logorallyes compil

BELLE LIBRE.
Marceau

Je ne voyais pas le temps passer.
Toutes ces heures d’ennui à se morfondre au fond de ma cellule sombre et sinistre, seul et
accablé. Mais voici, enfin, le jour est arrivé. Le grand jour. Celui de ma belle. Si elle réussit, à
moi la liberté.
Après tant d’années de solitude, à sentir les parfums, que dis-je, supporter les miasmes
putrides d’urine et de mort émanant des geôles contigües, à encaisser des voisins leur
grasses plaisanteries d’un gout douteux, à entendre bien malgré moi, le récit des rêves
inassouvis d’étrangers, ou celui de leurs ‘légendes martiennes’, imaginées à haute voix, sans
vergogne.
Bientôt, j’arpenterai dans la nuit Mozambique les dunes infinies de mon inconscience, léger
et serein, en paix, les mains libres de toute entrave, de ces chaines façonnées pour meurtrir.
L’heure de ma résolution approche, et, soulagé, je m’offre le luxe de rêver. De rêver au
temps où mes enfants riaient de leur bonheur en classe de neige, insouciants, sautant
comme de cabris, chantant à l’unisson leurs prénoms d’amour à la ronde.
Demain, je serai sur la route d’Ithaque, non pas sur le retour, mais pour un voyage infini. Je
serai loin de cette forteresse aux murailles oppressantes, hérissonnées d’échauguettes
menaçantes.
Bientôt, je serai libre. Mon journal touche à sa fin. Journal de manoeuvres, de
dissimulations, interrompu sans cesse de qui-vive et d’alertes toujours renouvelées. Mon
cauchemar.
J’espère que mes enfants le recevront un jour. J’ai soudoyé le geôlier corrompu pour qu’il le
fasse sortir de ce trou, et le leur expédie sans délai. Je l’entends ; le voilà trainant ses
godillots sur les dalles humides, dans la démarche de conspirateur. Il faut dire que, lui aussi
risque gros, et je lui laisserai volontiers ma place en remerciement, mais avant, de grâce,
qu’il accomplisse sa forfaiture.
Fébrile, j’écris ces derniers mots : demain, je serai libre.

L’OISEAU

L’oiseau regardait avec attention autour de lui : il était en mauvaise
posture d’où il devait s’extraire en urgence. Sa survie dépendait d’un vol
d’évitement, efficace et rapide. Il cherchait une voie de sortie, pour piloter
sans coup férir vers un havre salvateur et leurrer le terrible épervier qui
guettait, fébrile et alléché, le passage du volatile. Notre kamikaze se sentait
plein de courage et se tenait prêt à la riposte.
Le prédateur s’impatientait de l’inaction de son festin pressenti et se
prépara à l’attaque. Celui-ci (le festin), prit conscience que ses chances
allaient en diminuant rapidement. Encaisser le choc de l’assaut lui serait
fatal. Il fallait bouger au plus vite. Avant que la messe ne soit dite et que la
musique n’entame un requiem morbide.
Il se lança alors, comme une flèche, dans une fuite éperdue, en un vol
frénétique de vie ou de mort. Le rapace le vit passer en trombe sous ses
yeux éberlués. Sa proie, tant espérée, n’était plus pour lui que souvenir.
Notre ami, échappé de justesse aux griffes acérées du croquemitaine
(bien réel à en juger les battements de son coeur), se posa au loin, sur une
branche hors de danger. Soulagé, fier de lui, il se loua pour son courage et
sa bravoure. Il s’imagina lieutenant dans la série « les têtes brûlées », ou
mieux, héros de cinéma dans le rôle principal du scénario dans « le plus
haut chapiteau du monde ».
Oublieux du terrible péril maintenant évanoui, il estima, volage, qu’
une récompense lui était due. Une gâterie fraîche et tentante, comme la
nature en prodigue tant, était amplement méritée. Il avisa, non loin, une
fraise bien rouge, bien dodue, appétissante à souhait. Il sautilla, guilleret et
léger en direction de la haie verdoyante, où l’attendait le fruit convoité.
Mais voici. Tapit sous les feuillages, les vibrisses frémissantes, prêt à
bondir, Matou aussi avait faim.

RENDEZ-VOUS
Mélanie

J’ai rendez-vous avec cet instant demain matin. Il me semblait si clair qu’il rappelait cette terrible saveur, probablement oubliée, enfouie, qui remonterait des surfaces sombres, telle une poupée aux yeux hagards, qui scrute le plafond, qui connait la langue mais ne dit mot.
Renaître un peu chaque jour, savoir et voir, s’engloutir dans des couvertures trop chaudes mais si petites, y respirer l’air que toujours l’on clone, gouter aux volutes de l’âme sans jamais être étourdie, aimer sans tergiverser.
S’autoriser les parenthèses où chacun parlerait des idiomes inconnus ; traverser les tempêtes en souriant ; toujours la lanterne au fond de l’oeil. Cet oeil fou qui transpercera le choix. Une bouteille perpétuellement lancée à la mer de soif. Reviendra-t-elle un soir ? Se blottir aux creux des reins ? Au creux des ombres formées par la bougie ? Enfin, seulement, elle pourra naître à cet instant.

Andrée.

Lorsque j’ouvre la fenêtre, c’est la verdure qui emplit mes yeux et cette quiétude paisible me met en position de supporter ce fait nouveau : je suis seule.
Oui, toute seule pour ces quatre jours à venir. Que vais-je faire ?
Je referme la fenêtre et en chantonnant je vais faire ma toilette. Encore ce sentiment de bien-être. Le bain, le shampoing, la buée sur les miroirs me font ressentir le duveteux, comme si les nuages étaient là, m’enveloppant de leur tiédeur mouillée.
Puis, à la cuisine, j’attrape la corbeille des confitures où le miel concurrence l’abricot, l’orange, la fraise.
J’installe une nature morte, tableau du petit-déjeuner : théière, tasse soucoupes et mes pains divers que je vais choisir…Tiens, la cloche de la chapelle voisine sonne huit heures. J’ai bien fait de me lever tôt. La journée, le week-end sont devant moi, sans bruit ni querelle.

LA FEUILLE
Thérèse.

La feuille s’était détachée, elle tourbillonnait suivant une verticale impeccable.
En montant, elle continuait à bavarder le long du tronc de l’arbre.
Pas besoin d’échasses, dans une confiance totale, elle atteignait les cimes.
Tourbillonner était son mot d’origine, insaisissable, sans support.
Elle n’avait aucune envie quand elle regardait, émerveillée,
ce funambule évoluer au dessus de la foule.
Ses souliers étaient cirés de noir, ils contribuaient par leur signe insistant
à tenir en haleine ces voyeurs enchantés.
Auraient-ils des yeux aussi brillants, des crampes de chaleur
en contemplant les risques naturels de sa condition végétale ?

LE MARCHE.
Claude D.

Au marché, je choisis quelques tomates cerises, ces mini-légumes ne pèsent pas lourd dans la balance mais coutent chers. Julien s’impatiente dans sa poussette et agite son hochet dans tous les sens. Il est pâle et nerveux. Ca y est il hurle. Il n’aime pas quand il y a du monde et du bruit. Comment réagir ? Laisser faire et il finira par se taire ou le prendre dans les bras. Je l’ai pris et cela fonctionne bien. Plus aucun son désagréable, ne sort de sa petite bouche. Il est tout content de dominer les étals. Les pommes rouges ont sa préférence et il essaie de les attraper. Non Non Julien c’est moi qui fais le marché, pas toi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.