MUR MURS – Extraits de la collection de Brigit Bosch et Patrick Meunier Centre d’art Le LAIT Albi

Il a vécu en Normandie, mais il n’est pas né en Normandie. Ces potes aimaient le taquiner sur sa bouille ronde, sa démarche très droite, quasiment raide, sa chevelure « Viking », en fait un vrai anglo-normand.

Le jour de ses cinquante ans, parmi ses nombreux cadeaux, celui qui fût son préféré, une boîte de Camembert en bois de peuplier !

Très vite il comprit la référence aux nombreuses boutades de ses amis sur son côté Normand en lui offrant l’emballage d’un produit nutritif qui a fait la renommée de la Normandie. Mais son émotion fut au comble quand il détailla la décoration peinte sur le couvercle. Une scène d’Afrique de l’Ouest, au loin en arrière plan une médina, puis au premier plan, deux femmes, l’une voilée, l’autre pas, comme installées devant un étal de tissus avec une grosse marmite où l’on prépare le tajine.

La vue, les odeurs, les couleurs, tout son univers, tout ce qui l’avait construit pendant ses années passées dans le Sud Marocain avec sa première épouse.

Quelques jours plus tard, après cette fête anniversaire, il avait extrait de ses malles d’expéditions africaines, l’ancien carnet intime de son épouse berbère aujourd’hui décédée. Une grande femme élancée à la chevelure crépue, aux lèvres épaisses et au torse menu, curieusement pour une femme du Maghreb.

Ce carnet intime recouvert d’une fine feuille de métal, peinte par elle-même dans des nuances noires et grises, comme de longs branchages verticaux et au centre une feuille en forme de bouche, rouge écarlate, la reproduction de ses propres lèvres.

C’était d’ailleurs le seul objet qu’il avait conservé après son décès du à une maladie foudroyante.

Aujourd’hui il se décide de l’exposer à côté de ce couvercle de fromage. Deux enveloppes bien différentes, l’une de matière périssable, l’autre de paroles immortelles.

En posant ce livre intime de Noémie, il ne feuilleta pas les nombreuses pages du récit de sa vie, ce qu’il avait fait de maintes et maintes fois après sa disparition. Heureux de pouvoir rester là en contemplation sur la jaquette de cahier et le couvercle au logo de « la vache qui rit » 50% de matière grasse !

Tout cela paru si normal, ce cadeau d’anniversaire, cette nouvelle recherche vers ce cahier intime objet de sa bien-aimée disparue.

Et du coup, maintenant il prenait plaisir à faire les brocantes en quête d’objets.

Ses pas le conduisirent un jour, vers Lille, sa ville de naissance, à la fameuse grande braderie de Septembre.

Peu de choses à acheter, sauf un coup de cœur pour une lithographie, sous la forme d’une affiche, œuvre d’un artiste contemporain. Elle représentait divers articles de la presse locale comme cachés, minutieusement grillagés de rectangles en petites touches de taches d’encre de chine diluée, ne laissant que de petites cases où seuls quelques mots restaient lisibles comme 49000 dollars, 2 600 000 chômeurs, studio à louer, Lille, étudiant.

Rentré chez lui il décida que cette acquisition accompagnerait ces deux autres pièces déjà exposées.

Lui l’homme qui avait su en tant qu’étudiant choisir la discipline de l’anthropologie et avait eu la chance d’aller à la découverte du monde et particulièrement de l’Afrique septentrionale lui qui a cherché à aller toujours au-delà des murs, des barrières, voir derrières tous ces masques, burqas, tchador, et autre hijab. Il a toujours souhaité connaître plus intensément les humains qu’il croisait, au cours de ses voyages, au-delà de sa fonction, il voulait connaître leur vie leur sentiment et surtout celui des femmes, dont Noémie qui elle, n’a jamais voulu se voiler pour sa religion, mais aimer son homme en toute tranquillité et si fortement.

Bien plus tard encore dans un déballage de son quartier d’une bourgade normande où il habitait, quelle ne fut pas sa stupeur de découvrir suspendu à un fil, un gros cube en bois, avec sur l’une des faces, au centre une peinture naïve, réaliste en perspective d’un écran de réveil matin numérique où était indiqué le

jour et le mois du décès de Noémie. Paul aurait donné une fortune au gamin qui vendait cet objet conceptuel, dont il ignorait sûrement la valeur et qu’il céda, ravi pour 5.

Pierre se précipita chez lui accrocher ce mobile près de sa collection.

Les années qui suivirent, il essaya vainement de prolonger cette collection. Tout ce qu’il trouvait comme objet enveloppé, enfermé, bouclé, cloitré, coffré, mis sous clef ou claquemuré aurait pu le séduire.

Mais quel objet pourrait l’unir à nouveau au souvenir des caresses de son épouse.

Mais quel objet l’abreuverait comme l’eau si douce de ces baisers.

Mais quel objet lui ferait penser aux paroles suaves et aux chants d’amour glissant de la bouche de son aimée.

Alors il se mit en quête d’acheter toutes les cassettes vidéo « vhs » qu’il trouvait sur les souks au cours de ses nouveaux périples au Maroc.

L’espoir impossible de trouver sur l’une de ses tournages de leur vie commune, puis abandonné à leur dramatique séparation, l’espoir que sur l’une de ses cassettes mal réutilisées à la recopie frauduleuse d’un film, sur la bande magnétique un peu de l’image et du son de Noémie seraient encore inscrits.

Et si miraculeusement cela arriverait, il installerait un auditorium pour passer en boucle sur grand écran, au milieu de sa collection, ce film témoin de leur amour.

 

 

Atelier d’écriture YAKSA

Philippe

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