mars 2016
Les buffets sont habités. Tout un monde s’y est développé à l’abri des regards des humains.
Il s’agit d’un univers miniature avec ses propres systèmes sociaux, des mondes parallèles qui s’ignorent.
Chaque meuble, chaque étagère, chaque tiroir recèle un mode de vie particulier.
On ne peut pas trouver de fil conducteur entre ces univers, si ce n’est la toute petite taille des êtres qui les peuplent.
Réduisons notre focale pour entrer dans le buffet de Madame Berthe et faire la connaissance du petit peuple des siettes.
Notre interlocutrice, Melle Vessel explique le mode de vie de son peuple.
« Nous vivons dans une HLM.
Dans nos maisons, lisses, plates, chaque famille a son étage.
Nous, peuple des siettes, connaissons des continents voisins : il y a les creusiettes et les ptisiettes ; Ils sont parfois étranges mais nous arrivons à communiquer ; les creusiettes ne sortent jamais de chez eux, de hautes barrières les en empêchent.
Notre vie est tranquille, chacun vaque à ses occupations ; nous sommes pacifiques, mais assez individualistes, tout se passe sur un seul étage de l’HLM ou nous vivons en famille ;
Sur l’étage qui est le logement d’une famille cohabitent une quinzaine d’individus d’age et de réserve d’énergie très différents.
Les plus faibles qui se déplacent peu, sont chargés d’instruire les plus récents ; ceux-ci débordent d’énergie, ne veulent pas l’économiser et rient quand les faibles leur conseillent de ralentir ; ils courent partout, jouent, posent des questions, et comment, et pourquoi, et veulent aller voir dans les autres étages ;
Il y a des appartements agités, d’autres ou les membres sont artistes : musiciens, peintres….
Il y a des intellectuels qui font des études : parfois littéraires, ou philosophiques sur le sens de la vie.
Nous vivons là depuis toujours, les caractéristiques des familles restent les mêmes sur plusieurs générations ;
Notre culture est orale, les informations sont transmises par les faibles aux récents, parfois semble t il de façon approximative, tant certaines informations véhiculées relatives à d’autres étagères semblent impensables !
Notre durée de vie est relativement courte à l’échelle des zumains :
Chaque individu vient au monde avec des ressources qui autorisent une durée de vie ; celle-ci s’achève quand la ressource est tarie ;
Nous pratiquons une régulation de la procréation pour pouvoir continuer à cohabiter dans l’espace qui nous est réservé et ne pas gaspiller les ressources en énergie vitale.
Lorsqu’un faible a terminé son laps de vitalité, il disparaît d’un plop et un jeune apparaît à sa place ; il est exceptionnel que 2 jeunes remplacent celui qui a disparu, mais cela arrive parfois, et se répète sur des générations ;
Lors du plop final, les faibles laissent un petit grain minuscule et en cas d’épidémie les zumains parlent de poussière et ne semblent pas contents.
Ma famille, est une famille d’aventuriers ; j’ai entrepris des études d’anthropologie et je voudrai explorer les autres univers. »
Me voila, devant le monstre qui a éliminé tous les membres de ma famille, Il est dans la lumière et je sais quel est son point faible.
Soit je le tue au risque d’alerter les zumains, risque majeur quand on sait combien ils sont puissants et imprévisibles ; comment envisager les conséquences d’un tel acte ?
Soit je lui laisse la vie sauve mais je porterai alors la culpabilité de l’anéantissement de mon peuple et j’y passerai aussi……
Il reste peu de temps, je pourrai peut être faire appel aux habitants du monde clôt, m’associer avec eux.
Je me souviens bien de notre rencontre :
Après mes études d’anthropologie, j’étais partie en exploration du monde du buffet.
J’avais fait de grandes découvertes, beaucoup de choses étranges, que je ne comprenais pas toujours.
D’abord, j’avais rencontré ceux qui vivaient dans des maisons individuelles, transparentes, sans aucune intimité. Il étaient munis de ventouses à la place des mains pour sortir de leur drôles d’appartements ; ceux qui parmi eux s’appelaient avin sortaient souvent dans la lumière des zumains et ils m’avaient enseigné bien des choses sur les zumains ; c’est en partie grâce à eux que je sais qu’ils sont puissants, et qu’ils provoquent des catastrophes.
Un jour, je m’étais aventurée dans une grotte sombre, source de cauchemars avant de finir par comprendre.
C’était le territoire d’un peuple légèrement hostile, nous ne pouvions pas communiquer. Puis j’ai rencontré Paulo, nous avons sympathisé et il m’a introduit auprès des siens le monde clôt du tiroir.
C’est un univers ténébreux est multiple. Les zumains n’y interviennent quasiment pas, mais quand cela arrive c’est une liquidation. Ils ont donc mis au point des techniques de résistance :
Paulo et ses copains habitent dans une forêt de bois appelée curdent ; De vraies armes aiguisées dont ils se servent avec dextérité. Ils s’entraînent quotidiennement.
Je suis revenue chez moi avec toutes ces connaissances. Je rêvais de raconter mes aventures.
Hélas, à mon arrivée un monstre sanguinaire avait décimé ma famille entière et bien des voisins.
Les rares survivants, traumatisés m’avaient raconté les rafles, les déportations et le bruit des mandibules à l’œuvre pour détruire et anéantir notre monde ;
L’univers entier du buffet était menacé.
Une blatte s’y était installée et elle avait pondu des œufs immondes.
Depuis c’était la guerre, inégale : elle détruisait tout, les miens ne savaient plus que se cacher, se terrer.
Il fallait faire vite, avant l’éclosion des œufs, avant qu’une colonie ne s’installe.
Alors, je suis partie pour supprimer le monstre puisque c’était mon destin d’être aventurière.
Je l’ai suivi, j’ai observé son mode de vie.
J’ai fini par comprendre comment il se déplaçait, qu’il redoutait la lumière et surtout que l’espace étroit entre son thorax et sa tête était le seul sans carapace, le seul ou nous pourrions éventuellement planter le pal de mes amis du tiroir.
Mais, si je ne doute pas de l’adresse de Paulo et de sa bande, que faire du cadavre? Il est trop massif pour que nous puissions nous en débarrasser.
Cette occasion, lumière qui aveugle le monstre, proximité du tiroir, ne se représentera peut être jamais ;
Alors je les ai appelés ;
Ils sont venus immédiatement, ils ont visé, le curdent a transpercé le monstre qui est tombé et a cessé de bouger après quelques soubresauts.
Nous sommes sauvés !
J’ai réintégré le monde des siettes, je suis accueillie en héroïne ; avec quelques rescapés nous envisageons de reprendre notre vie, repeupler nos HLM.
C’est alors qu’un hurlement terrasse l’ensemble des mondes du buffet sur toutes les étagères.
A n’en pas douter, c’est le cri d’un zumain ;
un zumain femelle, qui a découvert le cadavre du monstre.
Je ne comprend pas ses mots : “désinsectisation “
Un brouillard de particules létales nous asphyxie. Je..ne …sais..plu…………