Il y a eu Cléopatre, il y a eu Cendrillon, il y a eu Dalida, il y a eu la Castafiore, il y a eu les abeilles et maintenant il y a moi.
Je serai cette année la tombeuse la plus rapide et sur le prochain tableau de chasse, j’aurai la plus belle proie.
Je suis la femme la plus équilibrée de la place, la plus calme, la plus superficielle et mon travail consiste à fabriquer du regard appuyé.
Toutes les grandes séductrices fabriquent du regard appuyé.
Séduire plus vite c’est d’abord séduire autrement de façon à semer l’inquiétude et le doute.
Faire peur.
Séduire de telle manière que les autres soient persuadées que vous allez vous prendre un râteau jusqu’à ce qu’une génération entière séduise comme vous.
Dans une vie de séductrice, on ne peut inventer qu’un regard appuyé génial et un seul.
Les abeilles sont arrivées dans la place avec la réputation de «Aïe Aïe Aïe» et deux milles ans plus tard toutes les femmes séduisaient comme elles.
Maintenant il y a moi.
Être une grande séductrice est un état qui exige une maîtrise absolu de soi-même et une abnégation totale.
Je séduis à temps plein.
Je séduis en m’installant en terrasse des cafés dès qu’il fait beau.
Je vis avec un miroir de poche dans la main pour mieux séduire.
Je souris au livreur de journaux gratuits et au boulanger parce que je sais qu’ils m’aident à séduire.
Je suis aimable avec la boulangère qui n’est qu’une idiote parce que je sais que cela m’aidera à séduire son mari qui me lorgne.
Prenez deux femmes à égalité d’apprêts et de charisme sur la même proie, mettez les à côté l’une de l’autre et c’est toujours moi qui séduis le plus vite.
Le lissage du cheveu impeccable, je le fais trois fois par jour. La gestuelle qu’il faut maîtriser sur le bout des doigts, je la refais tous les soirs avant d’aller me coucher.
Je sais toutes les rues de mon quartier au centimètre et à deux à l’heure je les arpente au ralenti.
Je me prépare aussi pour la descente en talons hauts des escaliers de la salle de sport où l’on peut facilement avoir une cheville tordue ce qui permet à Cindy, la pétasse blonde d’avoir la meilleure place au cours de fitness.
Tout compte dans votre carrière. Un jour l’essentiel devient votre sourire. C’est le sourire qui fait la victoire.
Vous avez choisi le rouge à lèvres idéal, vous avez épilé vos sourcils, vous vous êtes mis sur votre 31, choisi votre plus belle robe et vous avez perdu le fil de votre conversation avec le chauffagiste venu réparer votre chaudière parce que vous vous êtes demandé si votre sourire était ravageur.
Quand je dors, je séduis quand je mange je séduis.
Je positionne mon corps, j’étudie mes expressions.
Pour mes attitudes et mon sourire je suis intraitable. Je porte sans cesse autour de la bouche la marque de mon rouge à lèvres. Lorsque mon parfum «animale » se libère sur mon lieu de chasse, il libère des tonnes de séduction.
Après il reste une séductrice dans la place qui n’a plus ni yeux ni tête ni jambes et qui séduit pour atteindre l’homme plus vite que les autres femmes.
C’est la règle.
Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai séduction, de séduction ultime. L’art de la séductrice.
Vous avez réussi à capter l’attention de votre proie et vous faites cette minuscule erreur de trajectoire, cette petite faute stupide (qui n’est pas d’inattention puisque les séductrices ignorent l’inattention) qui vous fait prendre les pieds dans le tapis.
Et là c’est le vrai repos, le repos immense.
Vous avez déjà perdu l’équilibre, puis très vite vous vous sentez ridicule.
Plus rien n’a d’importance, vous n’êtes plus séductrice, votre regard se relâche, votre sourire se crispe, vous savez que vous allez passer pour une conne.