Suite à l’atelier Bonnefoy du 8 octobre 2014 (Mots-valises)

Ca secouait dur, et la Compagnie avait failli annuler la traversée, mais, rentabilité oblige, nous étions finalement partis. Ce soir-là, il n’y avait que moi accroché au bastingage, sur le pont supérieur, avec un vieux qui avait l’air d’avoir pas mal bourlingué et qui m’avait invité à partager son remède contre le mal de mer. On se soignait depuis une heure environ, quand, soudain, le vieux tendit le bras vers le flanc du navire. Une forme sombre sortait de l’ombre sur la mer, dans le halo de lumière qui émanait du ferry. Peu à peu, je distinguai un trois- mats à l’ancienne, les voiles en lambeaux et , à la barre, LE Long John Silver de mes lectures de gamin. Je crus à une hallucination, mais le vieux se tourna vers moi et, d’une voix plus qu’embrumée, il se mit à raconter, tandis que l’apparition s’effaçait peu à peu. A travers les mots qui tanguaient et roulaient, je démêlai l’essentiel de l’histoire.

Fruit des amours d’une sirène-des-prés qui avait effeuillé la marguerite avec un naufragéniteur échoué sur un récif des mers australes, le type qu’on venait de voir sur ce rafiot, avait grandi au milieu des tempêtes et ne craignait ni les fureurs de la mer, ni celles des hommes. Sur son navirulent, il avait empoisonné les océans, à la tête d’un équipage de corsérial-killers. Ce n’était pas un de ces commandandys et autres commandentelles qui n’étaient à la manœuvre et ne prenaient le vent qu’à la Cour, à Versailles. Lui, c’était le commandenfer qui semait la terreur jusqu’ aux cercles polaires. Après avoir perdu sa jambe lors d’un abordage difficile, il était devenu le forbancal encore plus redouté de tous !
Mais le temps avait passé. Il avait vieilli. Ce qui avait été de l’audace s’était transformé en inconscience, et sa bonne étoile l’avait abandonné. Après avoir vu sombrer deux de ses navires, sa réputation était devenue celle d’un corcercueil.
Le dernier embarquement avait été une catastrophe. Le lieutenant qu’il avait trouvé n’était qu’un segondolier, tout juste bon à naviguer sur les canaux, et l’équipage que celui-ci avait pu recruter n’était qu’un ramassis de piratatinés et de forbambochards. À la première tempétarade inoffensive, sous l’effet de la peur, ils avaient tenté de se mutiner. Il avait très vite ramené le calme en faisant pendre le second au mât d’artimonstre, et jeté à la mer les cinq plus agités, dont un requintuple n’avait fait qu’une bouchée. Dans la nuit qui suivit, fuyant ce vaissauve-qui-peut, le reste de l’équipage embarqua sur les canoctambules qui n’eurent pas le temps de tenir jusqu’au jour, manœuvrés par cette bande de bras cassés. Bientôt il n’en resta plus que quelques planches éparses, dont les rescapés réussirent quand même à faire un radown-jones qui plongea à la première vague un peu forte. Sur les flots finalement apaisés, aux premiers rayons du soleil, il ne resta plus qu’une épavane dansant mollement dans la brise.
Et lui demeura seul, capiténébreux d’un vaisseau devenu fantôme. Il aurait bien voulu pouvoir suivre les indications de sa boussolitude, mais son gouvernailleurs ne lui obéissait plus et le conduisait toujours plus loin.
Depuis, sans fin,il erre, échappant aux typhondrières et aux ouragangrènes, mais sans jamais plus pouvoir toucher terre.

Le vieux arrêta là son récit. On ne voyait plus aucune trace de l’étrange navire et de son capitaine. Alors nous redescendîmes vers la boutique du ferry, à la recherche d’une quatrième bouteille de rhum pour continuer à surmonter le mal de mer. Le lendemain, dans ma chambre d’hôtel, la tête encore un peu lourde, je me demandai ce que nous avions réellement vu. Mais peu importait la réponse. Même si ce n’était qu’un énorme éléphantasme, il valait bien mieux que tous les éléphants roses que nous aurions pu avoir rencontrés cette nuit-là !

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