Le Jardinier du souffle
Vous devez vous demander indubitablement, pourquoi je suis devenu jardinier du souffle. Je suis né dans une contre-allée, là comme cela, près d’un parterre de fleurs. Mon premier souffle vite éteint. Sauvé grâce à un verre de Calvados que mes parents m’ont fait ingurgiter de manière impérative.
Vous vous interrogez pour savoir comment je fais pour labourer, serfouir, biner voir émotter le souffle. Rien de plus simple, c’est un don. Cela n’étonne en rien mon psychanalyste, pour un enfant qui a failli mourir étouffé à sa naissance. Très jeune au jardin d’enfant, je me suis promis d’être le semeur et éleveur de souffle pour les autres, afin qu’ils puissent vivre dans un paradis terrestre, l’Eden où personne ne pourrait manquer d’air.
Au printemps, après vous avoir arrosé, ratissé, drainé, rien de plus beau que d’écouter votre souffle siffloter près de vos lèvres, vous voir respirer à pleins poumons. J’aime sentir ce vent tiède et doux s’échappant de votre bouche. Me rendre compte que mes semis ont bien poussé, toutes ces senteurs du jardin que j’ai su cultiver en vous.
Bien sûr l’effort du grattoir de la serpette ou du crochet me fatigue un peu en nettoyant tous vos corps intérieurs pour que votre respiration se fasse le plus calmement du monde, que j’en sacrifie parfois ma propre hygiène.
J’aime entendre le rythme de votre voix, le silence entre vos mots, le résultat de mon travail. Combien de comédiens, d’enseignants, de femmes et d’hommes politiques sont venu me voir pour que je les aide. Sans perdre haleine, j’espère être toujours au plus près d’eux, bien que mon corps tende à s’user à force de se courber sur leurs gorges profondes.
Pourtant, je tiendrai ma promesse d’enfant miraculé, jusqu’à mon dernier souffle.
Philippe/ atelier / Bonnefoy