noires et grises, comme de longs branchages verticaux et au centre une feuille en forme de bouche, rouge écarlate, la reproduction de ses propres lèvres.

C’était d’ailleurs le seul objet qu’il avait conservé après son décès du à une maladie foudroyante.

Aujourd’hui il se décide de l’exposer à côté de ce couvercle de fromage. Deux enveloppes bien différentes, l’une de matière périssable, l’autre de paroles immortelles.

En posant ce livre intime de Noémie, il ne feuilleta pas les nombreuses pages du récit de sa vie, ce qu’il avait fait de maintes et maintes fois après sa disparition. Heureux de pouvoir rester là en contemplation sur la jaquette de cahier et le couvercle au logo de « la vache qui rit » 50% de matière grasse !

Tout cela paru si normal, ce cadeau d’anniversaire, cette nouvelle recherche vers ce cahier intime objet de sa bien-aimée disparue.

Et du coup, maintenant il prenait plaisir à faire les brocantes en quête d’objets.

Ses pas le conduisirent un jour, vers Lille, sa ville de naissance, à la fameuse grande braderie de Septembre.

Peu de choses à acheter, sauf un coup de cœur pour une lithographie, sous la forme d’une affiche, œuvre d’un artiste contemporain. Elle représentait divers articles de la presse locale comme cachés, minutieusement grillagés de rectangles en petites touches de taches d’encre de chine diluée, ne laissant que de petites cases où seuls quelques mots restaient lisibles comme 49000 dollars, 2 600 000 chômeurs, studio à louer, Lille, étudiant.

Rentré chez lui il décida que cette acquisition accompagnerait ces deux autres pièces déjà exposées.

Lui l’homme qui avait su en tant qu’étudiant choisir la discipline de l’anthropologie et avait eu la chance d’aller à la découverte du monde et particulièrement de l’Afrique septentrionale lui qui a cherché à aller toujours au-delà des murs, des barrières, voir derrières tous ces masques, burqas, tchador, et autre hijab. Il a toujours souhaité connaître plus intensément les humains qu’il croisait, au cours de ses voyages, au-delà de sa fonction, il voulait connaître leur vie leur sentiment et surtout celui des femmes, dont Noémie qui elle, n’a jamais voulu se voiler pour sa religion, mais aimer son homme en toute tranquillité et si fortement.

Bien plus tard encore dans un déballage de son quartier d’une bourgade normande où il habitait, quelle ne fut pas sa stupeur de découvrir suspendu à un fil, un gros cube en bois, avec sur l’une des faces, au centre une peinture naïve, réaliste en perspective d’un écran de réveil matin numérique où était indiqué le

jour et le mois du décès de Noémie. Paul aurait donné une fortune au gamin qui vendait cet objet conceptuel, dont il ignorait sûrement la valeur et qu’il céda, ravi pour 5.

Pierre se précipita chez lui accrocher ce mobile près de sa collection.

Les années qui suivirent, il essaya vainement de prolonger cette collection. Tout ce qu’il trouvait comme objet enveloppé, enfermé, bouclé, cloitré, coffré, mis sous clef ou claquemuré aurait pu le séduire.

Mais quel objet pourrait l’unir à nouveau au souvenir des caresses de son épouse.

Mais quel objet l’abreuverait comme l’eau si douce de ces baisers.

Mais quel objet lui ferait penser aux paroles suaves et aux chants d’amour glissant de la bouche de son aimée.

Alors il se mit en quête d’acheter toutes les cassettes vidéo « vhs » qu’il trouvait sur les souks au cours de ses nouveaux périples au Maroc.

L’espoir impossible de trouver sur l’une de ses tournages de leur vie commune, puis abandonné à leur dramatique séparation, l’espoir que sur l’une de ses cassettes mal réutilisées à la recopie frauduleuse d’un film, sur la bande magnétique un peu de l’image et du son de Noémie seraient encore inscrits.

Et si miraculeusement cela arriverait, il installerait un auditorium pour passer en boucle sur grand écran, au milieu de sa collection, ce film témoin de leur amour.

 

 

Atelier d’écriture YAKSA

Philippe

I-mage

Expo Vanessa Winship Château d'eau TLSE

Expo Vanessa Winship

 

 

Joies et turpitudes des nouvelles technologies. Eliminés de nos bibliothèques ces vieux albums photos que nous organisions avec tant d’amour.

Sur l’ordinateur, un clic et vous revoyez toutes vos images bien rangées en thèmes, années ou divers pour marquer les étapes de votre vie.

USA 2010, j’avais déjà cinquante balais et ce fut l’un de mes voyages le moins exaltant que j’ai eu à faire dans l’Amérique profonde.

En photographie, ce que je déteste le plus souvent, ce sont ces clichés vides où il ne se passe rien. Pourquoi avoir filmé ce lieu comme un décor en construction, dévasté dont on ne sait de quelle intempérie météorologique, large croissement dans une zone semi industrielle sordide. Et pourquoi l’avoir imprimée en A4 pour l’afficher sur le mur de mon bureau.

Chaque fois que je m’installais dans cette pièce pour y écrire, mon regard invariablement se dirigeait d’abord sur cette image, elle décrivait au loin comme une gare de péage et éparpillées des grosses bagnoles abandonnées.

La regarder me renvoyer le plus souvent à recevoir un grand coup de pied aux fesses, et une voix intérieure me disait avec la plus ferme intention : «  attention bonhomme ne te laisse pas prendre par la névrose du moche et du tout fout le camp. » Ce qui m’intriguait d’abord c’était ce faux terre-plein aménagé au centre de la route avec des palmiers rabougris et ce panneau indiquant la 17éme avenue.

Un matin je fus surpris de découvrir un cheval juché sur un pylône style pylône de transport électrique de haute tension. Et cette fois c’est ma tension qui fit un bon. Cette grue métallique épousait la forme du luminaire d’éclairage public, installé à côté d’elle, une forme d’arc, et je distinguais pleinement cet équidé, surement une jument. Mais que pouvait bien faire cette statuette de canasson de course en équilibre à plus de 20 mètres au-dessus du vide. Les nuits suivantes, je me levais pour aller observer la descente inexorable de cette structure métallique perdue comme dans un paddock d’entraînement de concours de saut d’obstacles, et les nuits suivantes, ma tête se mettait à chauffer comme à la suite d’ingurgitation de plusieurs verres de vieux Torres.

Un soir, le jour de la sainte Pauline, ma tête a explosé, patatras la grue s’écroule, en un enchevêtrement de tôles, le cheval, la sculpture de la jument à terre les quatre fers en l’air. Il y avait bien longtemps que j’avais abandonné le monde des courses et des compétitions. Et là, une fois encore j’allais blesser mortellement ma jument, comme le jour où je l’avais obligée, ma jolie et jeune pouliche Pauline à franchir un haut obstacle vertical de trois rangées de barres. Enfouie sous cet amas de bois qu’elle venait d’avoir brisé, morte de crise cardiaque, comment un si jeune animal pouvait-il mourir de la sorte ? Moi, jeune cavalier trop arrogant et pas assez expérimenté, je fus peu digne, mon cœur brisé ne suffisait pas à effacer la douleur et j’ai dû renoncer à ce sport.

De rage j’arrache cette photo, quitter cette pièce et d’un clic effacer toutes ces photos d’Amérique, pour retrouver enfin un apaisant sommeil.

 

PLAIRE

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CAMILLE LAURENS

À la manière de…

 

Plaire.

À Dieu ne plaise, le verbe Plaire n’est pas sexy, ni séduisant. Comme son origine Latine « Placere ». Avec ce « P » si peu envoûtant, voire déplaisant. Comparé à sa traduction hispanique « Gustar » verbe lui tout en sensualité, érotisme avec ce « G » guttural, profond comme une gorge.

Georges Bernanos dans son œuvre « Sous le soleil de Satan » citait : « On ne plaît qu’aux sots qu’on rassure ». Et sans se complaire dans les citations, sans en abuser citons Alfred de Musset osant dire : « qu’il est aisé de plaire à qui veut plaire ».

Mais ce procès du verbe Plaire, de ne pas satisfaire l’ouie, ne serait pas équitable si on se défaussait de ne pas faire appel à tous ses si doux synonymes les plus partagés comme : capturer, attirer,    intéresser, flatter, ravir, réjouir, contenter, charmer, séduire aux plus intimes comme :

Se délecter, jouir, goûter, savourer, se régaler,   subjuguer, aimer.

Aussi sachons faire une pause dans ce désamour du verbe Plaire et prendre le temps d’écouter une maxime de 1780 d’une inconnue (Marie Du Deffand) citant : « On plaît souvent en parlant peu, on plaît rarement en parlant trop. »

Il est donc pour moi le temps de me taire et de vous laisser méditer sur cet aphorisme de Francis Picabia : « Il n’y a rien qui puisse plaire toute la vie, excepté la vie. »

Philippe/Bonnefoy/ Janv 2015

Le Piano

Ouverture d’un piano usagé.

Une femme s’y extrait comme un chat.

Visage en pleine clarté, mélodie en noir et blanc.

Doigt bagué sur une note pincée du clavier.

Perdue dans cette végétation fantastique.

Paupières fermées, serrure ouverte sur un halo de lumière.

Un animal, regard félin, semble l’attendre.

Les bouts des doigts effleurent les touches.

Le chat, griffes rentrées, se tait.

Il tient la pose, prêt à dévorer sa proie.

Exposition château d'eau

Exposition château d’eau

Elle n’écoute que les battements de son cœur brisé.

Prisonnières, ses mains restent coincées sous le couvercle de ce vieux piano, patiné par les âges.

Comment trouver le passage, où elle pourra s’abandonner à nouveau au rythme du mouvement de ses doigts.

 

Jouer sans contrainte, jaillir comme dépaquetée de ces arbustes enveloppants.

Faire la peau à ce chat.

Reprendre librement les touches noires et blanches.

Écouter l’aubade, pour notre plus grand plaisir.

 

Rouvrir ce couvercle usé. Se faufiler, comme un chat agile et glisser ses doigts pattes de velours sur ce clavier.

Enfin, écouter flotter ses notes affectueuses.

Philippe C.