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Sous la voute des Carmes

Sous la voute des Carmes, s’étire la Voie Lactée. Dominante de blancs, de gris et de noirs, variations fuligineuses. Comme autant de stations déclinées, traces fécondes d’une écriture alternative. Sur des cahiers d’écoliers tu as écrit ton nom, toi, le peintre de l’incandescence et de la combustion. Etrange, onirique et sacrée, ton écriture s’éparpille dans une effilochée de nuages et d’éclaboussures d’étoiles.

Ton identité est riche de plus de mille visages grimaçants, boursoufflés ou débonnaires. Photos déformées en comparution immédiate et en attente de jugement. Et tes écrits ne plaident pas pour leur innocence….

lundi 14 janvier 2019 , Jean Paul Marcheschi

elle est

Elle est la fraîcheur de l’eau irisée

L’immersion baptismale

La pureté virginale

Et la tentation de la dérive

 

Elle est la dérive,

Le bois flotté sur les langueurs océanes

Le friselis des vagues

Et le désir d’ailleurs

 

Elle est le désir sous le masque

Au gré de son humeur fantasque

L’appel charmeur des sens

Le fantasme de l’homme caché derrière l’arbre

 

Elle est l’arbre sacré

Le totem tutélaire

Et, dressée sur les flots,

La vigie au regard protecteur

 

Elle est le regard bienveillant

la sagesse d’antan

Ève ou Pandore

Dans le bois originel

 

Elle est le bois solide

Le tissu végétal

Résistant à l’usure du temps

Le banc vénérable ou le divin trépied

 

Elle est le trépied où les prêtres

ont déposé les graines mantiques

dans l’attente des prophéties

de la Pythie

 

Elle est la Pythie

Sibylle d’Apollon

Égrenant ses visions en bulles opalines

d’un temps à venir

 

Elle est l’avenir de l’homme

Nouvel Adam

Né de l’ onde et de la lumière

Sa fraîcheur irisée

 

existentialisme

21 Mars 1949

Anna est seule dans la roulotte avec son bébé. Moment précieux, où elle a dénudé son sein pour l’offrir à la petite fille. Son regard couve l’enfant -qui boit goulûment- d’une aura de tendresse. Elle songe à sa sœur dont le parfum capiteux flotte encore dans la pièce.

Comme à son habitude, Flora est venue en coup de vent aux portes de Toulouse où est installé le campement des gitans. Elle s’est glissée dans la roulotte d’Anna en grand secret car leur père l’a bannie depuis longtemps de leur communauté  quand il a appris qu’elle fréquentait des gadjos de la ville.

  • Ce sont des étudiants de l’Université a confié Flora à sa sœur. je suis de toutes leurs fêtes. Ils disent que je suis leur égérie ! Ce soir, tu te rends compte, c’est la soirée la plus recherchée de Toulouse : la nuit de l’exis-ten-tia-lisme !

Non, Anna ne se rendait pas compte mais elle a laissé la jeune femme lui expliquer ce que lui avaient dit les étudiants. L’existentialisme, c’est être maître de son destin, c’est vivre où et quand on en a envie. Et cela convient tout à fait à Flora ! Et puis IL sera là, son nom flotte sur toutes les lèvres, lui, le génial poète, l’auteur compositeur interprète de saint Germain des prés, mais si, voyons, le trompettiste … Boris Vian ! Il les régalera d’airs de jazz. Anna ne voit toujours pas mais n’ose le dire à sa sœur …

Flora a consulté sa montre de prix et s’est levée brusquement. Elle a enfilé une fourrure et elle est partie dans un grand éclat de rire en embrassant Anna et sa nièce.

Dans une cave du vieux Toulouse la fête bat son plein.Des groupes de musiciens, des chanteurs sont entourés par des dizaines de zazous aux cheveux gominés et aux tenues excentriques dans un brouhaha coloré . Sur des airs de be-bop et de swing des couples se déchaînent sur la piste de danse.

Mais l’attraction la plus prisée de la soirée est sans doute la prestation de Flora : juchée sur une table, entièrement dénudée, elle tête goulûment une bouteille de whisky coûteux, visage levé vers le ciel. Autour d’elle se pressent des visages de mâles concupiscents, l’un approche même ses lèvres de son sein. Mais elle n’en a cure, elle les domine tous : elle est l’image de la liberté !

Dans la tiédeur de la roulotte, seule avec sa fille, dans ce silence si particulier fait d’amour et de connivence, Anna observe la petite qui tête avec ferveur. Elle sourit en pensant à sa sœur : elle aussi est exactement là où elle a envie d’être…

Procrastination

tiroirs bois14/01/2013

 

 

Lucie pénètre chez elle et ôte machinalement son manteau. Dans ses mains, une lettre qu’elle décachette avidement. Elle a reconnu l’écriture : Paul, son ami d’enfance. Dans l’enveloppe, une photo jaunie les représentent tous deux à 18 ans dans le jardin de grand-mère. Ils se tiennent par le cou et sourient radieux à l’objectif. Derrière le cliché trois mots : « Que deviens-tu ? ». Aucune signature mais les dix chiffres d’un numéro de téléphone.

 

Elle soupire, s’affale sur le canapé. Oui, elle va l’appeler. Trop longtemps qu’ils ne se sont parlé. La dernière fois qu’ils se sont vus ? Voyons, il y a cinq ans peut-être, pour l’anniversaire de Chloé en Bretagne…Ah non, il n’était pas venu, voyage d’affaire…Alors quand ? Il lui semble capital de s’en souvenir mais elle n’y arrive pas…Elle ressent une irritation qu’elle ne comprend pas. Après tout, c’est sa faute, il n’a jamais été très disponible. Elle non plus… Continuer la lecture

Pourquoi tu souris?

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– Pourquoi tu me regardes comme ça ? Ça te gêne, une femme au foyer ? Tu me crois pas si je te dis que ça va ? Oui, comme tous les matins, John vient de partir. Comme tous les matins, je lui ai préparé son café. Je l’ai versé dans son mug favori orné d’un cœur. Celui qu’ Anna lui a offert pour la fête des pères…Il y a quelques années déjà. Maintenant elle est à Paris comme jeune fille au pair, pour améliorer son français. Son père et moi, nous sommes très fiers d’elle. Nous n’avons pas beaucoup de nouvelles mais c’est difficile avec le décalage horaire…

Si je te dis que ça va…John a un bon boulot, un peu prenant sans doute, mais bon, grâce à lui, nous terminons le crédit de la maison ! C’est vrai, j’ai dû arrêter mes études quand j’ai été enceinte d’Anna mais comme l’ont dit mes parents j’aurais pas pu aller jusqu’au bout de toutes façons. Tout à l’heure j’irai faire les courses. Tu crois que je devrais me maquiller avant de sortir et m’attacher les cheveux ? John dit qu’il m’aime « nature », c’est son expression. Il en a marre de toutes les secrétaires peinturlurées de son entreprise. Pourtant mon amie Charlène m’a raconté qu’elle l’avait vu dans un restaurant avec une de ces créatures. Il a bien ri quand je lui en ai parlé, repas d’affaire bien sûr ! Il m’a prise dans ses bras : « ma p’tite femme nature, ne change pas ! ». C’est drôle, Anna ne me ressemble pas, toujours pomponnée, bien habillée et John ne lui dit rien, à elle. Je ne comprends pas. Bon, c’est pas tout ça, faut que j’y aille, que je prévois le repas de ce soir. Ah, mais que je suis bête, il a raison, John, parfois je perds la tête. Ce soir mon mari rentrera tard : il doit manger avec des clients.

Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu souris ? Puisque je te dis que ça va…

 

– Tu te demandes vraiment pourquoi je souris ? Comment peux-tu être aussi naïve ? Ton John, il te trompe depuis des années. Ton Anna, elle s’éclate à Paname…Tu t’es jamais demandé pourquoi elle était partie si loin ? Regarde-moi…Pourquoi tu souris à ton tour ? A moins que…non, à moi, tu ne la fais pas:tu les as tous eus avec tes airs de chien battu…ton mari, ta fille, tu les laisses s’éloigner. Pour tes amis apitoyés tu restes la bonne ménagère, fidèle au foyer. Oh oui, maintenant je vois clair dans ton jeu. T’as failli m’avoir, tu sais ? C’est ça, tu prépares la suite : un bon petit divorce avec flagrant délit, une pension alimentaire conséquente. Tu gardes la maison, bien sûr…T’as tout ton temps, hein ? Et après, la belle vie:instituts de beauté, voyages…Une petite visite à Paris, peut-être, pour pleurer dans les bras de cette chère Anna ? Ou plutôt, non, un tour du monde avec le meilleur ami de John, juste pour rigoler un peu et faire d’une pierre deux coups… Oui, tu as tout ton temps…Conserve ce regard désespéré ! Tu ne me l’as fait pas à moi et tu sais quoi ? BRAVO !

Sur un air de jazz

Géraldine Lay.

geraldine lay

Sur un air de jazz

 

Elle avance à grandes enjambées, rêve un instant d’un monde parfait en écoutant un accordéoniste pianoter un morceau d’ « Amélie Poulain »…Sa décision est prise:elle doit partir. Partir vite et loin. Sauter dans le premier train. Puis dans le premier avion. Ou le premier bateau.

Là bas, l’air sera plus doux. Elle se baignera avec volupté dans les tiédeurs océanes au sein d’une myriade de bulles irisées.

Ici, le vent souffle en tempête, en hurlant dans ses oreilles. Elle frissonne, accélère le pas, dépasse sans tourner la tête le groupe scolaire où piaillent des gosses innocents qui ne savent pas encore que la vie est courte et qu’il faut se presser. Elle aperçoit la gare et se met à courir. Juste traverser la rue. Une voiture surgit qu’elle ne voit ni n’entend. Grincements de pneus. Une alarme retentit. Des gens chuchotent autour de son corps allongé.

Lovée dans le sable du lagon, elle sourit. Une musique de jazz, douce et apaisante berce son corps.

Son morceau préféré.

Ultime frisson de bonheur.

Elle est arrivée.