Marguerite et l’Enchanté.

Magritte Le blanc seing

Il était une fois la princesse Marguerite, qui éprise de liberté, partit dés l’aube, la veille de l’anniversaire de sa majorité, pour une longue promenade équestre sur son fidèle et fringuant hunter à sa somptueuse robe fauve.

Elle l’avait nommé René, alors qu’âgée d’à peine trois ans, elle s’était hissée pour la première fois sur son dos.

Le rythme de sa monture était si régulier, si harmonieux qu’au fil des heures de chevauchée, son esprit vagabondait bien loin des préoccupations du château.

Malgré tout, Marguerite savait que le lendemain elle devrait rencontrer Léopold, son promis depuis sa naissance. Il était le fils ainé du royaume voisin, l’ennemi juré de son père, avec lequel les conflits perduraient depuis plus d’un siècle.

Leurs noces étaient pourtant prévues au tout début de la saison prochaine.

Après la cérémonie, ainsi que le voulaient les usages et les conventions, elle irait vivre définitivement dans le château encore honni aujourd’hui. Grace à leur contrat de mariage, la paix serait enfin scellée, les belligérants deviendraient alliés et les guerres qui dévastaient régulièrement les deux peuples cesseraient.

Marguerite avait pleine conscience de l’importance de sa mission.

Néanmoins, ce matin, sans l’aide d’aucun domestique, elle avait revêtu son ensemble gris de cavalière, jupe souple, veste ajustée. Elle avait déposé une petite coiffe toute simple, mais néanmoins assortie, sur ses cheveux blonds relevés en chignon, avait enfilé seule ses bottes, pris ses gants et était partie pour une ultime randonnée sur les terres de son enfance.

Les réflexions de Marguerite s’égaraient de trots enlevés en galops effrénés.

Elle goûtait à l’allure de René qui répondait à chacune de ses vibrations avec docilité et élégance. Elle-même ressentait avec finesse les moindres nuances de sa monture et savait agir avec subtilité.

De la flexion prononcée de ses hanches, elle le rassemblait créant ce parfait équilibre entre engagement et allégement.

Elle descendit une main gantée de blanc, ouvrit les doigts, caressa son encolure, le cajolant d’une voix douce.

Ainsi, dans l’allongement de l’allure, se poursuivait le fluide dialogue entre eux, quand, devant elle, se dressa une forêt qu’elle n’avait jamais vu jusqu’à ce jour, bien qu’elle en eût souvent entendu parler.

C’était le bois dit du Blanc-Seing.

Depuis son plus jeune âge, les voix s’élevaient pour assurer qu’il fallait à tout prix éviter de le traverser. Sinon, malheur aux inconscients qui ne pourraient que regretter les charmes maléfiques dont ils ne manqueraient pas d’être frappés.

La princesse Marguerite, au demeurant si sage, si docile, se sentit gagnée d’une âme joueuse, à laquelle par cette belle et dernière matinée chez elle, elle ne put résister.

Ainsi, haut perchée sur son hunter René, elle pénétra, au pas lent, dans le bois enchanté.

Au début, rien ne se passa.

Marguerite en fut presque déçue. Elle poursuivit cependant son avancée dans l’humidité du sous-bois sombre.

Aussi étrange que cela puisse paraitre, relevant l’avant-main, elle s’aperçut que, dans l’encolure de René se découpaient d’étranges bandes de matières, laissant apparaitre l’herbe grasse et les branchages avoisinants. Comme des bandes de papier d’une image qui auraient été verticalement déchirées.

Puis, ce fut le tour de sa main gauche de disparaitre pour réapparaitre quelques instants plus tard.

Chacune de ces lacérations s’accompagnait d’un bruit strident ressemblant à un bourdonnement d’essaim en folie.

Loin de se sentir inquiète, Marguerite s’amusait beaucoup à être ainsi visuellement découpée en tranche au son de quelque musique inconnue.

Elle continua à s’enfoncer dans le bois se demandant ce qu’elle allait encore découvrir.

Le hunter fauve franchissait la lisière d’une paisible clairière lorsqu’une pluie continue d’hommes lui tomba dessus.

Le cheval prit peur, rua et la désarçonna. Marguerite se retrouva à terre.

Les hommes étaient similaires comme des gouttes d’eau.

Le regard vide, habillés de curieux manteaux mi longs et noirs, de pantalons noirs, coiffés de chapeaux melons noirs, ils se tenaient tous immobiles, très droits pendant la descente jusqu’à l’humus, où ils chutaient dans un silence fracassant avant de s’agglutiner en tas immondes, les uns sur les autres.

Marguerite leva la tête. Le rideau d’Homme-Goutte-de-Pluie continuait de tomber sans discontinuer couvrant le ciel de ténèbres.

Marguerite essaya de se frayer un passage pour se mettre à couvert sous le bois.

Impossible.

Des monceaux d’Homme-Goutte-de-Pluie affalés sur le terrain empêchaient toute fuite.

Elle releva sa jupe et se couvrit la tête pour se protéger.

C’est alors, qu’un de ces Hommes-Goutte-de-Pluie, mais celui-ci vêtu, différence essentielle que Marguerite ne put remarquer, d’un costume brun et non d’un costume noir, descendit du ciel d’ardoise. Alors que ses pieds frôlaient le sol, sa tête s’illumina. On aurait alors juré un Homme – Ampoule.

En un éclair, la pluie d’hommes cessa.

Aussitôt, Marguerite, tremblante, la tête toujours protégée du tissu de sa jupe sentit sur sa bouche l’imprévisible effleurement d’un baiser voilé.

Il avait le goût sucré du secret, la douceur d’une aile de papillon et la passion d’un fauve. Les lèvres pures de Marguerite aimantées à celles de l’inconnu se délectaient de cette enivrante caresse. Elle respirait son souffle grisant qui, à chaque inspiration, emplissait son cœur d’une ardeur si puissante qu’il se mit à battre à tout rompre.

Totalement envoutée, Marguerite ne pouvait se résoudre à se détacher de l’étreinte.

Au seuil de l’extase, elle défaillait.

Sans crier gare, un léger hennissement s’éleva. Sur le champ, Marguerite reconnu René.

Reprenant ses esprits, elle retira promptement, le tissu de son visage et découvrit à ses côtés, un élégant jeune homme à la longue chevelure rousse et bouclée en habits blanc immaculé.

Les yeux dans les yeux, les jeunes gens se sourirent. Le charme continuait d’opérer.

Ils se levèrent et après avoir escaladé, main dans la main, les collines noires d’Hommes- Goutte-de-Pluie, ils prirent la direction de l’ouest, opposée au bois. 

Tapis dans son coin, l’Homme-Ampoule brillait toujours de mille feux.

Dans la douceur du couchant, alors qu’ils s’éloignaient tendrement vers le haut d’une falaise, René lui conta sa terrible histoire.

Il était le prince héritier du royaume situé au-delà des bras de mer au nord du Territoire.

Dès son berceau, à cause d’une sombre histoire d’omission d’invitation à son baptême, il avait été ensorcelé par un haineux oncle lointain, un terrible sorcier à la vengeance redoutable.

Jaloux de la beauté inégalée dont allait se parer l’enfant à l’adolescence, un corps fort et puissant au visage d’ange, l’effroyable mage l’avait condamné à se soumettre à une vie d’équidé inlassablement vendu, passant de main en main, de château en château.

Ainsi, tout au long de ses errances, pénibles périples, avait-il été témoin d’attitudes peu glorieuses de la part de la noblesse lors des chasses à coures. Il avait aussi dû supporter le poids des lourdes armures, du heaume et du bouclier, endurer les caprices et la stupidité de certains cavaliers. Maintes fois blessé par les lances au cours des joutes ou des combats sans merci, il avait, sans relâche, rusé avec habileté pour échapper de justesse à la mort lors des tournois, lorsqu’il était, en plein galop, poussé à l’entrechoc de face, par la violence aveugle de chevaliers vaniteux.

Il n’était voué à n’être libéré de ce cruel sortilège que par l’amour pur et sans ombrage d’une princesse audacieuse.

Ce qu’elle fut, sans équivoque, lorsqu’elle franchit la lisière du bois blanc-seing et l’extrême pureté de son baiser avait définitivement achevé de dissiper le maléfice.

René ne la remercierait jamais assez pour son courage. Il lui jura une reconnaissance éternelle. Mais surtout, il avoua que, pendant toutes ses longues années à ses côtés, il avait brûlé d’un amour éperdu pour elle. Ce qui l’avait consolé de son mauvais sort.

Pendant toute l’évocation de ce triste récit, la vive lumière enchantée de l’Homme-Ampoule provenait toujours de la clairière. Elle éclairait les amoureux qui, à leur insu, poursuivaient ainsi leurs métamorphoses.

Tout à leur idylle naissante, uniquement concernés l’un de l’autre, ils déambulaient le long d’une côte dont Marguerite n’avait jamais eu connaissance mais, à cette heure, peu lui importait. Jetant un regard vers le large, elle vit un magnifique trois mats croiser à l’horizon.

Curieusement, dans cette soirée sans brise, il voguait toutes voiles dehors vers les terres du sud.

Lorsque René l’aperçut à son tour il fut surpris, l’espace d’un instant, de reconnaitre l’emblème de son royaume sur l’étendard du beaupré.

Ils descendirent à pas lents, sur un bord de mer bordé d’obscurs récifs acérés et périlleux, accompagnés du bourdonnement tumultueux de l’océan. Subjugués par leur amour, les deux jeunes gens s’assirent sur un rocher. Alors qu’ils se tenaient étroitement enlacés dans les bras l’un de l’autre, ils furent pris, dans un même élan aussi soudain qu’inexpliqué, d’une puissante envie irrésistible.

Ainsi, contre toute attente, se mirent-ils à chanter de concert comme deux tourtereaux éberlués. A chaque variation de la mélopée, une transformation s’opérait en eux, sans qu’à aucun moment, ils ne puissent inverser le cours des choses.

Bientôt, ils furent nus. Leur peau lourdement épaissie se couvrit d’écailles noires et luisantes. Leurs bras se transformèrent en de larges nageoires. Leurs têtes prirent la forme de poissons. Vigile au-dessus des flots, leur chant aussi mélodieux que celui des sirènes s’éleva haut et clair. Soudés dans leur étreinte chorale, ils observèrent, impuissants, démunis, le trois-mâts, bâbord amure, se diriger droit vers eux et quoique toutes voiles rabattues, se rapprocher à une allure vertigineuse des récifs. Inexorablement attiré vers l’inéluctable.

Magritte the song of love

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