Samedi 17 mai 2014

La nuit commence à tomber. Je n’aime pas prendre l’avenue lorsque la pénombre s’installe, que les réverbères ne sont pas encore allumés. Je décide de prendre par le raccourci qui passe entre les maisons, il m’évitera un détour par la grande artère. Les jardins sont calmes ce soir. Les lumières filtrent à peine derrière les volets déjà fermés. Plus j’avance et plus le chemin devient étroit.

Je ne peux plus avancer à présent. Je ne peux plus reculer. Je ne peux plus faire un geste. Seulement remuer les bras de chaque côté de mon corps mais pourquoi faire. La pierre écorche ma peau. Je distingue la fin du chemin à quelques mètres. La pénombre envahit peu à peu les recoins. Il n’y a pas un seul passant. Derrière moi je ne vois plus la rue d’où je viens. Je ne peux tourner la tête.

Je ne dois pas paniquer. Doucement je recule un pied de quelques millimètres, mon corps ne suis pas ce mouvement, il ne répond pas à ma demande. Je lui demande juste de faire marche arrière, de revenir à la position d’avant, d’il y a quelques minutes. Dix minutes ? Un quart d’heure ? Je ne sais plus depuis combien de temps je suis immobile entre ces deux murs. C’est surement un mauvais rêve. Un cauchemar. Je ne suis pas là. Ce n’est pas possible. Mon cœur s’emballe. Il n’y a personne alentour.

Je hurle. Je hurle de toutes mes forces. Je suis ridicule et paniquée. Une fourmi vient près de mon visage. Je cris encore un « au secours » sans réaliser qu’il sort de ma bouche. Tout cela est irréel. Je cris à me casser la voix. Et je pleure aussi. L’humidité des murs me fait frissonner, mes bras immobilisés s’engourdissent. Des fourmillements remontent de l’extrémité de mes doigts. Peu à peu ma tête devient lourde, la fatigue l’emporte. Je dors quelques minutes, me réveille et appelle. Ma voix ne prononce plus très distinctement tous les mots, ils deviennent des plaintes, des râles. Quand vais-je me réveiller de ce mauvais rêve ?

Il lui semble entendre des bruits venant du fond du jardin. Comme un cri. Mais il n’y a personne ni dans le jardin ni dans celui du voisin. Elle a peine à s’endormir. Ce n’est pourtant ni le cri des pies du grand sapin ni le croassement des grenouilles de la mare du voisin. C’est un cri humain, elle l’entend encore. Il vient du fond du jardin, près du puits de pierre. Il est caverneux, rempli de peurs. Elle enfouit tout son corps un peu plus sous la couverture. Elle se souvient avoir entendu des histoires d’ancêtres tombés dans ce puits. Elle se souvient que sa grand-mère lui avait interdit de s’en approcher quand elle était petite.

Elle tend l’oreille. Le cri est devenu râle envahissant son sommeil. Au petit matin elle a à peine dormi.

Mon bras tire. Mon épaule me fait mal. J’entends des voix. Des voix proches. Je ne me suis pas réveillée de ce cauchemar. La pierre a refroidi tout mon corps. Je suis devenue rugueuse, presque sans vie. Je suis devenue folle. J’ai voulu passer par ce chemin étroit, j’ai insisté, j’ai avancé sans réfléchir, pour aller plus vite toujours plus vite. Je n’ai pas pris le temps de voir que je n’étais plus l’enfant qui se faufilait entre ces deux murs anciens aux pierres déstructurées par le temps.

Je suis devenue folle et j’entends des voix.Mon corps se soulève, s’allonge. Mon corps est devenu léger, sans entraves. La fatigue voile mes yeux gonflés de peur.

Elle l’aperçoit. Silhouette abandonnée aux mains des pompiers. Elle aperçoit son fantôme, ses peurs d’enfance. Elle était juste derrière son mur, juste à portée de main.

Fabienne

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