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textes du lundi après midi

Lars Tunbjörk I love Böras

 

Image de Lars TunbjörkTexte 1
Au nord de la Suède, en automne, les journées sont de plus en plus courtes, les gens des forêts quittent rarement leurs maisons, et les festivités publiques sont exceptionnelles.
Une seule coutume résiste contre cet isolement, celle du mariage. Malheureusement peu de couples choisissent cette saison pour se marier.
Les services administratifs ayant crée une loi obligeant la mariée de se vêtir d’une longue robe faite en asphalte gris et qui puisse se dérouler sur plus de 200 mètres.
Un certain Monsieur Bergspiel aurait été dit-on à l’origine de cette loi. À notre connaissance, peu de Suédois à ce jour n’ont pu répondre à cette demande, mais si vous prenez quelques pistes forestières aux heures où la lumière est encore présente, il peut être accidentel de rencontrer des morceaux de traîne de mariée abandonnée sur ces chemins.

Texte 2

À Boras chaque samedi après midi, il suffit d’entrer dans la cour d’un immeuble pour assister à un spectacle de rue. Au 22 de la rue Lars Tumbjörk , j’ai eu la chance d’assister à une petite comédie humaine jouée par quatre artistes amateurs habitant la résidence.
Une grande et épaisse estrade de bois, de ce bois naturel comme on le trouve en grosse quantité en Suède, occupait une bonne partie de la cour.
Le « pitch » de la pièce était le déballage des sentiments humains de manière métaphorique. Seulement une dame d’une quarantaine d’années représentait la gent féminine.Les femmes suédoises auraient-elle moins de sentiments à déballer ? Je ne connais pas l’auteur et je n’ai qu’à me laisser guider par le déroulement de cette pièce pour mieux comprendre cette sociologie nordique.
Un homme aux « converse » rouges et en djellaba blanche s’exténuait depuis le début de la représentation à démonter des bâches sensées recouvrir la scène. C’était un homme voilé, jamais on ne voyait son visage et il psalmodiait : « Les religions sont inutiles ! Les religions sont inutiles », « Cessez de regarder vers le haut, affaisser les voiles ». Cet homme aux « converse » rouges dialoguait parfois avec un gros type en tenue de cuisinier ou de pâtissier, jetant face à lui au bas de la scène des litres de vin rouge en bouteille dans un amoncellement de poubelles au sol . Il n’avait fait son apparition bien qu’un bon quart-heure après qu’un autre homme venu des coulisses eut descendu sur le parterre pour découvrir un bric-à-brac de vélos, moyen de déplacement mythique des Suédois et aussi une vieille guimbarde des années 60, tous ces objets étaient cachés sous une toile cirée multi couleur.
« Chers amis voyez là mes peines, voyez là mes soucis, que ceux qui veulent m’en débarrasser, s‘en saisissent, moi je ne veux plus les voir ! »
Je pense que, dans cette action, le texte se voulait revendicatif et anti-consumériste, mais était-ce vraiment cela ? En effet, ce personnage une fois qu’il eut débarrassé ces tas de débris de ferraille sous leur couverture de linoléum se saisit de la femme pour l’embrasser sur la bouche pendant de longues minutes. Après chaque baiser, il dépose sur l’avant scène une grosse boîte de conserves de fruits confits, friandises appréciées des Suédois. Et la femme me direz-vous n’a-t-elle aucun sentiment humain à déballer ? Elle restait muette et passait son temps à enduire ses jambes de confiture de groseilles. Cette scène n’avait rien d’érotique ni de malsain, on sait que ce pays de religion protestante est assez pudique mais paradoxalement n’a que très peu de crainte face à la nudité, fanatiques comme ils le sont des saunas et autres bains chauds. Bon cette pièce commençait à m’agacer et comme nous étions samedi, j’ai filé mon chemin vers une autre cour pour voir un autre spectacle.

LES DÉPOSSÉDÉS

photo d"Edith RouxLes dépossédés 2010 – 2011 PHOTO D’EDITH ROUX

Quelque part, comme sur une avant scène jonchée de débris, de briques, de morceaux de faïence et de stuc, une scène d’un théâtre irréel.
Quelqu’un est là, elle se tient droite face à nous, buste relevé, yeux interrogateurs, sa robe imprimée, légèrement transparente résonne avec le dénuement de sa gorge.
Quelque part dans une zone d’une dense habitation de bâtiments quasiment monochromes, tous identiques, vide, aucune trace humaine.
Quelqu’un cet homme planté là, se souvient d’elle lui l’architecte de cet immonde environnement.
Quelque part dans une maison éboulée, fatras de briques, de pailles, de boiseries, plâtre, marbre et béton. Quelqu’un, celui-là, un homme âgé, seul au monde essaie de retraverser son passé, les écritures de graffiti l’aideront peu, son long manteau, sa chemise blanche et propre, ses mains usées, ses chaussures usées, son collier de barbe bien rasée, ses yeux bridés soulignant ses oreilles décollées, mais il ne voit plus rien et n’entend plus rien, il ne peut qu’à peine respirer la poussière qui l’entoure.
Quelque part dans une rue déserte, tête baissée, épaules voûtées, quelqu’un, l’architecte peut-être ne respire que très peu lui aussi. Il semble en confession, en repentance, face à un monde meilleur, soi-disant meilleur dont il a eu la charge de bâtir. Son manque d’oxygène lui provoque un vide dans la tête à la mesure du vide qui l’entoure. Qu’aurait-il pu faire? Qu’aurait-il du faire ? Résister comme cette autre femme quelque part dans le reste d’un décor chimérique, anachronique, un face à face avec ces barrières de béton, une image arrêtée.
Elle est figée, quelqu’un, autre part l’est autant, un pied, en avant, une main dans la poche, l’autre tendu sur les plis du pantalon de son costume gris. Il pense pouvoir se tenir debout, mais il est écrasé par cette architecture hors de toute dimension humaine.Il est comme devant une grande béance, une porte possible ou impossible vers l’horizon, il devrait faire face à son destin, mais il n’ose pas se retourner, il reste là debout comme un fusillé accablé des balles du temps qui passe.
Philippe

10 ans

juillet-144

Aujourd’hui j’ai dix ans, c’est pile le jour de mon anniversaire, maman m’a promis de rentrer plus tôt du travail et de me laisser jouer à l’ordinateur. En attendant je regarde par la fenêtre, j’habite au 15éme étage dans une tour qui ressemble à toutes les autres, mais à force de les regarder je vois qu’elles sont différentes. De ma chambre je vois les 27 étages de l’immeuble d’en face et avec 34 appartements par étage, ça fait 918 appartements que je peux voir de ma fenêtre. J’aime bien regarder à la nuit tombée, avec les lumières on voit tout ce qui se passe à l’intérieur. Les gens seuls, les couples, les autres enfants qui font comme moi. Si on pense qu’il y a deux personnes par appartement je peux potentiellement connaitre 1836 personnes. Peut-être que l’une d’elles est mon père. De la fenêtre de la cuisine je vois l’immeuble bâché, là je ne connais personne puisque je ne vois personne puisqu’il est bâché, CQFD dirait, mon grand-père, je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais il répète ça à chaque fois que c’est évident. C’est comme si on avait emballé la vie, maman dit que l’immeuble a de la chance d’avoir droit un lifting, et qu’elle aussi elle aimerait bien !.

A midi, j’aime bien me mettre à la fenêtre de la chambre de maman qui est aussi le salon. Là je vois l’arête gris-bleu qui pointe son nez, on ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur parce qu’il y a des fenêtres miroirs, mais du coup je vois le reflet de mon immeuble et en cas de soleil même un petit bout de ciel bleu. Tout est déformé comme si tout était mensonge, pour rigoler je dis que c’est ma prison, mais j’aime bien rester là à observer, à imaginer ce qui se passe derrière les murs. J’ai inventé un jeu vidéo grandeur nature, je m’installe dans ma chambre face à la fenêtre et je dégomme les appartements d’en face avec du papier mâchouillé, avec la salive il reste collé sur la surface transparente quand je le crache. Je n’ai le droit de bombarder que les fenêtres sur lesquelles il y a du linge qui sèche, si je me trompe je dois tout recommencer, mon meilleur score c’est 34 appartements. Du coup, les fenêtres de ma chambre sont toujours propres, car je dois les nettoyer tous les jours ! Maman aime pas me laisser seul, mais elle n’a pas le choix, elle n’a pas les moyens de me faire garder ou de m’envoyer au centre avec les autres enfants alors je reste là et je trouve des moyens de m’occuper. Il se passe plein de choses pour qui prend le temps de regarder autour de soi. J’ai déjà vu 14 chemises tombées des balcons d’en face, 4 chats, 54 pantalons et 3 hommes, peut-être que l’un d’eux était mon père. J’entends maman qui rentre, elle a un paquet pour moi, une longue vue, je ne suis pas prêt de sortir d’ici !!