roman d’amour

le lampadaire et le goéland            16 novembre 2015

Je vis pas loin du port, prés de la grève vaseuse, dans les embruns iodés et le parfum des varechs qui sèchent, je suis bercé par le va et vient des vagues.

Delà ou je suis, je vois une grande partie de l’île plate, ses champs d’artichauts à droite et à gauche les bateaux bien sur, le port plus loin avec le phare orgueilleux à l’ouest.

Je fais le pied de grue depuis plus de 30 ans à cette place, que je ne partagerai pas pour tout l’or du monde. Je suis indispensable :

L’été je veille sur les amours estivales des adolescents et quand vient l’hiver, je donne de la chaleur dorée au port, je guide les écoliers dans le brouillard de novembre et montre aux vieilles femmes en noir le chemin de l’église pour la messe du matin.

Je suis modeste, mais régulier ; Toujours prêt au service au bon moment, à la tombée du jour ; je ne suis pas comme le gros prétentieux de l’autre coté du quai…Lui il ne travaille que par saccades, il a une tête giratoire, et se croit obligé d’aveugler tout le monde!et ça prétend être sauveur de vies !!!

 

Dans ma famille, il y a eu d’illustres ancêtres, d’autres plus modestes ;

Il paraît qu’une bougie en cire véritable figure dans notre généalogie, et qu’il y a eu aussi des lampes tempête.

Une branche de la famille aurait été sémaphore, dieu soit loué, on les as perdus de vue !

Mon grand père était réverbère, un lampiste était à son service ;

La génération de mes parents a été celle du baby boom de la fée électricité :

ma mère a été une des premières ampoules au néon et mon père était fort en watt.

Et me voilà,je suis le lampadaire du quai Théodore Botrel sur l’île de batz.

 

Moi je t’ai aimée alors que tu était encore toute petite, goéland juvénile,grise avec ta tête trop lourde, ton duvet ébouriffé. Ta mère guidait ta première sortie. Tu avais une démarche hésitante mais si émouvante!Absorbée, concentrée, tu ne m’a même pas vu.

Toi je t’ai aimé tout de suite, alors que ta famille m’était insupportable : leurs cris, leur manque d’éducation avec ces fientes blanches qu’ils laissent partout, leur habitude de suivre les bateaux pour se nourrir des déchets des marins.

Tu était différente, fragile mais volontaire. De là ou je suis, j’ai vu tes premiers vols quand tu es devenue adolescente, et j’aurai aimé applaudir et taper des pieds quand tu as pêché ton premier poisson.

Toi tu m’a aimé aussi, cette nuit noire déserte, ou tu es restée blottie à mes pieds sous la pluie battante.

Puis j’ai vu ton plumage blanchir, tes ailes devenir larges et puissantes ; Je t’ai vue planer sur le port, sans effort, posée sur le vent.

J’ai aimé chaque fois que tu restait pensive sur la digue à regarder la mer ;

J’ai aimé chaque fois que ton œil rond se posait sur moi ;

J’ai aimé te regarder lisser tes rémiges avec ton joli bec jaune;J’ai été touché par cette petite tache rouge posée avec délicatesse sur ton bec.
J’ai adoré quand tu passais au dessus de ma tête avec ton cri mélodieux, si diffèrent des autres.

Et puis, il y a eu ce jour que je n’oublierai jamais, ou tu m’a abordé.

Tu es venue vers moi, m’a caressé de tes pattes, couleur de soleil. La douceur infinie du contact intime de cette peau tendue entre tes doigts palmés, le contraste excitant de tes ongles sur mon crâne .

Tu as pris l’habitude de passer le longues heures ainsi ; dans le silence ,tous les deux nous regardions ensemble dans la même direction ; Saint Ex. a dit que c’était le définition de l’amour…

Avant de venir me rejoindre,ou quand tu repartais, tu me saluais avec ta voix inimitable et je sentais ma structure métallique trembler d’émotion.

Un jour, dans un orgasme amoureux, tu m’a fais don d’une blanche déjection tiède. Depuis, je la porte fièrement, preuve de notre amour.

Et il y en a eu d’autres….

Les mouettes, les fous de bassan se détournaient de ce couple dont ils devaient être jaloux ;

Toute le famille des réverbères, et celle des laridés s’opposaient à notre union, et puisque je suis un lampadaire littéraire, je te le dis, notre idylle contrariée par les origines et le milieu social, c’était celle des Capulet et des Montaigu.

Il arrive que des goélands fréquentent des lampadaires, mais il n’y a pas de liens entre eux ; pour les goélands, les lampadaires ne sont qu’une étape, un promontoire d’où ils peuvent guetter l’océan.

Mais toi et moi c’était autre chose ; Notre amour grandissait et un jour tu as même laissé tomber une plume à mes pieds.

 

J’ai détesté quand tu as suivi le bateau de touristes en août jusqu’à Roscoff ;

J’ai détesté quand tu es allée jusqu’à Mogueriec en suivant le bateau chalutier de Tanguy ;

J’ai détesté les moqueries de tes frères quand tu n’étais pas là ;

J’étais seul, aucun oiseau de mer n’avait de charme pour moi ; même le chant du merle au printemps n’avait plus le même charme;

Mais tu revenais, tu m’aimais à nouveau, placée en vigie dans mon ciel, et ma lumière était plus vive ces soirs là ;

J’ai détesté quand tu es venue vers moi avec une de tes copines ,que vous avez criaillé toute une après midi sans que tu me jette un regard de ton œil rond ;

J’ai détesté quand les ornithologues ont débarqué en avril ; tu crois que je ne t’ai pas vue effectuer des piqués savants devant eux ?

Tu crois que je ne t’ai pas vue jouer à faire la star comme ce goéland au sujet duquel avait été réalisé le film « Jonathan Livingstone le Goéland » ?

Tes cris sont devenus rauques, tu passais de plus en plus de temps en mer et un jour je t’ai vue, posée sur le parapet de phare !

Ça je ne peux pas l’accepter, que peux tu trouver à ce prétentieux au cœur de pierre ?

Puis un goéland mâle est venu aussi sur le parapet, vous êtes partis un jour ensemble, aile contre aile, vers le continent.

 

J’aurai voulu mourir,

j’aurai voulu pleurer,

mais je suis resté stoïque, droit et fier, avec ma dignité et mon devoir de lumière.

 

Que reste t il de nos amours ?

Des souvenirs nostalgiques,

une plume qui s’effrite, perdant sa douceur ouatée,

une calvitie précoce sur ma tête, rongée par une croûte blanchâtre, durcie et acide,

quelques vers d’un poète qui me trottent dans la tête : « avec le temps va, tout s’en va….. »

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