– Pourquoi tu me regardes comme ça ? Ça te gêne, une femme au foyer ? Tu me crois pas si je te dis que ça va ? Oui, comme tous les matins, John vient de partir. Comme tous les matins, je lui ai préparé son café. Je l’ai versé dans son mug favori orné d’un cœur. Celui qu’ Anna lui a offert pour la fête des pères…Il y a quelques années déjà. Maintenant elle est à Paris comme jeune fille au pair, pour améliorer son français. Son père et moi, nous sommes très fiers d’elle. Nous n’avons pas beaucoup de nouvelles mais c’est difficile avec le décalage horaire…
Si je te dis que ça va…John a un bon boulot, un peu prenant sans doute, mais bon, grâce à lui, nous terminons le crédit de la maison ! C’est vrai, j’ai dû arrêter mes études quand j’ai été enceinte d’Anna mais comme l’ont dit mes parents j’aurais pas pu aller jusqu’au bout de toutes façons. Tout à l’heure j’irai faire les courses. Tu crois que je devrais me maquiller avant de sortir et m’attacher les cheveux ? John dit qu’il m’aime « nature », c’est son expression. Il en a marre de toutes les secrétaires peinturlurées de son entreprise. Pourtant mon amie Charlène m’a raconté qu’elle l’avait vu dans un restaurant avec une de ces créatures. Il a bien ri quand je lui en ai parlé, repas d’affaire bien sûr ! Il m’a prise dans ses bras : « ma p’tite femme nature, ne change pas ! ». C’est drôle, Anna ne me ressemble pas, toujours pomponnée, bien habillée et John ne lui dit rien, à elle. Je ne comprends pas. Bon, c’est pas tout ça, faut que j’y aille, que je prévois le repas de ce soir. Ah, mais que je suis bête, il a raison, John, parfois je perds la tête. Ce soir mon mari rentrera tard : il doit manger avec des clients.
Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu souris ? Puisque je te dis que ça va…
– Tu te demandes vraiment pourquoi je souris ? Comment peux-tu être aussi naïve ? Ton John, il te trompe depuis des années. Ton Anna, elle s’éclate à Paname…Tu t’es jamais demandé pourquoi elle était partie si loin ? Regarde-moi…Pourquoi tu souris à ton tour ? A moins que…non, à moi, tu ne la fais pas:tu les as tous eus avec tes airs de chien battu…ton mari, ta fille, tu les laisses s’éloigner. Pour tes amis apitoyés tu restes la bonne ménagère, fidèle au foyer. Oh oui, maintenant je vois clair dans ton jeu. T’as failli m’avoir, tu sais ? C’est ça, tu prépares la suite : un bon petit divorce avec flagrant délit, une pension alimentaire conséquente. Tu gardes la maison, bien sûr…T’as tout ton temps, hein ? Et après, la belle vie:instituts de beauté, voyages…Une petite visite à Paris, peut-être, pour pleurer dans les bras de cette chère Anna ? Ou plutôt, non, un tour du monde avec le meilleur ami de John, juste pour rigoler un peu et faire d’une pierre deux coups… Oui, tu as tout ton temps…Conserve ce regard désespéré ! Tu ne me l’as fait pas à moi et tu sais quoi ? BRAVO !