L’OBJET PRÉFÉRÉ

 

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Éloge de mon objet préféré…

Vous et moi, nous nous sommes très vite mis à l’unisson. Vous êtes mes baskets, ma maison. Votre peau de cuir glisse sur ma peau. Je noue avec délectation ce petit chemin de lacet jusqu’aux chevilles, et plouf ! ma voûte plantaire s’affaisse en souplesse. Je ne suis pourtant pas un homme de marathon, mais avec vous je me sens comme en chausson. Votre fausse élégance me flatte. Pas à pas , nous marchons ensemble et rien ne se gatte: pif, vlan, boum ! je coure, je glisse, j’accélère,je m’arrête, vous êtes mon enveloppe, ma carapace sans en avoir l’air.

Avec vous je touche le sol, je suis la terre. Votre protection anéantit tout acte belliqueux.Je plains les hommes aux pieds nus. Être en vous me porte aux nues, et pour répondre à toutes inutiles enquêtes, je peux vous le dire tout net, je suis bien dans mes baskets.

Mon objet préféré me répond…

Camarade ! j’en ai plein les bottes. Cela va te paraître ridicule de te le dire, comme cela tout de go. Mais flûte, lâche tes baskets. Quatorze heures par jour et même parfois encore plus, quand tu t’allonges le soir sur ton lit et que tu t’endors.

Bon ce n’est pas que tu renifles des pieds, mais tu vois petit vieux, moi aussi j’ai envie de respirer. J’ai envie que ma peau retrouve sa souplesse, puise s’alourdir, que mes lacets cheminent où ils veulent, pas coincés par ce maudit nœud que tu fais et refais dix fois par jour.

J’ai envie de liberté, ne plus être accroché à un morceau de chair, l’extrémité de tes jambes, que vous appelez pieds, vous les humains. Et je sais que d’Achille à Zidane, vous l’honorez ce pied, vous en parlez souvent. Avoir bon pied par-ci, prendre son pied par-là, lever le pied, ne plus savoir sur quel pied danser. Des artistes renommés vous les ont aussi sculptés vos pieds, Grecs ou Romains, pour en faire des œuvres d’art.

Et bien moi si tu le veux, sans te faire un pied de nez, j‘aimerais tout simplement lâcher les tiens. Je vais te faire une confidence, une vieille paire, ancêtre de ma famille, par je ne sais quel truchement de passe-lacet, m’a confié s’être retrouvée une fois abandonnée dans un bric-à-brac gigantesque. Elle s’était acoquinée avec des pieds d’appareils photographiques, des pieds de vigne en forme d’abat-jour, un trépied et même un bipied de fusil-mitrailleur, tous ces objets menaient une vie tranquille. Tu ne peux pas t’imaginer, restant là en position fixe, jusqu’au moment où des frères, des sœurs à toi, des humains les prenaient délicatement pour d’autres positions, la vie rêvée quoi, ne pas avoir à courir, trotter, galoper piétiner, alors voilà mon vieux, c’est ce que je veux !

 Inventaire de mes chaussures

Comment j’ai été chaussé, à la belle affaire ! Tout petit de petits chaussons de laine bleue, parfois rose, erreur de ma mère, allez savoir pourquoi ?

Puis il a fallu mettre ces satanées chaussures de cuir, qui enferment les doigts de pieds et qui blessent la peau des talons.

Petit souffle d’aisance, l’arrivée des premières sandales, à porter quelquefois pied nu, quel érotisme les doigts de pieds pouvaient se toucher, jouer ensemble sans entrave, jour et nuit comme un bébé.

Rite de passage obligatoire et aussi belle découverte, l’éducation physique et l’acquisition des premières baskets. Déjà un choix plus difficile des marques, les « Spring Court », cela faisait classe, mais que de difficultés pour me les faire acheter, vivement l’indépendance financière.

Je passe aussi rapidement sur la paire de soulier en cuir noir, façon cérémonie, que l’on laisse au placard et ne sort que pour les mariages, enterrements et les jours d’examen.

Mon plus beau souvenir, c’est l’achat personnel, sans la tutelle des parents de la première paire de « Clarks » pour séduire.Cela avait de la gueule ! un brin british, même une fois, je me les suis acheté à Londres, encore plus fort ! Et comme j’aimai bien quand les copains et les copines me flattaient sur le choix de mes chaussures.

Ne pas oublier, la paire de chaussure de rugby, ou les godillots de l’armée, et aussi les chaussures montantes de montagne, toutes liées à des souvenirs plus ou moins cuisants de mal au pied.

Se souvenir les jours de pluie, et les demi-bottes bleu marine à rayure blanche de chez « Aigle » que j’aimai tant, jusqu’à les porter même les jours ensoleillés, fier comme un navigateur d’un trois-mâts en pleine mer.

L’amour aussi des savates, des catalanes, des espadrilles, toutes ces chaussures qui sentaient bon l’été et les vacances et pourquoi ne pas le dire fortement la sueur.

Un petit passage voyou vers les « Docks Martens », mais cela n’a pas trop duré, trop militaire à mon goût.

Un éloge à la fainéantise pour les mocassins « Sebago » sans lacets, facile à chausser et déchausser, ils ont accompagné une bonne partie de ma vie jusqu’à ce jour en alternance avec les baskets en cuir souple.

Mais cet inventaire ne serait pas complet sans les nu-pieds et aussi être sans aucune enveloppe de maroquinerie ou textile et guidé d’un soupçon de fétichisme ou d’érotisme, se sentir troublé à la vue d’un pied dénudé.

Philippe/atelier Bonnefoy/Avril 2014

 

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