Reportage

EXPOSITION ANTANAS SUTKUS

EXPOSITION
ANTANAS SUTKUS

EXPOSITION ANTANAS SUTKUS

Le bruit de mes chaussures sur cette allée recouverte de petits cailloux envahit ma tête, j’avance dans ce grand parc arboré sans savoir où me mèneront mes pas. Quand j’ai ouvert la grille d’entrée, je n’ai pas pu lire sur le panneau de ferraille le nom de ce lieu, on devinait à peine le mot kind, kin er, quelque chose comme cela.
Un chant d’oiseau m’attire et j’ose pénétrer plus en avant dans ce bois, et soudain au loin face à moi dans une éclaircie d’une trouée d’arbres un masque, mime Marceau, tête d’enfant irradié, portant une chemise à carreaux, nouée d’une lavallière, je ne peux m’approcher plus de lui qui pourtant me regarde intensément, je fuis.
Retour, en ville, une rue quasiment désertique comme un dimanche après-midi de ville de province, pas un bruit de véhicule. Elle debout au balcon, femme ballon, prête à s’envoler de son troisième étage, poitrine gonflée envahissant la rampe de protection, tête penchée sur le vide, cheveux lisses, bien coiffés, mon premier sourire de cette journée dans cette ville de l’Est de l’Europe où le temps me semble figé.
J’entre dans un café, m’installe face à une jolie jeune femme brune, verre à la main, songeuse. De suite je revois Elsa que j’ai laissée à Paris, à cette heure elle doit prendre son petit-déjeuner, seule elle n’aura sans doute pas pu vaincre ses insomnies, et à son bureau, perdue dans ses pensées refait le monde à sa façon, ma voisine de bar semble aussi fatiguée, regard noir dans cette lumière d’un matin blême.
E n arrivant dans cette ville, on m’avait suggéré d’aller faire un tour vers le parc des sports, on y pouvait faire de curieuses rencontres, comme ce gardien de bascule publique, installé assis près de son outil de travail à l’orée du bois de cette banlieue calme et sûrement paisible.
Son regard paraît vide, aucune réaction à ce temps semi pluvieux de cette matinée où le soleil a bien du mal à percer. Quels sont les clients de cet homme endimanché ? Des sportifs cherchant à savoir s’ils ont perdu quelques grammes suite à leur jogging, des curieux de leur poids, comme cela sans d’autre but, drôle de bascule, drôle de gardien.
Des bruits d’enfants me parviennent d’une rue adjacente au parc, j’entre dans une grande bâtisse de pierre, une école, c’est dimanche et pourtant les enfants jouent dans la cour.
Près de la porte d’un escalier, Pierre, Paul, Jacques tendresse enfantine, le plus jeune penche sa tête sur l’épaule de son voisin, à peine plus âgé, confiant dans le grand de ce trio de jeunes garçons !
Sur le perron d’à côté, une petite fille assise sur les marches au regard triste protège sous son bras une vieille poupée, les enfants courent et se bagarrent autour en l’effleurant à peine, mais elle reste paisible et calme, elle me regarde en ayant l’air de me dire : que fais-tu ici ?
Demain, je quitte la ville et je pars vers la campagne, c’est le début de l’été, peut-être je rencontrerai les paysans dans leurs travaux des champs.
Après la pluie, le beau temps dit la chansonnette, et il y a de la joie, comme pour ces trois adolescents croisés sur le chemin, Jules et Jim inversé, deux filles et un garçonnet. Le premier émoi amoureux, ils se regardent, jouent à touche touche, la plus grande en mini-jupe rit de bon cœur, elle sait, elle connaît l’approche sexuelle du contact avec les garçons, c’est l’été la bonne humeur, vive la jeunesse.
Cette jeunesse pas toujours aussi dorée que cela dans ce pays industriel et socialiste, je me revois le premier jour de mon arrivée face à ce jeune garçon assis fièrement à sa machine-outil, à la fin de sa journée de labeur. Une femme balaie l’atelier, lui l’œil vif m’observe, j’avais juste poussé la porte du hangar de cette petite usine, m’excusant de déranger en cette fin de journée, très vite captivé par la noirceur de l’habit de travail de ce jeune contrastant avec son visage au regard sûr de lui laissant apparaître de beaux yeux éclaircis.
Ombre et soleil, tristesse et joie, saleté, propreté, je traverse quelques fermes et toutes ces bâtisses en bois me rassurent, au loin on entend le bruit des moissonneuses batteuses et parfois, pour certaine femme c’est l’heure de la pause. Elle m’apparaît comme une jeune étudiante en vacances chez ses parents, fière jolie blonde, au sourire large, bouche ouverte sur de belles dents blanches, prête à croquer le monde. Assise, bras croisés sur une chaise en bois comme incrustée au mur de la maison, elle porte sur son chemisier recouvrant à demi son sein une cardabelle pas encore séchée et exhibe à son avant-bras, un joli bracelet-montre, petit signe de richesse dans cette campagne pauvre.
Ici, la richesse du pays ce sont ses habitants, telle cette maman adossée avec ses cinq enfants sur le mur d’entrée d’une maison traditionnelle de cette région, bâtie en bois. Au-dessus d’eux des galets de pierre sur une étagère, prêts à se transformer en de belles miches de pain, comme pour dans le mythe décrit dans la bible, mais ici pas besoin de miracle, la vie vraie et leur véritable vie leur suffisent, et si j’ai parfois croisé des mines tristes, leurs yeux m’ont donné l’impression d’un avenir meilleur.
Demain retour à Paris, il me reste que la nuit pour boucler mon article pour l’Humanité Dimanche.

Philippe

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