D’après l’exposition « Currents Shift », photos de Jessica Wolfelsperger, juin 2019

Texte à contrainte / Endroit

Trop de matérialisme contrarie le créatif. Isolé, l’extraverti devient triste.
Ses pensées accaparées tournoient secrètement.
Étonné, le voici souriant, amusé devant un bourgeon.
Moins narcissique, il cesse alors la compétition, la saturation coriace du selfi.
Réticent au gris, il ne doutera plus du végétal, du blanc, attentif plus que têtu.

        Envers

Un peu de spiritualité compense le manque d’imagination. Entouré, l’introverti
devient gai. Ses sensations réveillées se révèlent généreusement.
Blasé, le voici mécontent, déçu par une flétrissure.
Plus ouvert, il apprend alors le partage de la tendre contemplation d’un paysage.
Appréciant l’orange, il doutera du minéral, du noir, plus souple que velléitaire.

Découpages À partir de No Comment, exposition de Jacques Barbier, avril 2019

Dans le cadre d’une étude sur la mémoire et la photographie, je devais rédiger un petit texte à partir d’un ensemble de photographies au rebut, collectées par Jacques Barbier. Sur chacune d’elles ont pouvait observer qu’un personnage avait été découpé.

Ces photos mutilées étaient aussi pénibles à observer que des images de guerre montrant des corps meurtris. Ici les membres du corps familial, amical ou amoureux avaient été sectionnés soigneusement aux ciseaux.

Ma première remarque concernait le sexe et l’âge des personnes découpées. Il y avait davantage de personnages masculins évincés que de figures féminines. Ne manquaient sur les photos ni bébés, ni enfants ni adolescents. Ceci laissait supposer que le découpage était majoritairement l’œuvre de femmes et non pas d’hommes.

Cette attitude féminine qui consistait à se débarrasser du corps à coups de ciseaux semblait la métaphore d’un assassinat, joué sur un plan symbolique et de façon plus subtile qu’un meurtre réel mais néanmoins violent. Il était impossible de faire disparaître le corps de l’indésirable en entier et restaient des reliquats, preuves que sur cette épaule de femme, une main d’homme s’était appuyée, ailleurs, tel un serpent partageant le corps féminin en deux, un résidu de bras entourait tendrement la taille d’une jeune fille.

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Sur neuf photos de Bernard Plossu, exposition « Al-Marriyya, un désert et la mer »

Perché, enfoui
Perché, un enfant se penche
Enfoui, un vieux mur lézardé
Perché, un homme marche d’un pas lent, vieux funambule aux doigts
Enfouis derrière son dos
Perchée loin en Espagne
Enfouie derrière un moucharabieh
Perché, il n’aime pas les mouches
Enfoui, le vieux mur craquelé, un peu sali
Perché, un homme qui ressemble à Pierrot
Enfoui sous un béret de feutre
Perchée peut-être à Collioure
Enfouie où il fait très chaud

Perchés dans un endroit pas très beau
Enfouis à Sainte Marie de la Mer, peut-être
Perchée, une fillette à grandes créoles et robe flamenca
Enfouies, ses mains, dans la crinière d’un poney de six mois avec de fins sabots blancs
Perché, le linge qui sèche au vent qui le balance
Enfouie la murette sous un tas d’ordures éparpillées
Perchés dans un réseau de fils électriques
Enfouis sous la grande toile d’araignée, des oiseaux
Perché, un balcon avec des géraniums, des pélargoniums plutôt
Enfoui dans un monde flou avec en-dessous, une fillette qui porte une grande bassine noire
Perché, grand, sa jambe levée pour relancer le ballon
Enfouie, cachée derrière un pilier, une petite fille aimerait monter sur un poney et regarde la demoiselle à la robe flamenca, fière sur son poulain aux fins sabots blancs

D’après l’exposition de Malgosia Magry’s, La Ville, Château d’Eau, Toulouse, février 2019

Regarde ma rue, pub, conso, bistro, affiches, promos
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Uniformes, monde-tous égaux
Converses, sacs à dos
Jeans ça fait réglo
Joggings à bandes c’est beau
Oublie les carreaux !
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Princesses ados
Smartphones argentés
Ça fait pas pitié
Bleu fait des envieux
Rose si tu oses
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Voir le monde d’en haut
Capter mieux tes mots
Nos antennes comme des ailes
Pas d’âge pour smiley
Bipper, mailer, cliquer
Pauvre Victor Hugo !
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Un peu de nature dans ton litre d’eau
Un peu de nature on voit ta peau quand tu fais l’oiseau
Un peu de nature dans des bacs c’est pro
Suivre le bitume, murs gris, devantures, monde de béton
Quand même écolo
Rouler à vélo
Marche à pied
C’est pas rétro
Trop c’est trop 

Empreinte

L’empreinte de l’homme sur Terre.

Morte station la nuit. Vide. Personne. Juste persiste un ersatz céleste.
Plaquées, cirées, noircies, brulées, rougies, jaunies
Miettes du ciel, paillettes, reflets du ciel
Et moi dans cet espace ? Un millionième passager de l’existence entre cosmos et planète.
Je vais ; je monte je descends ; je suis le lien ; je joins deux espaces terre et ciel. Isthme lorsque je pars, vague lorsque je rentre. Flux, reflux. Jour, nuit. Vivre, mourir.
Apparaître, disparaître
Dans l’espace profond
Poussière d’étoile dans l’immuable cosmos
J’assemble mes mots
Mots en suie
Mots sans suite
Ecrits dans la nuit, obscure
Plume Encre Noir de fumée Cire de Bougie Flamme
A la plume je trace ton visage
A la suie je peins tes yeux
À la flamme je dessine ta bouche
Et tes dents au feu
Je t’avais prévenu
Encore vierge est ton casier
De cire et de papier
Ton portrait détenu
Tu es en garde à vue

Ni vu ni connu
J’ t’embrouille !
z.

Sous la voute des Carmes

Sous la voute des Carmes, s’étire la Voie Lactée. Dominante de blancs, de gris et de noirs, variations fuligineuses. Comme autant de stations déclinées, traces fécondes d’une écriture alternative. Sur des cahiers d’écoliers tu as écrit ton nom, toi, le peintre de l’incandescence et de la combustion. Etrange, onirique et sacrée, ton écriture s’éparpille dans une effilochée de nuages et d’éclaboussures d’étoiles.

Ton identité est riche de plus de mille visages grimaçants, boursoufflés ou débonnaires. Photos déformées en comparution immédiate et en attente de jugement. Et tes écrits ne plaident pas pour leur innocence….

lundi 14 janvier 2019 , Jean Paul Marcheschi

Charlotte Mano. Automne.

Elle aimait la nature et voulait y retourner.
Le peu de ciel gris pèse sur le bois de jeunes chênes et de jeunes pins. Dans la clairière automnale, les ronces rampantes, grimpantes, sauvages aux épines toujours à l’affût de la moindre petite parcelle de peau délicate et fragile prête à saigner, du plus humble ou plus riche tissu à déchirer, à griffer sont là menaçantes. Les genêts d’ordinaire éblouissants émergent honteux, éplorés et nus. Les feuilles séchées des chênes ont commencé à se détacher, à se tasser misérables au sol, tapis humide, moëlleux, brun, propice à l’humus fertile.
C’est là qu’elle veut être. Allongée nue au sol ? « Non ! Je ne veux plus être écorchée, je ne veux plus de piqûre d’aiguille, je ne supporterai pas d’être reliée par un long tuyau, fausse veine de téflon à un cathéter parasite incrusté à ma peau. »
Alors elle l’installe sur ce drap blanc qui enveloppe entièrement la table comme une dalle de marbre rendue ainsi invisible. Comme sur un linceul elle s’allonge. Et les girolles jaune d’œuf par centaines cueillies avec leur douce mousse verte nourricière, les feuilles échouées recouvrent son corps. Fraîcheur. Au loin le chèvrefeuille veille.
Limbes des bois. Bois moisis. Moisissures et mousses associées. Trompettes de la mort laissées aux ombres des pins sylvestres.
Préfiguration symbolique. Putréfaction souhaitée en automne.
Saison choisie
Pour gisante volontaire le temps d’une poussée de champignons.

« Haïkus »
« Impressions. »
Un regard perçant
Un cri strident dans les airs
Partir, revenir.
(L’hirondelle)
Arabesques bleues
Biffent l’horizon limpide
Il n’en reste rien.
(Le ciel)
Le silence revient.
L’air vide livré à la chaleur du crépuscule
Rend les nids douillets.
(Le nid en coin)
Chaleur. En bas dans la rade, ça bruit, ça bouge, ça vit au pied des monts déserts. On le sait. (La rade vue du ciel.)

Peu à peu s’estompe la brume comme sur le papier sensible au révélateur. Chaleur. En bas dans la rade, ça bruit, ça bouge, ça vit au pied des monts déserts. Les bleus, les ocres, les blancs éclairent l’horizon. La mer blanchit. La terre bleuit. Tout est aplati. Uniforme. Il n’y a plus d’air entre la terre et l’œil.
La mer à perte de vue, immense. Rien d’autre que le ciel, l’horizon et ce grondement, ce déséquilibre devant le hublot, lucarne sans issue. Vagues lourdes, sans écume. Profondeur hallucinante sous le voilier sans voiles. Il n’est plus qu’un point solitaire. Les mouettes ne vont pas tarder à gueuler leur pitance au-dessus du bastingage.

Almeria.B.Plossu. 5/11/18

Une blancheur aride,
Courbée insondable.
Deux andalouses indiscrètes
Deux balcons menaçants.
Une architecture crépusculaire, prison mature pour pêcheurs en partance.
Platanes de lumière
Curieux et solitaires
En ce midi de ruine
Dans cette poussière d’étable chaulée
Quelle perspective pour Pepito ?
Celle d’une fraîcheur d’Arizona ?

– Les gris enveloppent la blancheur aride, insondable. Les platanes menaçants emprisonnent les Andalouses. Quel projet pour Pepito ? Cette demeure sera-t-elle conforme à son attente ? Comme je voudrais être lui !

Les mots bleus.

La chanson intégrée.
Les mots bleus.
Il est six heures, le réveil a sonné depuis longtemps et j’ai du mal à sortir du lit. Les rêves sont encore présents, collent à mon corps engourdi. Au clocher de l’église le quart d’heure a sonné. Je m’étire, attention à la crampe qui menace ces temps-ci ; surtout ne pas tendre la cheville et garder les orteils et le pied à angle droit. Le chat ronronne près de moi. Il pose sa patte veloutée sur ma joue et bâille. Je pose ma main sur sa fourrure et je sens ses poils sous mon nez. Son odeur de chat que j’aime.


Tout à l’heure, je passerai dans le square où les dahlias, les asters, les arums, toutes les fleurs poétisent en silence. J’aime beaucoup cette expression. Elle n’est pas de moi. Mais c’est vrai que leurs images colorées imprimant nos rétines rappellent quelques vers des poésies de nos chansons d’enfance ou de jeunesse « comme un p’tit coqu’licot mon ange comme un p’tit coqu’licot » « j’ai descendu dans mon jardin pour y cueillir du romarin » « mon amie la rose me l’a dit ce matin »

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