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L’homme âgé à la terrasse du café…

Photo de Géraldine LAY

Photo de Géraldine LAY

Elle vient à peine de le quitter, et les effluves de son parfum se disputent avec son après-rasage dont il s’était copieusement aspergé après s’être rasé de près pour ce rendez-vous.
Violetta n’avait que peu de temps à lui consacrer, elle était en répétition dès onze heure ce matin-là.
Roberto aime particulièrement ce petit bistrot, à moitié épicerie de nuit dans ce quartier des théâtres, il savoure surtout cet espace le matin, quand la lumière jaillissant de la rue vient lui lécher la peau, yeux mi-clos. Pour lui, c’est le temps de la respiration retrouvée, après ses nuits si souvent agitées, ces insomnies qu’il dénomme créatrices.
Ce vieil homme de théâtre, arrivé tard à la mise en scène après avoir été assembleur de décor, accessoiriste, puis menuisier jusqu’au jour de ses soixante ans, où il décida de mettre en scène sa propre pièce, son œuvre qu’il avait écrit toute une vie. Continuer la lecture

L’air marin

Je me sens grosse. Je fais partie des « sans », sans domicile, sans relation physique, sans regard amoureux. J’aime l‘eau qui se frotte et se faufile à mes pieds, le mouvement de la marée, le ressac, la jouissance de ce va-et-vient.Mon vague à l’âme. Devrai-je nager, m’engloutir dans cette mer, ma frimousse, ma jolie tronche, seule émergeant ?

Toi, ta présence, là, juste à côté de moi, ta jeunesse, le ventre plat, fesses galbées, et petite poitrine. Nage, nage ma belle, tu t’éloignes de moi, s’il te plait, laisse ma voie libre de sable mouillé. Laisse- moi être pénétrée de cette odeur d’eau salée, m’envahir les narines aux orteils, me traverser.

Beaucoup plus jeune, je me serai aventurée à m’approcher de toi, te parler, un brin de cour. L’air marin a toujours était pour moi aphrodisiaque. Tu ne me regardes pas, mais si tu le voulais, tu saurais que j’ai aimé autant les femmes que les hommes.

Être enivrée de parfum iodé, parfum d’amour. Être dans mes villes préférées, celles du bord de mer. Être heureuse, me sentir bien, un grand bol d’air, parenté d’un souvenir de mon enfance à la ferme : « bois petite ton grand bol de lait », disait ma mère, « profite ! » .Oh ! que oui ! que j’en ai profité, un peu trop même. Mes rondeurs, en fait je m’en fous. J’aimerais courir, plonger, nager sous l’eau avec toi voisine de plage, te faire des culbutes dans les vagues, te caresser, nous aimer.

Lundi au boulot, les collègues, derrière leur guichet, me chambreront un peu : alors Fernande ! T’es encore parti au grand large, pour ces vacances, tu as une bouille resplendissante, hein la mer, c’est bien ça le plus vivifiant ?

Moi, subrepticement entre deux clients, je ferme les yeux, et respire à fond le peu d’air marin qu’il me reste et je rêve à toi.
la plage

Edith Roux Euroland

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J’avais dix ans, la voiture de mon père fenêtres grandes ouvertes s’arrête sur le chemin longeant la cité rose, notre futur lieu de vie.
Fuir ces immeubles monochromes, cet alignement cage à lapins, ne plus voir ces grues. Hop ! sauter par la fenêtre et courir à perte haleine pour se cacher dans ces herbes folles.

Pour trois francs six sous, devoir faire un projet d’architecture en temps de crise. Je me présentai à ce concours en 2008. Rien de plus simple, deux parallélépipèdes en tôle ondulée y inclure deux ouvertures en forme de verrière low cost, et surtout pour impressionner le jury, ne pas oublier en avant-plan une grande prairie fleurie avec un signe de votre avant-gardisme un panneau signalétique complètement inutile à la Marcel Duchamp, appeler ce projet « QUELLE » en sous-entendant quelle est la question ?

Comme c’est moche de ne pas vivre à la mer. N’avoir comme horizon qu’une grande prairie d’herbes brûlées, ce qui ne fait pas une plage de sable fin. Même pas un euro pour se payer un coca au Mac Do d’à côté, moi et ma petite copine tous les deux enlacés sur le sol caillouteux, et nous nous embrassions toute l’après -midi sur la bouche en apnée d’eaux profondes que nous nous imaginions sur ce terrain vague de la zone commerciale.

Sur le bas-côté de l’autoroute Salonique Athènes,deux hommes en guenilles semblent êtres assoupis côte à côte dans les herbes folles. Je rengaine mon colt, deux taches rouges sur leur poitrine, des centaines de coquelicots les entourent, tout est vide autour d’eux. La montagne toute proche aurait pu se refermer sur eux en un cercueil bucolique, si on avait su dégager ce foutu panneau merdique d’indication d’itinéraire en aluminium.

J’ai rêvé d’être tout petit, pas plus haut qu’un brin d’herbe un soir de Noël. Elles étaient de toutes les couleurs ces grandes grues qui m’entouraient, mais demain matin au réveil, le père Noël aura une fois encore mangé un bout du croissant que je lui avais laissé, sans m’avoir apporté le Mécano que je désirai.

Mon amour, je me sens si seule dans ce terrain vague et si aride, oserai-je franchir le mur qui enferme ta cité pour te rencontrer.

Lars Tunbjörk/Vinter

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Tunbjörk/Vinter

C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine. Quelle idée a eue cet homme de quitter ses vêtements vintage et les poser sur le sol gelé pour éviter à sa voiture de déraper au démarrage ? Tu me rassures, les chiens affrontent le froid, les chiens nous gardent. Les sapins, les beaux sapins, rois des forêts recouvert de neige vierge s’amusent avec les scintillements des flocons au clair de lune, feu d’artifice hivernal.
C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine, marcher et écouter les claquements de nos pas sur la neige, prendre la bise en plein nez. Toi, tu me parles de l’absence, ton amie serrant son père dans ses bras le soir de Noël avant qu’il ne meure. Cette autre amie attendant au restaurant ses copains qui ne viendront plus, mort accidentelle sur la route, danger de l’hiver, un enfant abandonné sur un fauteuil comme un jouet, aujourd’hui sans parents. Le bois dehors nous attend, ses veines épaisses, son écorce ouverte, prêt à être mis au feu de cheminée. Sentir une bonne odeur de pot au feu, faire l’amour sous la couette, je me fais des rêveries auprès de toi. C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine. Ta bouche, ton corps, tes hanches, la rondeur de ta poitrine, ta main sur mon cou puis caressant
ma tête chauve, nous nous réchauffons, c’est l’amour. Nous avons renoncé à faire la fête avec mes amis, sauterie au champagne, corps déchaînés, chaleur de plaisir sexuel comme dérivatif de l’ennui. Je n’ai pas envie d’une corde pour me pendre, un lit dans un petit abri de quelques mètres carrés, le bonheur, la chaleur dans cette cité pourrie aux voitures habillées de neige sale. Rester là, assis dans le froid dans ce jardin . C’est l’hiver, aimer sentir ta main sous ton gant de laine

Philippe

Lars Tunbjörk I love Böras

 

Image de Lars TunbjörkTexte 1
Au nord de la Suède, en automne, les journées sont de plus en plus courtes, les gens des forêts quittent rarement leurs maisons, et les festivités publiques sont exceptionnelles.
Une seule coutume résiste contre cet isolement, celle du mariage. Malheureusement peu de couples choisissent cette saison pour se marier.
Les services administratifs ayant crée une loi obligeant la mariée de se vêtir d’une longue robe faite en asphalte gris et qui puisse se dérouler sur plus de 200 mètres.
Un certain Monsieur Bergspiel aurait été dit-on à l’origine de cette loi. À notre connaissance, peu de Suédois à ce jour n’ont pu répondre à cette demande, mais si vous prenez quelques pistes forestières aux heures où la lumière est encore présente, il peut être accidentel de rencontrer des morceaux de traîne de mariée abandonnée sur ces chemins.

Texte 2

À Boras chaque samedi après midi, il suffit d’entrer dans la cour d’un immeuble pour assister à un spectacle de rue. Au 22 de la rue Lars Tumbjörk , j’ai eu la chance d’assister à une petite comédie humaine jouée par quatre artistes amateurs habitant la résidence.
Une grande et épaisse estrade de bois, de ce bois naturel comme on le trouve en grosse quantité en Suède, occupait une bonne partie de la cour.
Le « pitch » de la pièce était le déballage des sentiments humains de manière métaphorique. Seulement une dame d’une quarantaine d’années représentait la gent féminine.Les femmes suédoises auraient-elle moins de sentiments à déballer ? Je ne connais pas l’auteur et je n’ai qu’à me laisser guider par le déroulement de cette pièce pour mieux comprendre cette sociologie nordique.
Un homme aux « converse » rouges et en djellaba blanche s’exténuait depuis le début de la représentation à démonter des bâches sensées recouvrir la scène. C’était un homme voilé, jamais on ne voyait son visage et il psalmodiait : « Les religions sont inutiles ! Les religions sont inutiles », « Cessez de regarder vers le haut, affaisser les voiles ». Cet homme aux « converse » rouges dialoguait parfois avec un gros type en tenue de cuisinier ou de pâtissier, jetant face à lui au bas de la scène des litres de vin rouge en bouteille dans un amoncellement de poubelles au sol . Il n’avait fait son apparition bien qu’un bon quart-heure après qu’un autre homme venu des coulisses eut descendu sur le parterre pour découvrir un bric-à-brac de vélos, moyen de déplacement mythique des Suédois et aussi une vieille guimbarde des années 60, tous ces objets étaient cachés sous une toile cirée multi couleur.
« Chers amis voyez là mes peines, voyez là mes soucis, que ceux qui veulent m’en débarrasser, s‘en saisissent, moi je ne veux plus les voir ! »
Je pense que, dans cette action, le texte se voulait revendicatif et anti-consumériste, mais était-ce vraiment cela ? En effet, ce personnage une fois qu’il eut débarrassé ces tas de débris de ferraille sous leur couverture de linoléum se saisit de la femme pour l’embrasser sur la bouche pendant de longues minutes. Après chaque baiser, il dépose sur l’avant scène une grosse boîte de conserves de fruits confits, friandises appréciées des Suédois. Et la femme me direz-vous n’a-t-elle aucun sentiment humain à déballer ? Elle restait muette et passait son temps à enduire ses jambes de confiture de groseilles. Cette scène n’avait rien d’érotique ni de malsain, on sait que ce pays de religion protestante est assez pudique mais paradoxalement n’a que très peu de crainte face à la nudité, fanatiques comme ils le sont des saunas et autres bains chauds. Bon cette pièce commençait à m’agacer et comme nous étions samedi, j’ai filé mon chemin vers une autre cour pour voir un autre spectacle.

LES DÉPOSSÉDÉS

photo d"Edith RouxLes dépossédés 2010 – 2011 PHOTO D’EDITH ROUX

Quelque part, comme sur une avant scène jonchée de débris, de briques, de morceaux de faïence et de stuc, une scène d’un théâtre irréel.
Quelqu’un est là, elle se tient droite face à nous, buste relevé, yeux interrogateurs, sa robe imprimée, légèrement transparente résonne avec le dénuement de sa gorge.
Quelque part dans une zone d’une dense habitation de bâtiments quasiment monochromes, tous identiques, vide, aucune trace humaine.
Quelqu’un cet homme planté là, se souvient d’elle lui l’architecte de cet immonde environnement.
Quelque part dans une maison éboulée, fatras de briques, de pailles, de boiseries, plâtre, marbre et béton. Quelqu’un, celui-là, un homme âgé, seul au monde essaie de retraverser son passé, les écritures de graffiti l’aideront peu, son long manteau, sa chemise blanche et propre, ses mains usées, ses chaussures usées, son collier de barbe bien rasée, ses yeux bridés soulignant ses oreilles décollées, mais il ne voit plus rien et n’entend plus rien, il ne peut qu’à peine respirer la poussière qui l’entoure.
Quelque part dans une rue déserte, tête baissée, épaules voûtées, quelqu’un, l’architecte peut-être ne respire que très peu lui aussi. Il semble en confession, en repentance, face à un monde meilleur, soi-disant meilleur dont il a eu la charge de bâtir. Son manque d’oxygène lui provoque un vide dans la tête à la mesure du vide qui l’entoure. Qu’aurait-il pu faire? Qu’aurait-il du faire ? Résister comme cette autre femme quelque part dans le reste d’un décor chimérique, anachronique, un face à face avec ces barrières de béton, une image arrêtée.
Elle est figée, quelqu’un, autre part l’est autant, un pied, en avant, une main dans la poche, l’autre tendu sur les plis du pantalon de son costume gris. Il pense pouvoir se tenir debout, mais il est écrasé par cette architecture hors de toute dimension humaine.Il est comme devant une grande béance, une porte possible ou impossible vers l’horizon, il devrait faire face à son destin, mais il n’ose pas se retourner, il reste là debout comme un fusillé accablé des balles du temps qui passe.
Philippe