l’horloge de la gare

l’Horloge de la gare

Je suis une vielle dame respectable.Il y a plus de 100 ans qu’on m’a installée là.Au vu de mon poids, de mon importance, on a construit pour moi un grand bâtiment blanc, imposant.
Je ne suis pas tout à fait au cœur de la cité mais idéalement pas trop loin du centre.Le cœur de la cité c’est pour mes collègues,les cloches qui carillonnent. Moi, je suis silencieuse.
Je marque le temps de façon précise, régulière.je suis là pour les voyageurs, je leur suis indispensable.Je les vois arriver, traînant de lourdes valises ; ils me supplient de ralentir, mais je suis inflexible,et l’heure fatale arrive….
Je suis un repère, un fanal dans la ville, le lieu de rendez-vous ; j’en ai vu des amoureux se retrouver, je les ai couvés ; j’ai vu des échanges comme ceux du bon coin depuis quelques années….
Je domine, je surplombe les cohues de travailleurs matin et soir. Aux heures creuses il y a peu de trains, je laisse filer le temps ; alors je me souviens :
J’ai été filmée en gros plan, mes rouages, l’avancée inéluctable du temps. C’est même arrivé à plusieurs reprises, je peux dire que les plus grands acteurs et metteurs en scène sont intimes avec moi !
Harold Lloyd, géant du burlesque muet dans safety last par exemple ; Dernièrement ma présence a même écrasé les autres protagonistes, il faut dire que l’acteur n’était qu’un enfant mais le metteur en scène Martin Scorsese m’a beaucoup filmée, et en gros plan !
Je déteste particulièrement qu’on m’appelle maintenant « analogique », à l’heure de l’électronique ça veut dire anachronique.
Je trouve scandaleux,que maintenant on n’apprend plus aux enfants à dire il est midi moins vingt mais ils lisent sur leurs portables 11h40;je ne comprends pas que mes régleurs,mes employés SNCF,laissent faire !
Je ne suis plus l’unique,celle vers laquelle se lèvent tous les regards en attendant un rendez vous, en allant prendre le train des vacances ;
Ils nous promettent une belle jeunesse avec ces enfants, incapables de se repérer dans le temps grâce à mes deux aiguilles élégantes, complémentaires qui se déplacent le long de mon cadran…
Des cristaux de quartz prétendent me remplacer ! Ils se multiplient et que fait- on, je vous le demande,pour l’écologie, préserver les ressources naturelles ?
Quand il n’y aura plus de quartz moi je serai là, fidèle au poste, prête au service, inusable !
Moi j’existe de façon intrinsèque. Je suis. J’ai été posée la, la je reste au dessus de l’agitation du monde,pas question de carrière ni de promotion. Je suis la, à ma place.Aucune promotion n’est envisageable quand on a un poste comme le mien !
J’ai toujours marché, le temps ne s’arrête jamais.Je ne me déplace pas, les autres voyagent pour moi.Je les regarde aller et venir, s’agiter, partir en voyage. Pour quoi faire ? Est ce que le temps passe plus vite ailleurs ?
Je me déplace dans l’espace temps avec les jours qui rallongent au printemps par exemple.
Je ne connais pas la solitude ; il y a tous ces gens qui m’admirent depuis le sol, ces regards levés sur moi. Je vous l’ai dit, je n’ai pas voulu aller en centre ville, encore moins avec les collègues des aérogares. Mon destin est d’être unique.
Quant au bruit, vous ne trouvez pas qu’il y en a assez dans une gare ?
A quoi servirait d’être une horloge parlante si vous étés inaudible?Les annonces SNCF aujourd’hui, les sifflements des trains à vapeur autrefois, suffisent a assourdir les gens. Je sais qu’il y a des horloges en ménage avec des cloches, avec des sonneries stridentes et même avec des robots téléphoniques. Les uns seront obsolètes avant moi, les autres ne seront conservés que par nostalgie….
Si j’avais un bourreau, ce pourrait être la rouille et l’usure du temps. Si un jour on cessait de m’entretenir, de me graisser, de régler mes engrenages, je perdrai de ma puissance. Je l’imagine la rouille, attaquant certaines petites pièces,essayant de briser une dent,ébréchant un arbre à cames. Fidèle à ma mission, je continuerai mon travail, mon devoir avec mes aiguilles plus lourdes à déplacer, plus lentes a parcourir leur course.
Car, voyez vous, ignare, ce que vous appelez 2 traits noirs noirs mobiles s’appellent des aiguilles. L’une plus courte marque les heures pendant que sa grande sœur court plus vite pour indiquer les minutes. L’une prend 12 heures pour un tour de cadran,l’autre le parcourt en 1 heure.
Ainsi je tricote le temps. Pas à pas , de façon régulière ; un rang, ou plutôt un tour dure toujours une heure. Maille à maille, un ouvrage de dame, vénérable et durable.Le temps va en mailles endroit, jamais en mailles envers ; c’est le fil d’argent de la vie que je tisse en jersey, en chevrons pour les petits mousses, pour tous des les nids d’abeilles, des points de riz, et pour les vieux loups de mer des torsades et côtes anglaises.
File la laine, file les jours.

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