La montagne
(d’après l’exposition Paola De Pietri à la galerie du château d’eau/ mai 2016 )
Je n’aime ni le froid, ni la montagne.
Je n’ai toujours pas compris pourquoi je l’ai abandonnée dans cette chambre de l’hôtel de la Poste à Grenoble.
Je l’ai laissée là, endormie et nue.
Depuis ces deux jours que je marche vers les hauteurs, je ne vois que sa nudité, je ne pense qu’à sa nudité.
La neige n’a pas complètement disparu dans ce printemps tardif, ne découvrant qu’une nature aride, blafarde.
Tout à l’identique de moi qui me sens comme un soldat au combat, à la chasse aux souvenirs.
L’heureux hasard, cette montagne que je gravis, n’a pas de versant à pic, presque une montagne à vache.
Les roches par endroit laissent entrevoir des ouvertures obscures.
Il m’arrive de m’y reposer auprès de l’une d’entre-elles et je me revois la tête posée sur son sexe.
Pourquoi avoir fui vers la montagne ?
Prendre de la hauteur, idée simpliste sans doute, mais je ne veux pas de cet isolement, de ce silence interrompu que de cris de rapaces.
Face à moi des blocs de rochers, déstabilisés, éparpillés, fendus de toutes parts.
Spectacle chaotique, images de destruction
– ce que je vis c’est cela, une destruction, un chamboulement non contrôlé.
Je quitte ma position assise pour reprendre la marche.,
L’horizon est bouché, les nuages forment un rideau de brouillard.
Je suis réellement seul, aucun randonneur, ni de berger en repérage de pacages.
Comment ai-je pu par mon départ déclencher un tel séisme,
une guerre atomique ?
Est-ce que je pensais vraiment vouloir vivre seul en la quittant, deux nuits déjà passées à la belle étoile, et un repos très fragmentaire de quelques heures.
L’aube me griffe comme ces entailles des pierres.
Son fantôme me hante, m’assaille, me défigure, elle se venge de moi avec une férocité guerrière.
Jamais je n’aurais pu, un seul moment penser à l’hostilité que peut offrir la nature.
Je ne veux pas, je ne veux pas redescendre,
je cherche à aller plus haut, mes forces faiblissent, j’ai soif, j’ai faim.
Je me sens zombie, j’ai perdu ma qualité d’être humain, je mâchonne des herbes que j’arrache du sol, une nouvelle nuit va venir, et si je ne croise personne, je vais mourir dans une de ces grottes vides, même pas un terrier à lapin.
Quel Dieu a pu imaginer un décor pareil ?
Je voudrais m’arracher la tête des épaules et la balancer contre les rochers,
Provoquer un éboulis pour m’enfouir sous ces cailloux projetés jusqu’au pied de son lit.
Où est-elle, que fait-elle ?
Mais pourquoi ne pas avoir fait marche arrière pour la retrouver.
Cette dernière nuit avec-elle, nos ébats si fougueusement amoureux ?
Je prends conscience de ce qu’est d’être chaotique comme cet environnement.
Je suis sans le savoir, trop soupe au lait, d’humeur toujours changeante pour un oui, pour un non, infidèle et jaloux.
Comment pouvait-elle m’aimer.
Comment aimer cet amas de minéraux irrationnel ?
Je dois m’enfuir, m’enfoncer au creux de la terre, choisir la plus petite béance pour la pénétrer et ne jamais revenir, le « retour in utero ».
Ne plus rien maîtriser, plus d’action, dormir jusqu’à mon dernier souffle.
Philippe Courtemanche