La limite de l’existence.

«  Quel mal de dos ! » se dit-il «  Qu’est-ce –que je fais dans le noir, là dans cet escalier ? » Meurtri, Marcus se réveille. Il est habillé comme la veille au soir. Sa chemise sort de son jean, les manches sont déboutonnées, son encolure est largement ouverte, il est pied-nu. Incrédule, il se redresse et fouille ses poches. Son portefeuille, ses clés, son portable ont disparu. Avait-il une veste ? Il ne se sait pas. Il n’a plus que son briquet. Il essaie de l’allumer. Cela ne marche pas du premier coup. Il doute qu’il lui reste beaucoup de gaz. Grace à la flamme activée, il regarde autour de lui, ne reconnaît pas l’endroit. Il est dans un escalier large, en bois, recouvert d’un tapis élimé retenu par des barres dorées au bas de chaque marche. La cage d’escalier semble haute. L’opacité de l’obscurité est telle qu’il a du mal à distinguer les tableaux aux murs, des portraits anciens. Il essaie de se souvenir comment il est arrivé ici. Rien. Sa mémoire lui résiste. Il ressent un poids énorme sur sa poitrine, un goût  métallique infecte sa bouche, un mal de tête commence à lui marteler les tempes. Par réflexe, il commence à descendre. Curieusement, aucun son n’est audible. Un peu plus bas, un long fouet noir au manche ciselé, serti de pierres git par terre. Il le ramasse sans réfléchir. «  Que s’est-il passé ? »

A-t-il participé à quelques jeux SM ? Non, même dans ses pires états, il n’a jamais été attiré par ce genre d’ébats. Alors quoi ? Qui s’agissait-il de dompter ? C’est quoi ce délire ? Une inquiétude incompréhensible l’envahit. L’arme à la main, il continue de descendre à la lueur du briquet. Le bas de l’escalier débouche sur une seule porte haute en bois blanc à moitié ouverte. Marcus est surpris par la hauteur à laquelle se situe la poignée. Du seuil, il pousse doucement le battant. Machinalement, sa main cherche un interrupteur sur les murs mais n’en trouve aucun. La flamme du briquet s’éteint. « Il doit être vide » pense-t-il. Il est là dans le noir, immobile. Une faible lueur vacillante éclaire vaguement la pièce. A l’odeur, il pressent qu’elle peut provenir de bougies. Il avance prudemment. L’ameublement est en bois ancien, rococo, très chargé. Des tentures aux murs. Aucune fenêtre. Il continue à tâtons. Tendu, il pénètre dans une autre pièce. Effectivement il y a des chandeliers aux murs. Marcus essaie vainement d’en décrocher un. Les bougies semblent scellées.  « Hello, il y a quelqu’un ? »  Silence total. Ses pieds nus devinent du plancher, des tapis puis butent sur des cailloux.  Ils décrivent une sorte de voie jusqu’à une bibliothèque et s’arrêtent. Etrange. « Il y aurait-il une porte secrète ? Mais comment la trouver ? » Marcus pose le fouet, palpe les montants du meuble, déplace les livres. Rien. Si ce n’est une lampe de poche, qui ne fonctionne pas. Après plusieurs recherches infructueuses d’un hypothétique mécanisme, Marcus renonce à regret au passage secret dans la bibliothèque. Il continue sa progression dans cette enfilade de pièces au silence oppressant et entre dans une autre salle. Là, des miroirs reflètent les lueurs tremblotantes des bougies. Marcus s’approche. Il n’arrive pas à se voir. Il s’approche encore. Quoique l’image soit floue, le choc est réel. Il tressaille, en tombe presque. Le miroir a avalé son reflet et lui renvoie une vision de lui d’une pâleur extrême. Il ne se reconnaît pas. Son corps est très maigre, comme sont maigres certains fous, rongés par une pensée malade dévorant leur chair. Ses cheveux sont longs et blancs. Ses yeux, mais de quelle couleur sont-ils? Son regard a tellement changé. La peur le saisit. Toutefois, derrière lui, il lui semble distinguer, deux pâles silhouettes presque transparentes, vêtues de longues tuniques ivoire avec des hauts cols en dentelles, sensuellement enlacées. Il se retourne vivement. Personne. Il regarde encore dans le miroir et les voit qui s’embrassent lascivement. Quelque chose dans leurs attitudes lui donne la chair de poule. Quoi ? Il ne sait pas. Il se détourne de cette image, il est pourtant attiré, il ignore le sens de tout cela. Marcus s’approche à nouveau du miroir. Se tenant par la main, le couple l’observe, le regard brillant. Cela lui glace le sang. A-t-il une hallucination ? Il n’est plus sûr de rien, la lumière est une illusion. Où est le bruit ? Où est la vie ?  Eperdu, il s’élance dans la pièce attenante. Il heurte violement ce qui s’avère être une cuisinière en fonte d’un autre siècle. Les couvercles arrondis sont froids. Du bois coupé repose par terre. Marcus pourrait faire du feu. Brûler cet enfer, se frayer une sortie, retrouver sa vie, son identité. Il essaie de trouver quelque allumette ou quoique ce soit qui l’aide à s’échapper. Il n’y a que chaudrons, cuillers, écumoires. Tout est noir. Même la cheminée semble remplit d’étoupes. Brûler un livre grâce aux bougies ? Pour rien au monde Marcus ne retournerait dans la pièce aux miroirs. Il n’a d’autre choix que de continuer son exploration invraisemblable, sa fuite en avant. Dans un recoin, il aperçoit ce qui pourrait s’apparenter à un écran.  Mais non, ce n’est qu’un rideau en popeline. Derrière se dessine un petit escalier dérobé. Il redoute une menace terrible. Pourtant, renonçant à toute rationalité, il descend les quelques marches en colimaçon. Il doit se courber pour entrer dans un local au plafond en voute romane. Une odeur particulière, difficilement identifiable flotte dans l’air. Il règne un froid intense. Le sol en terre battue est humide. Le silence est paralysant. Eclairées d’un unique flambeau au mur, huit grandes caisses noires rectangulaires emplissent l’espace. Sous l’oppression d’une crainte confuse et irrésistible, Marcus s’approche tout de même. Il doit les enjamber pour passer de l’une à l’autre. Soudain, déséquilibré, il tombe et se rattrape de justesse sur l’une d’elle. Le bois est glacé. Le cœur de Marcus s’affole. Sa main vient de soulever une enveloppe. Elle glisse sur son pied. Il la ramasse en tremblant, l’ouvre et trouve une feuille de papier. Il la déplie et se rapproche laborieusement du flambeau. Il essaie de lire le message mais la lueur vivante de la flamme n’éclaire que quelques syllabes à la fois. Quoiqu’il comprenne la langue dans laquelle il est écrit, le message global lui échappe. Marcus est debout les pieds entravés par les caisses. Il se sent frôlé par un mystère impénétrable. Fasciné, il se retourne vers celle se trouvant près de lui et essaie de l’ouvrir. L’angoisse au ventre, la gorge serrée. Le montant résiste. Ses doigts perçoivent un mécanisme d’ouverture compliqué composé de huit mollettes. Existerait-il un lien entre le texte et le système de fermeture ? Lequel ? A quel principe obéissent-ils ?  Il s’accroupit à la hauteur des molettes. Elles sont faiblement éclairées par la lumière que projette le flambeau. En les déroulant, des mots défilent. Les nerfs vibrants, Marcus rentre plusieurs syllabes du texte en respectant l’ordre numérique des molettes. Quelle que soit la combinaison, le couvercle ne s’ouvre pas.

S’il avait pu avoir la notion du temps, il aurait pris conscience du nombre d’heures qui s’est écoulé depuis son réveil. Mais l’obscurité, l’angoisse le plongent dans une confusion temporelle. Le manque d’oxygène lui provoque une sorte de malaise.

Marcus quitte toute logique de saisie dans les molettes. Soudain un déclic résonne. Le couvercle s’ouvre légèrement. Marcus est terrorisé. Il ne sait plus s’il veut vraiment ouvrir la boîte. Il a perdu le contrôle de ses actes, ses décisions. Tétanisé, il soulève le couvercle d’une main tremblante. Son cœur s’arrête.

La boîte est un cercueil, son nom est brodé en noir sur la soie rouge.

S’il pouvait, Marcus mourait là, sur le champ. Mais non…

Un léger picotement, subtil au début, puis de plus en plus persistant se fait ressentir sur le côté droit de sa nuque. Instinctivement, Marcus porte sa main sur son cou.  Tout à coup, il est saisi d’une épouvante folle. Il pousse un hurlement suraigu, déchirant, d’horreur démente. Sur sa peau, quatre traces de piqûres se distinguent nettement.

Dans sa panique, Marcus recule, tombe sur une autre caisse, se relève, trébuche encore, son corps n’est plus qu’un continuum de tremblement, il se débat, se retourne vers la porte.

Les deux amants pâles sont là, enlacés. La lumière réchauffe l’ivoire de leurs tuniques. Tels des rubis, leurs yeux étincèlent. Ils avancent lentement vers lui, un sourire sardonique aux lèvres.

 

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