Chanter
Si on connait la chanson, on peut la chanter à tue-tête, la fredonner, ou chantonner, en chœur, à l’unisson, en solo, en duo, en canon. Mais encore faut-il chanter juste, en cadence, en harmonie, sans fausse note.
Pour ceux qui chantent faux, ou qui ont une voix de crécelle, mieux vaut entonner des chansons paillardes, des chansons de marins, brailler, s’égosiller, s’époumoner ou même hurler, jusqu’au chant du coq.
Si ça vous chante, ou si vous ne savez faire que chanter, devenez chef de chœur, ou professeur de chant. Faites chanter les autres, entrainez ténors, barytons, divas et sopranes aux belles voix de sirènes. Faites chanter, mais sans devenir maître-chanteur, le chant exige de la pureté. Chantez de concert, donnez de jolis concerts, vocalisez, modulez votre chant, donnez de la voix de façon mélodieuse. Qu’il s’agisse de chants religieux, profanes, grégoriens, d’un hymne, d’une ritournelle, vous aurez toutes les chances d’enchanter votre auditoire. On vous dira « chantez encore » mais jamais « chante toujours (— beau merle —).
Les oiseaux chantent, et magnifiquement. Ils gazouillent, pépient, piaillent, roucoulent. Ils chantent la vie, l’amour et la beauté du monde. Le coq chante pour annoncer le début du jour, et ce n’est surement pas par hasard qu’on l’a souvent appelé « Chantecler ». Pourtant, s’il évoque la coqueluche, ce n’est que du poulailler… Quant à la poule, il est de bon ton depuis des temps immémoriaux qu’elle ne « chante pas aussi haut que le coq » (Noël du Fail – milieu du 16è siècle). Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? C’est une autre chanson !
Le chant n’est pas réservé aux seuls êtres vivants : Le pain chante en cuisant. L’eau chante avant de bouillir (ce ne sont que les humains qui chantent quelquefois comme une casserole). Les fontaines, les cascades, les rivières et les ruisseaux nous font partager le chant de l’eau. Pour Rimbaud « C’est un trou de verdure où chante une rivière ».
La langue elle-même peut être chantante, par sa tonalité, par son accent particulier. On chante les louanges de quelqu’un d’exceptionnel. La voix ensorcelante d’un chanteur de charme nous impose silence. Le tout petit s’endort paisiblement lorsque sa mère lui chante une berceuse.
On déchante parfois. A une personne racontant des sottises, on dira « mais qu’est-ce que tu me chantes là ? ». Et si elle continue, on lui reprochera de chanter toujours la même chose, on lui demandera de chanter sur un autre ton, pour lui clouer le bec, et lui rabattre son caquet. Elle n’aura plus qu’à la mettre en sourdine, et ne plus desserrer les dents.
On pourrait supposer que le chantre soit irréprochable : outre qu’il chante aux offices religieux, il représente l’anagramme du mot chanter. Pourtant, si l’on en croit Alosyius Bertrand (Gaspard de la nuit – 1842) «Trente moines, épluchant feuillet par feuillet des psaumes aussi crasseux que leur barbe, louaient Dieu et chantaient pouilles au Diable ».
Plus poétique, Alfred de Musset écrit : « Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer », ou Sophocle : « N’est malheureux que celui qui ne sait pas chanter ».
Pas question de chanter victoire. Remettons à plus tard les chants funèbres et autres chevrotements, construisons-nous des lendemains qui chantent et mettons en pratique les derniers mots de la fable de La Fontaine : « Vous chantiez, j’en suis fort aise, et bien, dansez maintenant ! ».